Christian Bobin

Portrait de Christian Bobin

Mais que vient donc faire Christian Bobin (né en 1951) au beau milieu de ces maîtres de méditation ? Pour le méditant que je suis, sa façon de ne pas discriminer entre le morne et le sublime, de rester quoi qu'il en soit ouvert et de se voir par là-même soudain traversé de fulgurances, c'est le plus simple et bel enseignement qui soit.

Quand le gris de la vie me cerne et menace de m'engloutir, j'attrape un Bobin et me cale entre deux oreillers. Empruntant un instant le regard qu'il pose sur les scènes d'une vie pas moins grise, aussitôt rafraîchis mes yeux retrouvent la lumière et je reprends léger mon bonhomme de chemin.

Contribution dans

Quelques ouvrages

Quelques extraits

• Accepter de n'être plus protégé par rien

Il faut avoir une force terrible pour supporter de lire un seul poème. Aller au-devant d'une phrase comme au-devant de sa propre mort. Accepter de n'être plus protégé par rien et recevoir le coup de grâce d'une parole claire en son obscurité.

page(s) 32
• Un enfant de chœur de la lumière terrestre

Laver une assiette ou éplucher un légume c'est devenir un enfant de chœur de la lumière terrestre.

page(s) 40
• Chercher en tout l'innocence

Il faut chercher en tout l'innocence – on finira par l'y trouver.

page(s) 162
• Appeler chaque visage, chaque vague et chaque ciel

Tout le mal dans cette vie provient d'un défaut d'attention à ce qu'elle a de faible et d'éphémère. Le mal n'a pas d'autre cause que notre négligence et le bien ne peut naître que d'une résistance à cet ensommeillement, que d'une insomnie de l'esprit portant notre attention à son point d'incandescence – même si une telle attention pure nous est, dans le fond, impossible : seul un Dieu pourrait être présent sans défaillance à la vie nue, sans que sa présence jamais ne défaille dans un sommeil, une pensée ou un désir.

Seul un Dieu pourrait être assez insoucieux de soi pour se soucier, sans relâche, de la vie merveilleusement perdue à chaque seconde qui va. Dieu est le nom de cette place jamais assombrie par une négligence, le nom d'un phare au bord des côtes.

Et peut-être cette place est-elle vide, et peut-être ce phare est-il depuis toujours abandonné, mais cela n'a aucune espèce d'importance : il nous faut faire comme si cette place était tenue, comme si ce phare était habité. Il nous faut venir en aide à Dieu sur son rocher et appeler un par un chaque visage, chaque vague et chaque ciel – sans en oublier un seul.

page(s) 130-131
• N’être rien

Incline-toi devant celui qui a tout raté pour s'être émerveillé de tout.

N’être rien, peu y parviennent. On dit qu'ayant tout trouvé en lui, au plus blanc de la montagne de son cœur, aux neiges éternelles de son sang, ayant trouvé plus que tout, Ryokan est redescendu se mêler aux simples et aux perdus. Il ne leur faisait pas la morale et ne leur parlait pas des dieux. La silencieuse intelligence qu'il avait de la vie se communiquait à tous comme une guérison virale.

page(s) 35-36
• La mort, l’amour, la beauté

La mort, l’amour, la beauté, quand ils surviennent par grâce, par chance, ce n'est jamais dans le temps que cela se passe. Il n'arrive jamais rien dans le temps – que du temps.

page(s) 42
• L’auberge est vaste

Tous les vivants sont dans mon cœur. L’auberge est vaste. Il y a même un lit et un repas chaud pour les criminels et les fous.

page(s) 35
• Sage

La sagesse, contrairement à ce qu'on raconte, ne vient pas avec l'âge. Sage, ce n'est pas une question de temps, c'est une question de cœur et le cœur n'est pas le temps.

page(s) 95
• La lumière donnée à tous

Le manque est la lumière donnée à tous.

page(s) 13
• Comme c'est petit ce qu'on appelle « moi »

[C]ette joie qui m'arrive, qui déferle et m'enlève de tout pour me remettre à « moi » et me révèle comme c'est petit ce qu'on appelle « moi », comme c'est maigre et sans vraie consistance, avant cet amour je n'étais pas née, avec cet amour je suis morte, je suis passée d'un néant à un autre, le premier était triste et lourd, le second est radieux, sec et vif comme une attaque en musique, une vibration d'archet, une pirouette de Jean-Sébastien Bach[.]

page(s) 96
• Les vrais secours

La main d'une brise qui rebrousse le duvet sur le ventre d'un moineau, l'eau qu'un soleil enflamme dans un verre, une phrase dans un livre, vaillante comme une petite fille sautant à la corde : les vrais secours ne sont jamais spectaculaires.

page(s) 114
• Le monde serait sauvé

Si nous avions le dixième de l'attention qu'a le chat pour le vol de la mouche – le monde serait sauvé.

page(s) 142
• Lutte avec l’ange des ténèbres

Chaque jour est une lutte avec l’ange des ténèbres, celui qui plaque ses mains glacées sur nos yeux pour nous empêcher de voir notre gloire cachée dans notre misère.

page(s) 49
• Le chariot de l’éternel

La libellule, en me voyant, se fige sur la barrière. Je m'arrête pour la regarder. Le chariot de l’éternel avec ses roues de bois passe entre nous sans un bruit, puis la libellule revient à ses affaires et je poursuis ma promenade avec dans l'âme une nouvelle nuance de bleu.

page(s) 22
• Vers l'autre

L'intelligence est la force, solitaire, d'extraire du chaos de sa propre vie la poignée de lumière suffisante pour éclairer un peu plus loin que soi – vers l'autre là-bas, comme nous égaré dans le noir.

page(s) 28
• Un amandier en fleur qui vient à notre rencontre

Ils marchent en projetant devant eux, à moins d'un mètre, l'idée qu'ils se font d'eux-mêmes : leur âme arrogante ou craintive leur ouvre le chemin. Le saint est celui qui avance précédé par la seule idée qu'il se fait de Dieu – un amandier en fleur qui vient à notre rencontre.

page(s) 143
• La densité de l'émerveillement de vivre

J'emmène parfois une trousse de commis voyageur aux enfers, j'y passe une nuit ou une minute puis je reviens, mais je connais bien ce lieu qui donne sa densité à l'émerveillement de vivre.

page(s) 178
• Le miracle

J'ai fait très peu de choses aujourd'hui. J'ai fait ce que je fais chaque jour : j'ai espéré un miracle. Et il est arrivé. Il arrive chaque jour, parfois à la dernière seconde – toujours du côté où je ne l'espérais plus.

page(s) 33
• Extraire d'un poème le soleil qu'il contient

Le monde ne devient réel que pour qui le regarde avec l'attention qui sert à extraire d'un poème le soleil qu'il contient.

page(s) 28
• Le plus long voyage

Ils sont partout sauf en eux, ces gens qui font le tour du monde. Le plus long voyage que j'ai fait, c'était dans les yeux d'un chat.

page(s) 41