immanence

Extraits étiquetés avec : immanence

  • Lucidité

    La lucidité n'est pas l'intelligence, dont le propre est la compréhension. Tandis que l'intelligence, à l'instar du langage, est une faculté, et même la plus générale, qu'elle est pour une part au moins innée, qu'elle se porte sur un objet à la fois de son propre mouvement et dans l'instant, la lucidité, quant à elle, ne nous est pas donnée, elle ne fait même pas l'objet d'un entretien et d'un entraînement : elle ne s'atteint qu'à partir d'un cheminement et de façon résultative – peut-on même se communiquer, de l'un à l'autre, ce résultat ?

    La lucidité n'est pas non plus la connaissance, celle-ci relevant plus résolument d'une acquisition. Tandis que la connaissance s'étend par domaines et par disciplines, la lucidité est une capacité globale qui ne se laisse pas morceler ni ne s'enseigne. À la rapprocher également des termes qui lui sont donnés pour synonymes, il apparaît que la pénétration comme la perspicacité (la clairvoyance) supposent que l'esprit a rencontré une résistance – une opacité – et la dépasse. Elles renvoient prospectivement, l'une et l'autre, à une situation dont la difficulté est à dénouer. Leur usage requiert un point d'application, la première se prévalant plutôt de profondeur et la seconde de netteté.

    Mais la lucidité, quant à elle, est issue d'un devenir : on devient lucide par expérience ; elle s'atteint processuellement et par dégagement : de la lumière vient d'elle-même, par immanence, à partir de tout ce qu'on a vécu et traversé. Pénétration et perspicacité nomment une capacité opérationnelle de l'esprit ; lucidité, un niveau auquel a accédé la conscience. Tandis que celles-là nomment le franchissement d'un embarras se présentant à la pensée, celle-ci dit la sortie d'une indistinction par laquelle on se laissait abuser. Aussi, en signifiant qu'on émerge de la confusion dans laquelle on était demeuré dans sa vie passée, la lucidité nomme-t-elle bien la capacité d'un sujet accédant à la seconde vie.

    Ne s'acquérant pas, à proprement parler, la lucidité n'est affaire ni de méthode ni de volonté. Puis-je même désirer devenir lucide ? Je désirerais, à vrai dire, plutôt la contraire : rester dans une indistinction naïve – une confusion primitive – répondant davantage, plus immédiatement, à mes souhaits ; ne me forçant pas à voir la réalité dépouillée de ses illusions ou « comme elle est ». Alors qu'on voudrait être plus intelligent ou posséder plus de connaissances, et même avoir l'esprit plus perspicace ou pénétrant, ne craindrais-je pas, au contraire, plus de lucidité ?

    Couverture de Une seconde vie
    page(s) 95-97
  • Nouveau départ

    Cette « seconde vie » procède de l'immanence même de la vie, mais d'une vie qui s'est à ce point élaborée, s'est réfléchie et devient concertée, que quelque chose qui la restreignait encore, de soi-même, peu à peu s'est tranché ; qu'une décision sourdement a mûri, s'est étoffée, s'est confortée, sur laquelle on pourra de mieux en mieux se caler pour se détacher quelque peu de soi-même, de l'adhésivité de son passé, et réengager sa vie […] la délester de ce qui l'encombrait, la désamarrer de ce qui la retenait arrimée, confinée, « encalminée », à quai – et lui donner un nouveau départ.

    Couverture de Une seconde vie
    page(s) 15-16
  • Laisser advenir, dans le détachement

    [Du fait des spécificités de sa langue], la pensée chinoise s'est trouvée particulièrement à l'aise pour évoquer cette opérativité qui se développe d'elle-même, cheminant en silence, et dont on apprend à disposer, la captant comme une « source », mais sans pouvoir pour autant la régir. Dao (« tao »), le maître mot de cette pensée, dit à la fois l'auto-déploiement de cette immanence et de l'art d'en user, le processus et la procédure – dao du monde et « mon » dao.

    Ainsi y est-il dit, toutes écoles confondues, qu'il faut savoir laisser advenir l'effet, comme retombée, ou « retour », d'un investissement préalable, confiant qu'on est dans la propension engagée et acquiesçant sagement à ce différé – plutôt que de troubler le monde par son désir et son impatience ; et, sur son versant taoïste, y est mise plus amplement en valeur l'attitude de « déprise » et de détachement qui, plutôt que la prise, conduit de façon « naturelle » (ziran) à cet aboutissement.

    Couverture de Philosophie du vivre
    page(s) 45-46
  • Laisser opérer l'immanence

    [N]e pas biaiser avec le présent rencontré en même temps que le laisser fructifier.

    Ce qui conduit à tenir à la fois les deux : à répondre à l'instance du présent, cet « instant » qui passe s'entendant comme une exigence rejetant la répétition-conservation ; mais également à laisser opérer l'immanence et sa capacité d'enfanter.

    Couverture de Philosophie du vivre
    page(s) 44
  • Renoncer à devenir soi-même

    Prendre le risque de l'immanence, ne serait-ce pas commencer à renoncer à devenir soi-même ? Au sens où ce qu'on définit par « soi-même » et que l'on voudrait à tout prix nous faire reconnaître et aimer mieux, c'est encore et toujours une projection imaginaire née de nos attachements, nos peurs, nos attentes…

    Les expériences les plus fortes qui nous sont données de vivre dissolvent le « soi-même » plus qu'aucune résolution négative. Dans la perception élargie de l'instant et du monde, dans la joie instantanée qu'elles infusent, dans le retournement intérieur qu'elles provoquent et l'allègement de toute angoisse, il se passe une étrange réconciliation, comme si le réel ne s'opposait plus.

    Couverture de Éloge du risque
    page(s) 71
  • Thérapie initiatique

    [L]e principe et la source de mon travail, le centre de sa raison d'être, est l'expérience, révélatrice d'un Être essentiel, immanent à l'homme, et qui tend à manifester dans le monde une Vie surnaturelle. Comme cette thérapie s'appuie sur l'importance donnée à certains événements intérieurs qui dépassent l'horizon du moi existentiel, qu'elle cherche à ouvrir l'homme à une réalité cachée et à le transformer dans un sens qui corresponde à cette réalité transcendante, nous employons le terme de thérapie « initiatique ». Initier vient de « initiare », ouvrir le chemin du mystère. Ce mystère n'est autre que notre transcendance immanente devenue réalité vécue. La finalité de l'homme, en même temps que sa « santé » est d'en prendre conscience et de la manifester.

    Couverture de Pratique de l’expérience spirituelle
    page(s) 13-14
  • Notre nature intacte et originelle

    Le bouddhisme indien, assez indifférent à la nature, au contact de la sensibilité taoïste, en Chine, devient doctrine de l'immanent, aussi la représentation picturale peut-elle devenir l'expression de l'expérience intime de la siccité (ou ainsité, traduction du sanskrit tathatā), vraie nature silencieuse et immuable de toutes choses qui n'apparaît dans l'esprit du sage que lorsque – en son plus intime – il a fait place au silence. Dans ce silence, miroir originel et équanime de l'esprit, la branche de pin se reflète comme à la surface limpide de l'eau glacée des montagnes. Dans cette eau immobile où se mire la branche du pin, les nuages – que rien ne retient – à leur gré défilent librement. […]

    Joie intime de la paix retrouvée en un fond des montagnes qui est aussi un fond de nous-mêmes, notre nature intacte et originelle.

    Couverture de Voyageant parmi les nuages
    page(s) 55-56