Baptiste Morizot

Portrait de Morizot

Quelques ouvrages

Quelques extraits

• La responsabilité de cohabiter décemment

[N]ous partageons [avec les animaux] une ascendance, l’énigme d’être vivant, et la responsabilité de cohabiter décemment.

page(s) 19
• Notre dérisoire longévité

En tant qu’individus humains, notre longévité est dérisoire au regard de celle d’un arbre, d’un corail, d’une forêt ancienne, d’un écosystème. Or la Grande vie des écosystèmes, des poumons verts forestiers, des cycles de carbone, de l’évolution des espèces, est la condition de la petite vie des individus.

page(s) 16
• Invisibilisation du vivant

Une espèce a transformé en décor de matière disponible pour ses tribulations humaines les dix millions d’autres espèces qui constituent sa famille élargie, son milieu donateur, ses cohabitants quotidiens. Et plus exactement, c’est le fait d’une certaine petite population de cette espèce, porteuse d’une culture historique et locale : car cette invisibilisation est un phénomène provincial et tardif, il n’est pas le fait de l’humanité entière.

page(s) 29
• Transformer le champ de l’attention

[P]our changer le politique, il s’agit aussi (en plus de militer, lutter, s’organiser autrement, lancer l’alerte, faire levier au plus près du pouvoir, inventer d’autres manières d’habiter) de transformer le champ de l’attention à ce qui importe.

page(s) 24
• Aussi intolérable que la monarchie de droit divin

L’idée de disparition […] des formes de vie autour, par inaction, écofragmentation et extractivisme [… ,doit] nous [devenir] aussi intolérable que la monarchie de droit divin.

page(s) 23
• Un continent de courage

Comment loger un continent de courage dans onze grammes de vie ?

page(s) 13
• Habiter, c’est toujours cohabiter

Le problème de notre crise écologique systémique, […] est un problème d’habitat. C’est notre manière d’habiter qui est en crise. Et notamment par son aveuglement constitutif au fait qu’habiter, c’est toujours cohabiter, parmi d’autres formes de vie, parce que l’habitat d’un vivant n’est que le tissage des autres vivants.

page(s) 24
• Jubilant du soleil, glissant sur la force du vent

Il y a dans le cortège les pipits, les bergeronnettes, les accenteurs mouchets, les gypaètes géants et les microscopiques serins, les roitelets, les venturons, les tichodromes et les milans royaux, comme des tribus gauloises pavoisant dans leurs couleurs, chacun avec ses mœurs, son langage, sa fierté sans ego, sans miroir – chacun avec ses exigences. Et chacune de ces formes de vie a sa perspective unique sur ce monde partagé, qui maîtrise l’art de lire des signes ignorés de tous les autres. […]

Des peuples bataillant contre les éléments, se tissant aux flux d’énergie, jubilant du soleil, glissant sur la force du vent.

page(s) 13-14
• Amorcer les puissances autonomes de régénération

On ne régénère pas le vivant, on amorce ses puissances autonomes de régénération : on le laisse exprimer sa résilience propre, on met en place les conditions minimales, délicates, discrètes, pour qu’il retrouve sa pleine vitalité. De manière autonome, réparer les dispositifs d’autonomie pour pouvoir disparaître comme réparateur. Défendre le vivant, c’est à un égard précis comme éduquer un enfant, il s’agit d’œuvrer à sa propre inutilité comme éducateur ou aménageur : c’est travailler à son propre effacement.

page(s) 48-49
• L’« essentiel » aux yeux du « moderne moyen »

[S]e consacrer à l’« essentiel » aux yeux du momo [le « moderne moyen »] : les relations entre congénères humains. Relations de pouvoir, d’accumulation, de prestige, d’amour, de famille, sur fond d’un décor inanimé, constitué par les dix millions d’autres espèces qui, soit dit en passant, sont nos parentes.

page(s) 27
• Terrible et parfaite solitude

Il aura suffi que le judéo-christianisme fasse fuir Dieu de la « Nature » (c’est l’hypothèse de l’égyptologue Jan Assmann) pour la rendre profane, puis que la révolution scientifique et industrielle transforme la nature restante (phusis scolastique) en matière dépourvue d’intelligences, d’influences invisibles, à disposition de l’extractivisme, pour que l’humain se retrouve en cavalier solitaire dans le cosmos, entouré de matière bête et méchante. Le dernier acte impliquait de tuer la dernière affiliation : seul face à la matière, l’humain restait néanmoins en contact vertical avec Dieu, qui la sanctifiait comme sa Création (théologie naturelle). La mort de Dieu induit cette terrible et parfaite solitude, qu’on pourrait appeler le huis clos anthroponarcissique.

page(s) 29
• Protéger le vivant, plus fort et plus ancien que nous

[P]rotéger le vivant mais, paradoxalement, comme quelque chose de plus fort que nous, de plus ancien que nous.

Philippe Descola a montré, dans Par-delà nature et culture, que le schème de la relation de la « protection » est par définition asymétrique, il implique nécessairement que le protégé soit infériorisé par rapport au protecteur. […U]ne étrangeté de ceux qui ont inventé la « nature » comme une altérité.

page(s) 55
• Violence innocente de notre cécité

Combien de fois n’avons-nous rien vu de ce qui se tramait de vivant dans un lieu ? […] Pas de reproches, mais une certaine tristesse à l’égard de cette cécité, de sa portée, et de sa violence innocente.

page(s) 14
• Ce qui est en cause : l'extractivisme productiviste financiarisé

Ce ne sont pas les humains « en général » qui sont en cause, mais la dérive d’une forme économique et politique tardive, d’un métabolisme social ravageur, d’un rapport au monde particulier, qui s’est érigé en norme et en Progrès : quelque chose comme un extractivisme productiviste financiarisé, élargissant les logiques marchandes à tout ce qui devrait en être exclu, et incapable de toute sobriété.

page(s) 53
• Sortir du labyrinthe des dualismes

[E]ssayer de sortir du labyrinthe des dualismes entre nature et humains, exploiter et sanctuariser, sauvage et domestique, qui créent des conflits inutiles et nous éloignent des vrais fronts de combat.

[Q]ue devient « protéger la nature », quand on aura saisi que la « nature » était une invention dualiste qui a contribué à la destruction de nos milieux de vie, et que « protéger » était une conception paternaliste de nos rapport au vivant ?

page(s) 11
• Extinction de notre expérience de la nature

[L]es dix chants d’oiseaux différents qu’on entend chaque jour ne parviennent pas au cerveau autrement que comme bruit blanc, ou au mieux évoquent un nom d’oiseau vide de sens : c’est comme des langues anciennes que plus personne ne parlerait, et dont les trésors sont invisibles.

La violence de notre croyance en la « Nature » se manifeste dans le fait que les chants d’oiseaux, de grillons, de criquets, dans lesquels on est immergés en été dès qu’on s’éloigne des centres-villes, sont vécus dans la mythologie des modernes comme un silence reposant.

page(s) 17
• Se décentrer vers le point de vue de la forêt

La libre évolution […] est une pratique diplomatique parmi d’autres possibles envers la forêt. Elle consiste à se décentrer vers le point de vue de la forêt, puis à prendre au sérieux ses lignes de comportement, et à chercher enfin la meilleure manière de donner à la forêt dans toute sa richesse les meilleures conditions pour qu’elle s’exprime.

page(s) 25-26
• Nécessaire attention au tissage des autres formes de vie

Être chez soi, c’est [pour le « moderne moyen »] pouvoir vivre sans faire attention. Or pour les autochtones, c’est l’inverse, le chez-soi implique cette vigilance vibratile, cette attention au tissage des autres formes de vie, qui enrichissent l’existence, même s’il faut composer avec elles et que c’est souvent exigeant, parfois compliqué. La concorde est coûteuse en intelligence diplomatique entre humains, elle l’est aussi avec les autres vivants.

page(s) 27
• La nature, décor ou support de projection

[O]n considère les vivants essentiellement comme un décor, comme une réserve de ressources à disposition pour la production, comme un lieu de ressourcement ou comme un support de projection émotionnel et symbolique. Être un décor et un support de projection, c’est avoir perdu sa consistance ontologique.

page(s) 13
• Le vivant, un feu créateur

Le vivant n’est pas un patrimoine au sens humain, fait de main humaine, figé et fragile, inflammable : c’est avant tout un feu créateur. Ce n’est pas nous qui l’avons fait, c’est lui qui nous a fait.

Par la métaphore du « feu », j’entends ici que la biosphère peut bien être réduite, appauvrie, affaiblie, il suffira de quelques braises (des niches écologiques qui se libèrent, des conditions plus clémentes) pour que le vivant foisonne, se répande, se multiplie dans toutes les directions.

page(s) 44