Baptiste Morizot

Portrait de Morizot

Quelques ouvrages

Quelques extraits

• Amorcer les puissances autonomes de régénération

On ne régénère pas le vivant, on amorce ses puissances autonomes de régénération : on le laisse exprimer sa résilience propre, on met en place les conditions minimales, délicates, discrètes, pour qu’il retrouve sa pleine vitalité. De manière autonome, réparer les dispositifs d’autonomie pour pouvoir disparaître comme réparateur. Défendre le vivant, c’est à un égard précis comme éduquer un enfant, il s’agit d’œuvrer à sa propre inutilité comme éducateur ou aménageur : c’est travailler à son propre effacement.

page(s) 48-49
• Notre dérisoire longévité

En tant qu’individus humains, notre longévité est dérisoire au regard de celle d’un arbre, d’un corail, d’une forêt ancienne, d’un écosystème. Or la Grande vie des écosystèmes, des poumons verts forestiers, des cycles de carbone, de l’évolution des espèces, est la condition de la petite vie des individus.

page(s) 16
• Une crise de nos relations au vivant

La crise écologique qui est la nôtre est bien une crise des sociétés humaines : elle met en danger le sort des générations futures, les bases mêmes de notre subsistance, et la qualité de nos existences dans des environnements souillés. C’est aussi une crise des vivants : sous la forme de la sixième extinction des espèces, de la défaunation, comme de la fragilisation des dynamiques écologiques et des potentiels d’évolution de la biosphère par le changement climatique. Mais c’est aussi une crise d’autre chose, de plus discret, et peut-être plus fondamental. Ce point aveugle, j’en fais l’hypothèse, c’est que la crise écologique actuelle, plus qu’une crise des sociétés humaines d’un côté, ou des vivants de l’autre, est une crise de nos relations au vivant.

page(s) 13
• D’autres manières d’être vivant

[L]es animaux ne sont pas plus bestiaux que nous, pas plus qu’ils ne sont plus libres. Ils n’incarnent pas une sauvagerie débridée et féroce (c’est un mythe de domesticateur), pas plus qu’une innocence plus pure (c’est son envers réactif). Ils ne sont pas supérieurs à l’humain en authenticité ou inférieurs en élévation : ils incarnent avant tout d’autres manières d’être vivant.

page(s) 22
• Le monde n’est habitable pour nous que s’il l’est aussi pour les autres vivants

[Ce que les] peuples [premiers] activent déjà tous les jours dans leurs relations avec le vivant, c’est que la vie n’est vivable pour les humains que si elle l’est pour le tissu du vivant dans son ensemble. Que le monde n’est habitable pour nous que s’il l’est aussi pour les autres vivants, puisque nous ne sommes qu’un nœud de relations tissé aux autres formes de vie.

page(s) 54
• Le mythe du sujet libre, allié objectif de la crise écologique

Le sujet humain seul dans un univers absurde, entouré de pure matière à portée de main comme stock de ressources, ou sanctuaire pour se ressourcer spirituellement, est une invention fantasmatique de la modernité. De ce point de vue, les grands penseurs de l’émancipation qu’ont pu être Sartre ou Camus, et qui ont probablement infusé leurs idées en profondeur dans la tradition française, sont des alliés objectifs de l’extractivisme et de la crise écologique. Il est intrigant de réinterpréter ces discours d’émancipation comme étant des vecteurs de grande violence. Pourtant ce sont eux qui ont transformé en croyance fondatrice de l’humanisme tardif le mythe suivant lequel nous étions les seuls sujets, libres, dans un monde d’objets inertes et absurdes ; voués à donner du sens par notre conscience à un monde vivant qui en serait dépourvu.

page(s) 30-31
• Nécessaire attention au tissage des autres formes de vie

Être chez soi, c’est [pour le « moderne moyen »] pouvoir vivre sans faire attention. Or pour les autochtones, c’est l’inverse, le chez-soi implique cette vigilance vibratile, cette attention au tissage des autres formes de vie, qui enrichissent l’existence, même s’il faut composer avec elles et que c’est souvent exigeant, parfois compliqué. La concorde est coûteuse en intelligence diplomatique entre humains, elle l’est aussi avec les autres vivants.

page(s) 27
• La nature, décor ou support de projection

[O]n considère les vivants essentiellement comme un décor, comme une réserve de ressources à disposition pour la production, comme un lieu de ressourcement ou comme un support de projection émotionnel et symbolique. Être un décor et un support de projection, c’est avoir perdu sa consistance ontologique.

page(s) 13
• Violence innocente de notre cécité

Combien de fois n’avons-nous rien vu de ce qui se tramait de vivant dans un lieu ? […] Pas de reproches, mais une certaine tristesse à l’égard de cette cécité, de sa portée, et de sa violence innocente.

page(s) 14
• L’« essentiel » aux yeux du « moderne moyen »

[S]e consacrer à l’« essentiel » aux yeux du momo [le « moderne moyen »] : les relations entre congénères humains. Relations de pouvoir, d’accumulation, de prestige, d’amour, de famille, sur fond d’un décor inanimé, constitué par les dix millions d’autres espèces qui, soit dit en passant, sont nos parentes.

page(s) 27