Simone Weil

Portrait de Simone Weil

Simone Weil (1909-1943) était une philosophe française dont la vie eut l'éclat et la brièveté d'une étoile filante.

Étudiante brillante, passionnée par la pensée grecque, agrégée de philosophie à vingt-deux ans, elle fut professeur au lycée du Puy-en-Velay de 1931 à 1933, puis à Roanne de 1933 à 1934.

Libertaire, ayant étudié en profondeur l’œuvre de Marx, elle fraya avec les anarcho-syndicalistes militants trotskystes de la révolution prolétarienne, tout en restant indépendante de tout parti politique. Elle se mit au service en partageant son salaire avec des chômeurs.

Militante conséquente, afin de connaître la misère de l'intérieur, elle se fit embaucher aux usines Renault comme ouvrière à la chaîne en 1934. Elle restera donc comme l'une des rares intellectuelles à avoir vécu la pression des cadences, la fatigue, la faim et l'angoisse du licenciement propres à la condition ouvrière.

À l'automne 1935, elle redevint professeur de philosophie au lycée de Bourges, donnant une grande partie de sa paie à des nécessiteux.

En 1936, au début de la guerre civile espagnole, elle partit pour Barcelone s'engager dans la colonne Durruti.

Pourtant juive ayant été élevée dans l'agnosticisme, après diverses expériences – à la chapelle romane au cœur de la basilique d'Assise, à l'abbaye bénédictine de Solesmes –, elle connut à partir de 1936 l'illumination mystique. Elle resta toutefois anti-religieuse, éloignée de l’Église et jamais baptisée. En 1941, réfugiée à Marseille, elle y rencontra des dominicains, diffusa Témoignage chrétien et fit la connaissance de Gustave Thibon (qui éditera plus tard des extraits de ses cahiers de l'époque sous le titre La pesanteur et la grâce).

Après avoir accompagné ses parents à New-York, elle arriva fin 1942 à Londres pour servir la France libre. Mais sa santé se dégrada, ses privations de nourriture par solidarité n'arrangeant rien à l'affaire. Elle mourut d'épuisement (et de souffrance morale ?) dans un sanatorium anglais en août 1943.

Ce qui frappe dans ce parcours singulier, c'est la permanence de la compassion la plus vive pour tous les déshérités – victimes de l'oppression sociale, puis de la guerre – qu'elle a toujours accompagnés dans l'épreuve, se privant de tout confort pour partager, voire jeûnant. Catholique totalement atypique, sa profonde vie spirituelle, sa charité et sa quête de justice l'ont fait reconnaître comme mystique chrétienne.

Dans la théodicée qu'elle développe, c'est dans le consentement inconditionnel au malheur que s'accomplit notre humanité, par renoncement à soi (« décréation »). C'est dans cette dissolution du moi que se révèle la « plénitude de l'amour de Dieu ». Et à la racine de ce processus, l’attention, la vigilance.

Quelques ouvrages

Quelques extraits

• Nous ne pouvons en aucun cas fabriquer

En toutes choses, seul ce qui nous vient du dehors, gratuitement, par surprise, comme un don du sort, sans que nous l'ayons cherché, est joie pure. Parallèlement, le bien réel ne peut venir que du dehors, jamais de notre effort. Nous ne pouvons en aucun cas fabriquer quelque chose qui soit meilleur que nous. Ainsi l'effort tendu véritablement vers le bien ne doit pas aboutir ; c'est après une tension longue et stérile qui se termine en désespoir, quand on n'attend plus rien, que du dehors, merveilleuse surprise, vient le don. Cet effort a été destructeur d'une partie de la fausse plénitude qui est en nous. Le vide divin, plus plein que la plénitude, est venu s'installer en nous.

page(s) 58
• Supporter un moment le vide

L'homme n'échappe aux lois de ce monde que la durée d'un éclair. Instants d'arrêts, de contemplation, d'intuition pure, de vide mental, d'acceptation du vide moral. C'est par ces instants qu'il est capable de surnaturel.

Qui supporte un moment le vide, ou reçoit le pain surnaturel, ou tombe. Risque terrible, mais il faut le courir, et même un moment sans espérance. Mais il ne faut pas s'y jeter.

page(s) 19
• Le bien pur : accompli presque malgré soi

Le bien accompli presque malgré soi, presqu'avec honte et remords, est pur. Tout bien absolument pur échappe complètement à la volonté. Le bien est transcendant.

page(s) 56-57
• Saisir des pensées inexprimables

Tout esprit enfermé par le langage est capable seulement d'opinions. Tout esprit devenu capable de saisir des pensées inexprimables à cause de la multitude des rapports qui s'y combinent, quoique plus rigoureuses et plus lumineuses que ce qu'exprime le langage le plus précis, tout esprit parvenu à ce point séjourne déjà dans la vérité.

page(s) 68-69
• La joie parfaite

La joie parfaite exclut le sentiment même de joie, car dans l'âme emplie par l'objet, nul coin n'est disponible pour dire « je ».

page(s) 41
• Amitié, compassion, gratitude

L'amitié est le miracle par lequel un être humain accepte de regarder à distance et sans s'approcher l'être même qui lui est nécessaire comme une nourriture. C'est la force d'âme qu'Ève n'a pas eue ; et pourtant elle n'avait pas besoin du fruit. Si elle avait eu faim au moment où elle regardait le fruit, et si malgré cela elle était restée indéfiniment à le regarder sans faire un pas vers lui, elle aurait accompli un miracle analogue à celui de la parfaite amitié.

Par cette vertu surnaturelle du respect de l'autonomie humaine, l'amitié est très semblable aux formes pures de la compassion et de la gratitude suscitées par le malheur.

page(s) 37-38
• La félicité au-delà de la consolation et de la douleur

[I]l ne faut jamais chercher une consolation à la douleur. Car la félicité est au-delà du domaine de la consolation et de la douleur. Elle est perçue avec un autre sens, comme la perception des objets au bout d'un bâton ou d'un instrument est autre que le toucher proprement dit. Cet autre sens se forme par le déplacement de l'attention au moyen d'un apprentissage où l'âme tout entière et le corps participent.

page(s) 33
• La croyance à l'immortalité est nuisible

La croyance à l'immortalité est nuisible parce qu'il n'est pas en notre pouvoir de nous représenter l'âme comme vraiment incorporelle. Ainsi cette croyance est en fait croyance au prolongement de la vie, et elle ôte l'usage de la mort.

page(s) 48
• Cette partie du cœur qui crie contre le mal

Excepté l'intelligence, la seule faculté humaine vraiment intéressée à la liberté publique d'expression est cette partie du cœur qui crie contre le mal.

page(s) 31
• Être rien

Une fois qu'on a compris qu'on n'est rien, le but de tous les efforts est de devenir rien. […]

Être rien pour être à sa vraie place dans le tout.

page(s) 44-46
• Seule l'éternité guérit de l'attente

Quand on est déçu par un plaisir qu'on attendait et qui vient, la cause de la déception, c'est qu'on attendait de l'avenir. Et une fois qu'il est là, c'est du présent. Il faudrait que l'avenir fût là sans cesser d'être l'avenir. Absurdité dont seule l'éternité guérit.

page(s) 29
• Ce qui est sacré

Ce qui est sacré, bien loin que ce soit la personne, c'est ce qui, dans un être humain, est impersonnel.

Tout ce qui est impersonnel dans l'homme est sacré, et cela seul. […]

Ce qui est sacré dans la science, c'est la vérité. Ce qui est sacré dans l'art, c'est la beauté. La vérité et la beauté sont impersonnelles.

page(s) 34-36
• Le passage dans l'impersonnel

Le passage dans l'impersonnel ne s'opère que par une attention d'une qualité rare et qui n'est possible que dans la solitude. Non seulement la solitude de fait, mais la solitude morale. Il ne s'accomplit jamais chez celui qui se pense lui-même comme membre d'une collectivité, comme partie d'un « nous ».

page(s) 37
• Les désirs sont vrais en tant qu'énergie

Descendre à la source des désirs pour arracher l'énergie à son objet. C'est là que les désirs sont vrais en tant qu'énergie. C'est l'objet qui est faux. Mais arrachement indicible dans l'âme à la séparation d'un désir et de son objet.

page(s) 31
• Le malheur n’est pas un mal

D'une manière tout à fait générale, il y a malheur toutes les fois que la nécessité, sous n'importe quelle forme, se fait sentir si durement que la dureté dépasse la capacité de mensonge de celui qui subit le choc. C'est pourquoi les êtres les plus purs sont les plus exposés au malheur. Pour celui qui est capable d'empêcher la réaction automatique de protection qui tend à augmenter dans l'âme la capacité de mensonge, le malheur n’est pas un mal, bien qu'il soit toujours une blessure et en un sens une dégradation.

page(s) 34
• L'humilité abolit l'imaginaire

L'humilité a pour objet d'abolir l'imaginaire dans le progrès spirituel. Aucun inconvénient à se croire beaucoup moins avancé qu'on n'est : la lumière n'en opère pas moins son effet, dont la source n'est pas dans l'opinion. Beaucoup à se croire plus avancé, car alors l'opinion a un effet.

page(s) 65
• Transformer les liens en amitié

Quand les liens d'affection et de nécessité entre êtres humains ne sont pas surnaturellement transformés en amitié, non seulement l'affection est impure et basse, mais aussi elle se mélange de haine et de répulsion. […] Nous haïssons ce dont nous dépendons. Nous prenons en dégoût ce qui dépend de nous. […]

Quand le Christ disait à ses disciples : « Aimez-vous les uns les autres », ce n'était pas l'attachement qu'il leur prescrivait. Comme en fait il y avait entre eux des liens causés par les pensées communes, la vie en commun, l'habitude, il leur commandait de transformer ces liens en amitié pour ne pas les laisser tourner en attachements impurs ou en haine.

page(s) 41-42
• On ne peut offrir autre chose que le je

Offrande : on ne peut offrir autre chose que le je, et tout ce qu'on nomme offrande n'est pas autre chose qu'une étiquette posée sur une revanche du je.

page(s) 35
• La nécessité, principe de l’impureté

Une amitié est souillée dès que la nécessité l'emporte, fût-ce pour un instant, sur le désir de conserver chez l'un et chez l'autre la faculté de libre consentement. Dans toutes les choses humaines, la nécessité est le principe de l’impureté. Toute amitié est impure s'il s'y trouve même à l'état de trace le désir de plaire ou le désir inverse. Dans une amitié parfaite ces deux désirs sont complètement absents.

page(s) 36-37
• Actes de vertu

Faire seulement, en fait d'actes de vertu, ceux dont on ne peut pas s'empêcher, ceux qu'on ne peut pas ne pas faire, mais augmenter sans cesse par l'attention bien dirigée, la quantité de ceux qu'on ne peut pas ne pas faire.

page(s) 55