Où atterrir ?

Comment s'orienter en politique
La découverte, 2017
12 cm x 19 cm, 160 pages


Couverture de Où atterrir ?

Extraits de l'ouvrage

• Migrants de l'intérieur, privés de terre

Aux migrants venus de l'extérieur qui doivent traverser des frontières au prix d'immenses tragédies pour quitter leur pays, il faut dorénavant ajouter des migrants de l'intérieur qui subissent, en restant sur place, le drame de se voir quittés par leur pays. Ce qui rend la crise migratoire si difficile à penser, c'est qu'elle est le symptôme, à des degrés plus ou moins déchirants, d'une épreuve commune à tous : l'épreuve de se retrouver privés de terre. C'est cette épreuve qui explique la relative indifférence à l'urgence de la situation, et pourquoi nous sommes climato-quiétistes quand nous espérons, sans rien faire, que « tout va bien finir par s'arranger… »

page(s) 15
• La nouvelle universalité de la condition humaine

Telle est la nouvelle manière dont nous pouvons ressentir l'universelle condition humaine, une universalité il est vrai tout à fait perverse (a wicked universality), mais la seule dont nous disposions, maintenant que la précédente, celle de la globalisation, semble s'éloigner de l'horizon. La nouvelle universalité, c'est de sentir que le sol est en train de céder.

Elle n'est pas suffisante pour s'entendre et prévenir les guerres futures pour l'appropriation de l'espace ? Probablement pas, mais c'est notre seule issue : découvrir en commun quel territoire est habitable et avec qui le partager.

L'autre branche de l'alternative, c'est de faire comme si de rien n'était et de prolonger, en se protégeant derrière une muraille, le rêve éveillé de l'American way of life dont on sait que bientôt neuf ou dix milliards d'humains ne profiteront pas…

page(s) 19
• S'attacher à un sol et se mondialiser

Le droit le plus élémentaire, c'est de se sentir rassuré et protégé, surtout au moment où les anciennes protections sont en train de disparaître. […] Pour rassurer, il faudrait être capable de réussir deux mouvements complémentaires que l'épreuve de la modernisation avait rendus contradictoires : s'attacher à un sol d'une part ; se mondialiser de l'autre. Jusqu'ici, il est vrai, une telle opération était tenue pour impossible : entre les deux, dit-on, il fallait choisir. C'est à cette apparente contradiction que l'histoire présente est peut-être en train de mettre fin.

 

page(s) 21-22
• La dénégation rend fou

La dénégation n'est pas une situation confortable. Dénier, c'est mentir froidement ; puis oublier qu'on a menti – tout en se souvenant malgré tout constamment de ce mensonge. Cela mine. On peut donc se demander ce qu'un tel nœud fait aux gens qui sont pris dans ses rets. Cela les rend fous.

page(s) 34
• Monde moderne, un oxymore ?

Comme si l'expression monde moderne était devenue un oxymore. Ou bien il est moderne, mais il n'a pas de monde sous ses pieds. Ou bien c'est un vrai monde, mais il ne sera pas modernisable. Fin d'un certain arc historique.

page(s) 46
• Le Terrestre comme nouvel acteur politique

Vers quoi on se dirige : le Terrestre comme nouvel acteur politique.

L'événement massif qu'il s'agit d'encaisser concerne en effet la puissance d'agir de ce Terrestre qui n'est plus le décor, l'arrière-scène, de l'action des humains.

page(s) 56
• Pour les sagesses millénaires non plus, il n'y a pas de précédent

Ce qu'on appelle la civilisation, disons les habitudes prises au cours des dix derniers millénaires, s'est déroulé, expliquent les géologues, dans une époque et sur un espace géographique étonnamment stables. L'Holocène (c'est le nom qu'ils lui donnent) avait tous les traits d'un « cadre » à l'intérieur duquel on pouvait en effet distinguer sans trop de peine l'action des humains, de même qu'au théâtre on peut oublier le bâtiment et les coulisses pour se concentrer sur l'intrigue. […] Aujourd'hui, le décor, les coulisses, l'arrière-scène, le bâtiment tout entier sont montés sur les planches et disputent aux acteurs le rôle principal.

Revenir en arrière ? Réapprendre les vieilles recettes ? Regarder d'un autre œil les sagesses millénaires ? Apprendre des quelques cultures qui n'ont pas encore été modernisées ? Oui, bien sûr, mais sans se bercer d'illusions : pour elles non plus il n'y a pas de précédent.

page(s) 59-60

Quatrième de couverture

Cet essai voudrait relier trois phénomènes que les commentateurs ont déjà repérés mais dont ils ne voient pas toujours le lien — et par conséquent dont ils ne voient pas l’immense énergie politique qu’on pourrait tirer de leur rapprochement.

D’abord la « dérégulation » qui va donner au mot de « globalisation » un sens de plus en plus péjoratif ; ensuite, l’explosion de plus en plus vertigineuse des inégalités ; enfin, l’entreprise systématique pour nier l’existence de la mutation climatique.

L’hypothèse est qu’on ne comprend rien aux positions politiques depuis cinquante ans, si l’on ne donne pas une place centrale à la question du climat et à sa dénégation. Tout se passe en effet comme si une partie importante des classes dirigeantes était arrivée à la conclusion qu’il n’y aurait plus assez de place sur terre pour elles et pour le reste de ses habitants. C’est ce qui expliquerait l’explosion des inégalités, l’étendue des dérégulations, la critique de la mondialisation, et, surtout, le désir panique de revenir aux anciennes protections de l’État national.

Pour contrer une telle politique, il va falloir atterrir quelque part. D’où l’importance de savoir comment s’orienter. Et donc dessiner quelque chose comme une carte des positions imposées par ce nouveau paysage au sein duquel se redéfinissent non seulement les affects de la vie publique mais aussi ses enjeux.