Jean-Pierre Schnetzler

Portrait de Jean-Pierre Schnetzler

Jean-Pierre Schnetzler (1929-2009) était psychiatre et psychanalyste jungien.

Méditant bouddhiste, il a été à l'origine de la création de deux centres de bouddhisme tibétain Kagyu : Karma Migyur Ling à Montchardon (Isère) et Karma Ling dans l'ancienne chartreuse de Saint-Hugon à Arvillard (Savoie). Jean-Pierre Schnetzler a également beaucoup œuvré à des rencontres œcuméniques entre bouddhistes et chrétiens.

Contribution dans

Couverture de Méditation et psychothérapie

Quelques ouvrages

Quelques extraits

• Lecture du stūpa

La lecture symbolique du stūpa se fait de façon ascendante, en partant de la base du monument. Le socle représente les Dix vertus, fondement de la pratique spirituelle : protéger la vie, pratiquer la générosité, préserver l'éthique, dire la vérité, réconcilier, parler de façon calme et douce, avoir un discours sensé, développer le contentement, la bienveillance et la confiance en les vues justes.

Sur la base de la moralité, l'aspirant à l'éveil s'en remet aux Trois joyaux : le Bouddha, l'enseignement (le dharma) et la communauté de ceux qui pratiquent (la sangha) symbolisés par les trois marches surmontant le socle de l'édifice.

La partie qui abrite le « moulin à prières » est appelée le « trône des lions » et signifie la souveraineté intérieure.

Les deux petites marches au-dessus représentent les Six vertus transcendantes qu'il convient de développer : générosité, éthique, patience, persévérance, méditation et sagesse.

Les quatre angles de la dalle supérieure illustrent les qualités illimitées de l'amour, de la compassion, de la joie et de l'équanimité [Quatre illimités] qui s'élèvent dans l'esprit et rayonnent dans les quatre directions.

La partie sphérique, le « vase », symbolise les Sept branches de l'éveil ; l'ombrelle, l'état du Bouddha ; la lune et le soleil, l'élimination de toute souffrance et le rayonnement des mille lumières de la compassion ; le joyau sommital, la réalisation de tous les souhaits.

Les quatre paires d'yeux regardant dans les quatre directions symbolisent l'omniscience du Bouddha.

page(s) 39-40
• Les étapes du cheminement dans le bouddhisme tantrique

La lignée Kagyupa est l'une des quatre écoles du Vajrayāna. Son nom signifie littéralement « la lignée de la tradition orale ». Elle met l'accent sur l'importance de la relation maître-disciple et la nécessité d'une pratique immédiate de la méditation, sans de longues études théoriques préalables. Dans le cadre des doctrines et pratique connues du bouddhisme tantrique, elle propose une méthode progressive, dont nous allons évoquer quelques étapes.

La première est de méditer, au sens d'une réflexion approfondie et soutenue, sur les quatre idées fondamentales qui détournent l'esprit du cycle des existences : le fait d'être doté d'une précieuse existence humaine libre et bien pourvue, qui rend possible la libération ; l'impermanence universelle des phénomènes ; la souffrance inévitable dans toutes les formes de l'existence cyclique ; l'enchaînement inéluctable de la loi régissant les causes et conséquences, positives ou négatives. La conclusion nécessaire de ce travail est qu'il faut s'engager sans perdre de temps sur le chemin de la libération.

La suivante est constituée par les pratiques préliminaires spéciales. La première de celles-ci est la prise de refuge dans le Bouddha, la loi (dharma) et la communauté (sangha), où la récitation de la formule du refuge et les visualisations correspondantes des maîtres de la lignée s'effectuent un grand nombre de fois, cependant que le corps entier se prosterne au sol, pour incarner solidement la décision. La méditation suivante utilise le mantra et la visualisation de la forme particulière du Bouddha destinée à purifier le pratiquant. Celui-ci, heureusement nettoyé, va découvrir ses richesses puis, dans la troisième pratique, les abandonner, en offrant de façon répétée un mandala, dessin symbolique de l'univers. Enfin, le quatrième stade est consacré au développement de la dévotion envers le maître spirituel, et le Bouddha qu'il manifeste, à travers lesquels s'écoule l'énergie inspiratrice.

Vient alors la pratique d'une divinité d'élection, yidam en tibétain, qui répond à une connexion établie, une aspiration ressentie, ou est conseillée par le maître. Les plus pratiquées manifestent le compassion (Avalokiteshvara), la forme féminine protectrice (Tara), la sagesse (Manjushri), du Bouddha. Leur méditation visualisante et leur mantra vont désormais accompagner et transformer la vie quotidienne du pratiquant laïque, car toutes les méthodes sont compatibles avec une vie dans le monde, mais pas mondaine. Chez ceux qui effectuent une retraite de longue durée sont enseignés les six yogas de Naropa, qui couronnent l'édifice des méthodes tantriques, lesquelles comprennent de nombreuses autres techniques. Leur trait commun est de transformer ou transmuter l'être, en s'appuyant sur les formes et les énergies.

Pour ceux qui sont plus attirés par les méthodes dépouillées, informelles et austères, l'école conseille aussi la pratique de la concentration, sur un support simple, la respiration par exemple, et celle de la vision pénétrante, d'une façon voisine de celles connues dans le Grand Véhicule, chinois ou japonais. La fin de la route, comme des méthodes formelles, est la pratique du Mahāmudrā, qui est l'expression simple et nue de la conscience naturellement pure, vide et lumineuse.

page(s) 36-37
• Le domaine inférieur

Le domaine inférieur dit du désir sensuel (kāma) est caractérisé par la fixation du mental sur ces désirs et, lorsqu'il est lié à un corps matériel, sur les actions correspondantes effectuées dans ce domaine.

page(s) 15
• Les trois poisons enferment dans le karma

[L]'homme ordinaire est lié par les trois « poisons » agissant de concert : l'ignorance et les attachements positifs et négatifs. Ceux-ci enferment dans le cercle des actions et réactions causales que le bouddhisme appelle karma. Le poids déterminant de cette causalité issue du passé, qui agit dans l'ombre, ne permet même pas à l'homme de voir comment il est lié. Même s'il constate sa souffrance, il n'en connaît pas précisément les causes profondes, encore moins les méthodes pour s'en dégager.

page(s) 14-15
• Le refoulement de la mort

Le refoulement de la mort dans l'Occident contemporain a fini par aboutir à un retour du refoulé. Notre monde déchristianisé avait remplacé le souci des fins dernières et de la vie spirituelle aujourd'hui, par celui exclusif de la vie matérielle, donc les valeurs de l'être par celles de l'avoir. Sous ces deux aspects, la mort signe une faillite. On comprend la nécessité, pour un monde dont elle marque l'échec intolérable, de la refouler aussi complètement que possible.

page(s) 109
• C’est la connaissance juste qui délivre

Faut-il rappeler que pour le Bouddha c'est la connaissance juste qui délivre, donc aussi le rappel exact au souvenir, qui doit surmonter la tendance universelle à l'amnésie ?

page(s) 156
• Le domaine moyen

Le domaine moyen ou de la forme pure (rūpaloka), ne comprend que l'activité mentale libérée (au moins temporairement) des attraits du monde du désir et tournée uniquement vers les représentations formelles unies aux concepts et aux sentiments purs. Ses caractéristiques sont : la concentration, la lucidité, le bonheur ou la joie et la sérénité.

Ce domaine peut être expérimenté en cette vie même, lors de la méditation qui atteint l'extase ou enstase (dhyāna), et au long cours après la mort, en des états immatériels de type paradisiaque. La maîtrise parfaite du mental à ce niveau conduit à celle correspondante des éléments grossiers et à la démonstration, dans le monde du désir, des pouvoirs, dits spirituels ou supra normaux (abhijñā).

page(s) 16
• « Naissance-et-mort » constitue la vie

[L]e scandale radical constitué par la mort, fin absolue dans une optique matérialiste de droit ou de fait, a déclenché un vaste processus de négation et de refoulement.

Il n'en est rien dans les sociétés traditionnelles, qui ont toujours pris en compte la mort dans la vie ou plus exactement qui ont toujours envisagé le couple indissociable naissance et mort, et ceci dans une conception de l'être bien différente de celle de nos contemporains dans leur grande majorité. En ce sens, l'opposition de la mort et à la vie n'est pas pertinente, il faut voir que « naissance-et-mort » constitue la vie.

page(s) 16
• Laisser le moi se défaire

La consigne de base est d'être conscient de tout ce qui se présente, sans rien choisir ni éliminer. L'esprit est complètement ouvert. Toutefois la sensation du corps assis, immobile, qui respire, constitue la base à laquelle revient l'attention si rien ne se présente. Un deuxième travail de base consiste à rectifier la posture si celle-ci se détériore sous l'effet de la pesanteur et de la fatigue. À cela se borne l'ambition du méditant, qui n'attend rien, une ambition théoriquement facile à satisfaire ! Les résultats surviendront spontanément quand ils seront mûrs, on ne sait quand.

Tout le travail consiste à contempler le viol constant des consignes par l'irruption des phénomènes mentaux les plus divers. Les discours intérieurs fascinent, les images captent et l'on se trouve vite sur une plage, en vacances. Le mental agité se comporte comme un bande de singes et il n'y a rien d'autre à faire que de contempler les mœurs simiesques avec sympathie et lucidité. Il convient de voir le phénomène, sans rien y ajouter, ni pour ni contre, et de le laisser disparaître, ce qui est son évolution naturelle dès lors qu'aucune énergie ne s'y investit plus. L'attention revient alors à la sensation corporelle.

Cette séquence élémentaire : voir purement le phénomène, s'en détacher, le laisser disparaître, est le schéma microscopique du nirvāna. Répété des millions de fois, il assure la venue à la conscience claire de tous les attachements et de toutes les visions erronées, qui ont constitué au fil des ans et des vies, cette illusion monumentale et douloureuse que nous appelons notre moi. Il n'y a rien d'autre à faire qu'à laisser se défaire les nœuds du réseau enchevêtré de nos identifications et appropriations. Nous pouvons alors revenir à l'esprit dans son état fondamental et y demeurer sans distraction, toujours disponible pour contempler le moi, ce malfaiteur tourmenté. Sagesse et compassion feront disparaître ses souffrances et le libéreront de l'illusion de soi.

page(s) 33
• Des cache-misères pour ne pas voir la réalité de la souffrance

— Qu'est-ce qui vous a le plus marqué durant votre carrière de médecin psychiatre ?

— Comme la majorité de mes collègues, j'ai remarqué une augmentation considérable des troubles névrotiques, des états dépressifs et conflictuels : les maladies du monde moderne. La France détient le triste record en Europe occidentale de la consommation des antidépresseurs, des anxiolytiques, de l'alcool. La consommation de la drogue et les suicides y sont en hausse. Une population à la dérive utilise des cache-misères pour ne pas voir la réalité de sa souffrance. Être scotché devant sa télévision ne suffit pas pour oublier qu'il n'y a aucun point de repère. La « religion » du frigidaire n'est pas suffisante pour remplacer le Christ. Le vide est angoissant. Il reste la psychothérapie, dont je ne médis pas, souvent indispensable, toujours insuffisante.

page(s) 24
• Il n'est pas demandé de croire, mais d'expérimenter

Le Bouddha ne demande pas de croire, d'adhérer simplement à un texte, mais d'expérimenter et de vérifier, de voir par la pratique : les bienfaits de l'éthique, la paix engendrée par la concentration méditative, la liberté résultant de la vision pénétrant au travers des liens psychiques conflictuels, etc. Cela ne peut pas être obtenu par la simple adhésion passive à un enseignement révélé par le Bouddha. La confiance et la foi ne suffisent pas.

page(s) 16-17
• Obstacles culturels à la compréhension

Un enseignant chargé d'exposer les base du bouddhisme, et de la pratique méditative qui est un de ses fondements, se trouve confronté d'abord aux obstacles culturels multiples qui empêchent la compréhension en profondeur de cette voie de libération venue d'Orient. Nous résumerons fortement, en distinguant trois grands domaines d'erreur :

• Le dogmatisme du matérialisme scientiste, voire de certains courants psychanalytiques, ne donne pas droit à l'existence aux valeurs spirituelles, ni aux phénomènes psychiques qui accompagnent une pratique, dont la qualité dite religieuse est pour eux condamnable. Une séquelle de ces conceptions, même discrète voire dissimulée, est un obstacle à la compréhension du bouddhisme. Il va de soi que la science réelle et ses méthodes n'y font pas obstacle, vu le caractère largement expérimental et rationnel de l'enseignement bouddhique, qui toutefois dépasse la vision scientifique ordinaire.

• Le dogmatisme de la vérité religieuse unique, possédée exclusivement par un monothéisme dans sa version intégriste, a pu laisser des traces dans le mental de l'auditeur, ne serait-ce que sous la forme d'un conflit ancien ou d'une hostilité vague à tout ce qui ressemble à une autre religion.

• Le large consensus de civilisation touchant l'individualisme jouisseur du moderne libéré des contraintes fait que certains viennent consommer du bouddhisme et de la méditation pour leur confort. Le but est légitime et utile, mais limité, et fait obstacle à une pratique profonde libératrice.

page(s) 7-8
• Le bouddhisme, une « théologie négative »

Le bouddhisme est cet itinéraire spirituel, qui débouche sur la réalité ultime, dont il parle comme les mystiques contemplatifs de toutes les traditions, mais avec parcimonie dans le langage, bien connu dans le christianisme, de la théologie négative, où tous les spirituels se retrouvent.

page(s) 7
• Expérimenter nos potentialités naturelles

La méditation bouddhique est une voie universelle, qui permet d'expérimenter les potentialités naturelles déposées dans la structure même de l'être humain, lorsque le mental n'est plus troublé par les imperfections auxquelles il s'identifie, à tort.

page(s) 38
• Impensable transmigration

La transmigration est impensable pour l'Occidental moyen. Elle met en cause le fondement du consensus de civilisation, religieux autrefois, scientifique aujourd'hui. De ce fait, elle est donc éliminée, soit automatiquement, soit à la suite d'une censure volontaire.

page(s) 41
• L’oubli est la folie ordinaire

Pour les Grecs, la mort se définit comme le domaine de l'oubli et seul «  celui qui dans l'Hadès garde la mémoire transcende la condition mortelle » [Jean-Pierre Vernant].

L'Orient décrit aussi l'oubli ou l'inattention comme la mort spirituelle. Pour le Bouddha, l'inattentif est « déjà mort ». En somme, l’oubli est la folie ordinaire. Sa fonction essentielle est de nous protéger de ce qui nous est pénible : le refoulement est le principal mécanisme de défense de la vie courante décrit par la psychanalyse. Ainsi oublions-nous nos douleurs passées et l'arrivée prévisible des conséquences imparables de nos erreurs. Nous nous maintenons dans le confort médiocre du mensonge, dans le royaume de Māra, le diable bouddhique ou de Satan, le père du mensonge (Jean, 8, 44). […]

Du point de vue du moi empirique et à court terme, l'oubli est bénéfique puisqu'il protège de la souffrance. De plus, réintégrer en soi des représentations de situations qui vont en général détériorer notre image de nous-mêmes, et affronter les affects pénibles qui y sont liés, à la fois blesse notre narcissisme et nous fait peur. De là, nos évitements à répétition, alors qu'il faut, au contraire, affronter à répétition jusqu'à ce que les affects soient déchargés et que la défense qui dit « non, je ne veux pas, ce n'est pas vrai », cède la place à la connaissance qui dit « oui, c'est ainsi ».

page(s) 46
• Il n'y a rien à faire, mais tout à défaire

La méditation de la vision pénétrante (vipassanā, sk.) est l'exercice spontané de la nature de Bouddha présente en chacun de nous. Il suffit d'être là. C'est cette nature qui permet de transcender les attachements, les conflits et les voiles de l'ignorance, d'aller au-delà du circuit répétitif où s'enferme celui qui est identifié à ce niveau. La réalité fondamentale c'est cette capacité de franchir une limite ultimement illusoire. Un matérialiste ne verra dans cette capacité transcendante qu'une chimère divine. Un bouddhiste l'utilisera, traversera le voile et se libérera. Il est vrai que cette divine simplicité est ce qu'il y a de plus difficile : il n'y a rien à faire, mais tout à défaire, et le moi qui risque sa peau ne va pas se laisser faire.

page(s) 32
• Silence sur les questions métaphysiques

Essayons d'abord d'apprécier la signification du silence par lequel le Bouddha Śākyamuni accueille les questions métaphysiques ultimes. Ce n'est pas le silence de l'ignorance car le Bouddha prend soin d'affirmer que ce qu'il sait, par rapport à ce qu'il enseigne, est comparable au feuillage de la forêt par rapport aux feuilles tenues dans une seule main. Quand on lui pose quatorze questions, cosmogoniques ou métaphysiques ultimes, portant sur l'état du Bouddha après la mort, le caractère éternel ou non du monde, son origine créée ou non, etc., il demeure silencieux. Mais il prend aussitôt la parole pour expliquer son silence : une réponse théorique forcément imparfaite « ne conduit pas au bien-être, au dharma, à la vie sainte, au détachement, au sans-passion, à la cessation, à la tranquillité, à la réalisation, à l'illumination, au nirvāna ».

page(s) 167-168
• Le domaine supérieur

Le domaine supérieur ou informel (arūpa) est celui où la conscience contemplative, plongée dans les enstases du monde sans forme, s'affranchit de toutes les limites conceptuelles et formelles encore présentes dans le royaume de la forme pure. Elle s'absorbe alors uniquement dans l'infinité de l'espace, puis de la pensée, puis du rien, enfin de l'au-delà de tout reliquat positif ou négatif. Cette vastitude infinie est encore cependant considérée comme une condition de renaissance possible, en raison de l'attrait, si subtil soit-il, que la conscience peut éprouver pour cet état si elle n'est pas entièrement purgée de ses facteurs d'attachement. Ce domaine où l'esprit transcende toute limite individuelle n'est donc pas encore celui de la libération ultime.

page(s) 16
• La stupidité fondamentale

— Comment guérir l'être humain de sa stupidité fondamentale ?

— Cette stupidité fondamentale, dont l'orgueil est le centre, n'est-elle pas le péché originel dont parle le christianisme ?

— Bien entendu. Je suis convaincu que c'est ce que le christianisme nomme le péché originel et le bouddhisme l'ignorance. C'est l'inflation de l'ego, avec ses préjugés, son aveuglement. L'homme se croit être le centre du monde. Il s'imagine exister par lui-même de façon autonome, en ayant le droit de faire ce qui plaît à son ego.

page(s) 23