Antoine Marcel

Antoine Marcel est un ermite : dessin d'ermitage taoïste

Antoine Marcel (né en 1949) est un fin connaisseur des cultures asiatiques, notamment le taoïsme chinois et les bouddhismes chan chinois et zen japonais. S'il a reçu le zen de Jacques Brosse, il y a aussi chez lui la filiation de cœur et d’esprit avec le beat-zen : Jack Kérouac et surtout Gary Snyder ; mais aussi le méditant-poète Kenneth White.

Après avoir beaucoup voyagé, créé des bonsaï ainsi que des jardins d'influence extrême-orientale, il est désormais retiré au creux boisé de quelque vallon du Massif central où vivant en ermite-lettré, il s'adonne à l’étude, la méditation, la marche et l'écriture, tout en « portant de l'eau et coupant du bois ».

Il ne semble pas y avoir de photo publique d'Antoine Marcel. Un signe parmi d'autres de quelqu'un qui pratiquerait authentiquement « effacer les traces » ?

 

Lignée Taisen Deshimaru

 

Quelques ouvrages

Quelques extraits

• Écrire, planter des arbres

Si je vis à l'écart du monde, dans l'anonymat, ce n'est pas pour être découvert, c'est pourquoi ma vie dans les monts me va bien. Écrire, planter des arbres, procèdent d'une même métaphysique. En ce monde délabré où tout passe et va à sa perte, témoigner de ce qui ne passe pas, n'est-ce pas important ?

page(s) 51
• Une lumière toujours là

Les pāramitā sont comme les éclats de toutes les couleurs du spectre d'une lumière toujours là, dont nous avons simplement oublié la présence évidente.

page(s) 18
• Changer le monde

Dans la tradition orientale, l'homme, dit-on, avant de songer à changer le monde pense à se changer lui-même. Mais ne s'agit-il pas de la même chose ?

page(s) 7
• Habiter la terre en poète

Habiter la terre en poète ne peut se faire sur des idées. En avançant que l’être au monde de l’homme se fonde en une sensibilité (au milieu) avant même que d’être pensé, Berque ne se trompe pas. Mais l’homme est un être métaphysique avant tout. Sa sensibilité la plus fine s’émeut de trouver, dans ce monde même, un au-delà du monde. Il l’appelle la beauté, le sacré, le numineux, et derrière la vanité des mots, il y a bien quelque chose. La géographie, ici, nous est moins utile qu’une sensibilité cosmopoétique qui, plus que de la pensée, procède du corps propre.

Le fin mot, en la matière, n’est-il pas que la poésie, comme la mystique, ne sera jamais une affaire collective ? La culture lettrée d’Extrême-Orient, précisément, est profondément marquée d’anachorétisme. Seul, assis sous l’arbre de la bodhi, au moment où il s’éveille, le Bouddha entre en coïncidence avec tous les êtres. Et non inversement. Habiter la terre en poète, de quelque façon, ne va pas sans transcender l’enfermement dans la condition humaine.Voilà ce que, dans le zen

page(s) 145
• La vérité est ineffable et intransmissible

L'hôte, l'ermite, est celui qui sait que la vérité est ineffable et intransmissible. Sa réponse, c'est la cabane au simple loquet de bois, laissée vide, c'est l'absence. Ici bouddhisme et taoïsme utilisent le même mot : [idéogramme chinois] kong, le vide. Le visiteur confronté au vide se retrouve seul avec lui-même, frustré ou mélancolique. C'est alors pour lui, s'il en a la sagesse, la chance de comprendre par lui-même.

Appuyé au tronc d'un pin, le visiteur, depuis les hauteurs, contemple le monde de poussières d'où il est venu. Le poète, cependant, pour ne pas troubler la pureté de l'atmosphère des cimes, ne parle qu'à demi-mot ou même ne dit rien. Il sait qu'on ne peut pas montrer l'esprit-bouddha ou le tao en montrant quelque chose. Et pourtant, par la magie de son art poétique, c'est ce qu'il fait.

page(s) 51
• Une réalité ne dépendant d'aucun discours

[L]e véritable contenu de l'enseignement bouddhique concerne une réalité avant tout intérieure, sans forme, et ne dépendant d'aucun discours. […]

Si le bouddhisme, maintenant dans son troisième millénaire, est resté vivant, cela est dû, d'une part au fait que son enseignement concerne une nature humaine inchangée, d'autre part que celui-ci est avant tout d'ordre incitatif, et ne constitue pas à proprement parler une révélation. Ce que celui-ci désigne, c'est à chacun de le découvrir par lui-même.

page(s) 10
• Un monde

Une citation mise en exergue par Kenneth White, dans Au large de l'histoire, m'a sauté aux yeux. Il s'agit d'une phrase tirée de l'Hypérion d'Hölderlin : « Ce que tu cherches, c'est un monde. » […]

Un monde. Qu'est-ce qu'un monde ? Un endroit où l'on pourrait vivre en accord avec ce qui vous entoure, ce qui est de moins en moins le cas à l'époque où nous vivons, pleine de conflits, de frustrations, de rage et de fureurs. Le titre, Au large de l'histoire, oppose au mythe du sens de l'Histoire une perspective spatiale, concrète et vague. La couverture du livre en propose d'emblée la métaphore, un phare dressé sur un ilôt rocheux, sur lequel se fracassent les lames d'une mer démontée. À la vaine agitation du monde de la temporalité, l'auteur oppose sa géopoétique – une poétique de l'espace. D'une stabilité, d'une fondation profonde dans le concret. Très bien.

C'est aussi Hölderlin qui a écrit : habiter la terre en poète. Dans le fond, ce que tout homme cherche, c'est un monde à habiter. Un monde dans lequel pouvoir vivre en fidélité à soi-même, à ce que l'on possède de plus précieux.

page(s) 15-16
• Dans l’ordinaire, quelque chose qui transcende l’ordinaire

Entre les branches des arbres, dans les sous-bois, passe un je-ne-sais-quoi d'espace et de lumière qu'on ne verrait peut-être pas si certains peintres ne l'avaient mis en évidence. Il y a dans l’ordinaire, quelque chose qui transcende l’ordinaire, la formule est de l'ancien maître de haïku Bashō.

Notre travers est de toujours situer cet au-delà du monde dans un ailleurs, là où il est dans une présence invisible.

page(s) 29-30
• « Droit, l’arbre est promis à la scie ; droit, l’homme est promis à la pauvreté »

Si l'on en croit le Zhuangzi et le Liezi, seul l'arbre situé à l'écart au profond de la montagne, tordu ou creux pour avoir brûlé, frappé par la foudre, du fait de son inutilité est épargné par la hache des hommes et peut atteindre un âge vénérable. Droit et fort, l'homme jeune est promis à la conscription et à la guerre, au travail comme à tous les asservissements. Que l'homme droit soit promis à la pauvreté comporte deux aspects. L'un, constat cynique, l'autre, jugement moral à rebours, célébrant l'honorabilité d'une pauvreté intègre.

page(s) 20
• Retour de l’esprit au sein de l’âme du monde

Le sage assis sur son rocher en solitude, dans sa méditation conçoit également que l’humain est pris dans sa sensorialité et les représentations de son esprit. Par contre, la sagesse émanant de sa corporéité – dans le zen, on dirait « de sa posture » – l’amène à comprendre que son monde de représentation n’est aucunement la vérité ultime. Tout au contraire, il sent combien celui-ci est conditionné. La vérité ultime, il la trouve dans la non-dualité, c’est-à-dire dans un retour de son esprit au sein de l’âme du monde. Là seul réside un inconditionné, en lequel il fonde sa sagesse.

page(s) 167
• Méditation du thé

Le thé appelle la vision de cabanes, de montagnes et de déserts, de voyages et d’horizons lointains, de rencontres entre voyageurs. Dans la solitude, il incite à la réflexion, à la méditation et au souvenir. Même lorsque nous sommes seuls, les gestes rituels du thé nous relient aux autres hommes. Lorsque, près de la cabane, on fait chauffer l’eau sur la braise dans une bouilloire en fonte, le monde est vaste et sans limites.

page(s) 40-41
• La réalité une, divisée et fantasmée

[D]ans le cours habituel des choses (saṃsāra), les signes distinctifs (lakshana) de l'image sensorielle objective sont aussitôt oblitérés par une computation avec les données subjectives, et donc teintés par les impressions psychiques. C'est lors de cet instant second de discrimination, qui fait intervenir une connaissance appropriatrice dont le fonctionnement implique le filtre binaire de désirs et aversions, qu'apparaît le moi. La réalité une est alors divisée et fantasmée comme un «  moi ici » et un « monde là-bas ».

page(s) 20
• Une philosophie de la nature sans philosophie

En Amérique, la philosophie populaire de la nature est une philosophie sans philosophie. Les rudes garçons comme Thoreau jugent sans doute que tant d'intellectualisme est indigne de l'homme des grands espaces ou, selon l'expression de Stevenson, du « Grand Dehors ». C'est en cela, malgré quelques malentendus, que la pensée de la nature américaine est assez proche de celle du zen.

page(s) 74
• Une brèche dans l'esprit de possessivité

Le don est une brèche dans l'esprit de possessivité.

page(s) 23
• Sans inscription corporelle, la pensée n’est rien

Reste à savoir dans quelle mesure ces interfaces qui ne s'adressent qu'au mental [mail, tweet], tout en délivrant du sens, ne sont pas source d'une illusion et d'une aliénation supplémentaire. En effet, tous ces inputs d'information digitalisés sont au risque de contribuer à un clivage, voire une schizoïdie du corps et de l'esprit.

C'est précisément celle-ci qui laisse croire aux tenants du transhumanisme que l'on pourra un jour, très bientôt, ils avancent des dates, transférer l'humain dans les circuits de super-machines. C'est se méprendre, en croyant, à la suite des penseurs des Lumières, que l'homme est pensée, que l'homme est cognition. Mais en réalité, sans inscription corporelle, la pensée n’est rien et la vie n'existe même pas.

page(s) 52-53
• Absurde d’opposer l’homme à la nature

À écouter, à lire les politiques, ceux qui savent, et même bien souvent parmi eux les écologistes, je vois que la pensée occidentale humaniste persiste à opposer l'homme à la nature. Voilà qui est non seulement absurde mais chaque jour plus insupportable, dès lors que l'on discerne combien c'est précisément cette pensée qui nous a fourvoyés et menés là où nous sommes.

Héritière d'une tradition dualiste opposant le corps et l'esprit, celle-ci continue d'aborder la crise contemporaine en la pensant de l'intérieur du même paradigme qui veut qu'il y ait d'un côté l'homme et de l'autre son environnement : voilà qui ne tient plus.

page(s) 9
• Déjà dans un autre monde

Comme se sont soudain effondrés le régime soviétique, le marxisme, le mur de Berlin, j’imagine que pourrait s’effondrer le paradigme matérialiste ancien, laissant la place à un monde post-moderne dans lequel il serait possible de vivre harmonieusement, selon notre vraie nature.

Sans doute est-ce un rêve, je poursuis pourtant cet espoir enfantin que la face du monde puisse être changée non par de nouvelles théories politiques, mais par ce qu’on attendait le moins : de nouveaux impératifs, imprévus ou même peut-être déjà inclus dans la structure même de ce qui est là et que l’on ne sait pas voir encore. Tout à coup, on comprendrait qu’on est déjà dans un autre monde, que le passé n’était qu’un enfer construit d’illusions, un cauchemar dont on se serait enfin réveillé en une sorte de satori nous faisant retrouver la pureté des origines…

page(s) 48-49
• Accordé au cours des choses selon le sans-penser

Ce que l'école Huayan pense dans les termes d'une totalité binaire, l'homme du chan renonce à le penser d'une façon théorique ou abstraite. Héritier du taoïsme, il s'accorde au cours des choses selon le sans-penser. Cette union vide à la vacuité d'un monde non pensé est une adhésion au principe même du vivant. Ceux qui, dupes du langage objectivant, ne comprennent pas intimement cette réalisation sans sujet ni objet la conçoivent comme une « fusion », mais ce terme est trompeur. Là où le sage se libère automatiquement du percept au profit de l'état primordial du sans-penser, ils sont restés enfermés dans la pensée pensante et donc dans l'aliénation à leur nature foncière.

page(s) 68
• Acquiescement au grand mouvement des choses

Il pleut, le niveau du ruisseau monte. Que l'impermanence soit bouddhéité, comment le comprendre au jour le jour, juste là où l'on est ? Sans doute y faut-il une acceptation, un accord. Une disposition intérieure, et non de la pensée.

Prenons les choses autrement, mettons-nous dans la disposition des moines-poètes de l'Extrême-Orient, et disons : l'éphémère lui-même est l'absolu. C'est là ce qu'ont montré les grands maîtres du haïku de l'école Bashō : Issa, Buson, Santoka, Masaoka Shiki. Un absolu qui se révèle dans les faits les plus insignifiants en apparence. Cet absolu, où est-il ?

« Vous me demandez pourquoi je vis au profond des montagnes, je souris mais ne réponds point » formule Libai – ou Li Po, le grand poète des Tang - dans un de ses poèmes. Voilà une réponse silencieuse qui, de quelque façon, témoigne d'une compréhension du fond des choses. Celle-ci n'est pas de l'ordre d'une acquisition, elle serait bien plutôt de l'ordre d'une perte !

Ainsi de ma vie dans les monts, qui est peut-être plutôt du côté d'un abandon que d'un esprit de recherche – d'un acquiescement au grand mouvement des choses.

page(s) 45-46
• « Un mont, si haut qu’il soit, craint un homme lent »

Sagesse et détermination font plus que force ni que rage. Pour qui est déterminé, le temps ne compte pas. Si haute que soit la montagne, si loin que soit le but, celui-ci l'atteindra. Mais si la montagne craint l'homme lent, c'est aussi qu'il y a dans l'homme lent quelque chose de plus grand encore que la montagne.

Un autre proverbe dit : « Celui qui se hâte ne sait pas, celui qui sait ne se hâte pas ».

page(s) 17