divagation

Extraits étiquetés avec : divagation

  • Moins se souvenir et moins rêver

    Autant de routes où je m'engage, où je dévie ; il faudrait moins se souvenir et moins rêver.

    Quelque chose de lointain et de profond se passe : comme un travail en plein sommeil. La terre n'est pas un tableau fait de surfaces, de masses, de couleurs ; ni un théâtre où les choses auraient été engagées pour figurer une autre vie que la leur. Je surprends un acte, un acte comme l'eau coule. Ou même moins encore : une chose qui serait vraiment là ; peut-être, un acte qui ne serait pas un spectre d'acte, qui ne ressemblerait plus à nos mouvements égarés.

    Couverture de Paysages avec figures absentes
    page(s) 47
  • Ne pas se juger pour les escapades de son esprit

    Bien entendu, je pouvais encore être emporté par des pensées ou des lambeaux de rêverie, passer d'un état d'agitation à un état de torpeur. Mon père me conseilla une autre fois de ne pas trop m'inquiéter de ces événements anodins. Je me rappellerais tôt ou tard qu'il fallait retourner à la simple tâche d'observer tout ce qui se passait à l'instant présent. L'important, c'était de ne pas me juger pour ces baisses d'attention. Cela s'avéra une leçon essentielle parce que, en effet, je n'arrêtais pas de me juger pour ces dérives.

    Mais voici que, une fois encore, cette instruction m'enjoignant de simplement observer mon esprit fut à l'origine d'une surprenante réalisation. Ce qui, dans l'ensemble, me dérangeait, c'étaient ces jugements sur mon expérience.

    Couverture de Bonheur de la sagesse
    page(s) 31
  • Ralentir le flot et trouver de l’espace

    Quand on commence à pratiquer la méditation, on a toutes sortes de choses qui surgissent dans l'esprit comme les brindilles charriées par le courant impétueux d'une rivière. Ces « brindilles » peuvent être des sensations physiques, des émotions, des souvenirs, des projets, et même des pensées comme celle que l'on ne peut pas méditer. Il n'y [a] donc rien de plus naturel que d'être emporté par ces choses, d'être pris, par exemple, par des questions comme celles-ci : pourquoi ne suis-je pas capable de méditer ? Quel est mon problème ? Tous les autres, dans cette salle, ont l'air de pouvoir suivre les instructions ; pourquoi ai-je, moi, tant de mal ? [Mon père] m'expliqua alors que tout ce qui me traversait l'esprit à un moment donné, c'était exactement sur cela qu'il fallait se concentrer, puisque, de toute façon, c'était là que mon attention se trouvait.

    Ce serait l'acte de faire attention, m'expliqua mon père, qui peu à peu ralentirait ces flots impétueux en me permettant de trouver un peu d'espace entre ce que je regardais et la simple conscience de regarder. La pratique aidant, cet espace s'étirerait. Je cesserais progressivement de m'identifier aux pensées, aux émotions et aux sensations que j'éprouvais pour me reconnaître dans la conscience pure de l'expérience que j'en faisais.

    Couverture de Bonheur de la sagesse
    page(s) 25-26
  • La pratique de présence attentive (śamatha)

    S'exercer à faire śamatha, terme sanskrit bien traduit par « la pratique de méditation de présence attentive » (mindfulness ; en tibétain : zhi gnas), repose sur un examen de la nature de notre esprit (et, par conséquent, de l'origine des schémas habituels) qui consiste à prêter attention à ce qui apparaît moment après moment. En d'autres termes, il s'agit d'utiliser l'activité de l'esprit pour aller au-delà de l'esprit, en observant l'expérience telle qu'elle se donne avec un regard frais et interrogateur. […]

    La pratique est avant toute chose fondée sur une attitude de non-agir, qui s'incarne dans le fait de s'asseoir dans une attitude digne (sur le sol ou sur une chaise). […]

    Une fois installé dans cette posture de base, on suit l'injonction de suivre « simplement » ce qui se passe sans s'y engager. Étant donné que l'on ne cesse de respirer, la respiration devient un fil conducteur typique, à titre de fil attentionnel. […]

    Quoi qu'il ne soit pas dit par là que l'on arrête purement et simplement de sentir, de penser et d'avoir des émotions, ces activités sont considérées comme à distance, depuis la position d'un observateur détaché, à la manière de nuages sur le fond de premier plan qu'est la respiration qui se poursuit, inspiration dans les poumons, expiration dans les narines.

    Telle est la manifestation condensée de l'aptitude à laquelle s'exercer par la pratique : développer une présence attentive à ce qui survient dans l'instant présent, avec la respiration comme point de focalisation. Étant donné que toutes sortes d'expériences surgissent du sein de cet espace d'attention, nous retournons explicitement notre attention vers « l'intérieur », de l'objet de l'attention vers l'activité consciente (l'acte, le vécu) qui le vise ; nous ne nous mettons pas à examiner son contenu, son surgissement, son émergence complète, puis à nouveau son retrait à l'arrière-plan.

    Étant donné que des pensées qui nous distraient, des émotions ou des sensations corporelles apparaissent sur le fond de l'attention soutenue portée à la respiration, nous sommes à même de prendre conscience de l'importance des fluctuations par rapport au centre de la focalisation. Nous réalisons que nous n'avons pas simplement suivi notre respiration, mais que nous sommes partis, que nous étions ailleurs, suivant sans but une chaîne de pensées, d'imaginations, de rêves éveillés. Aussitôt que nous remarquons ce sursaut subit par où nous nous rendons compte que nous n'avons pas suivi l'instruction, nous abandonnons simplement la distraction à elle-même et revenons à la respiration, notre objet délibéré d'attention.

    Couverture de Le cercle créateur
    page(s) 390-391
  • Appeler chaque visage, chaque vague et chaque ciel

    Tout le mal dans cette vie provient d'un défaut d'attention à ce qu'elle a de faible et d'éphémère. Le mal n'a pas d'autre cause que notre négligence et le bien ne peut naître que d'une résistance à cet ensommeillement, que d'une insomnie de l'esprit portant notre attention à son point d'incandescence – même si une telle attention pure nous est, dans le fond, impossible : seul un Dieu pourrait être présent sans défaillance à la vie nue, sans que sa présence jamais ne défaille dans un sommeil, une pensée ou un désir.

    Seul un Dieu pourrait être assez insoucieux de soi pour se soucier, sans relâche, de la vie merveilleusement perdue à chaque seconde qui va. Dieu est le nom de cette place jamais assombrie par une négligence, le nom d'un phare au bord des côtes.

    Et peut-être cette place est-elle vide, et peut-être ce phare est-il depuis toujours abandonné, mais cela n'a aucune espèce d'importance : il nous faut faire comme si cette place était tenue, comme si ce phare était habité. Il nous faut venir en aide à Dieu sur son rocher et appeler un par un chaque visage, chaque vague et chaque ciel – sans en oublier un seul.

    Couverture de L'inespérée
    page(s) 130-131
  • Le pur étonnement

    La vulgarité, on dit aux enfants qu'elle est dans les mots. La vraie vulgarité de ce monde est dans le temps, dans l'incapacité de dépenser le temps autrement que comme des sous, vite, vite, aller d'une catastrophe aux chiffres du tiercé, vite glisser sur des tonnes d'argent et d'inintelligence profonde de la vie, de ce qu'est la vie dans sa magie souffrante, vite aller à l'heure suivante et surtout que rien n'arrive, aucune parole juste, aucun étonnement pur.

    Couverture de L'inespérée
    page(s) 23
  • À distance de son vécu

    [L]a première grande découverte de la méditation attentive tend à être non un discernement global quant à la nature de l'esprit, mais la réalisation aigüe de la mesure dans laquelle les êtres humains sont normalement déconnectés de leur propre expérience. Même les activités quotidiennes les plus simples ou les plus agréables – marcher, manger, converser, conduire, lire, attendre, penser, faire des projets, jardiner, faire l'amour, boire, se souvenir, aller chez un thérapeute, écrire, faire un petit somme, s'émouvoir, faire du tourisme –, toutes se déroulent rapidement dans une masse confuse de commentaires abstraits tandis que l'esprit se hâte vers sa prochaine occupation mentale. […] Cette attitude abstraite est le scaphandre, le rembourrage d'habitudes et de préjugés, l'armure avec laquelle il se met habituellement à distance de son propre vécu.

    Couverture de L'inscription corporelle de l'esprit
    page(s) 65-66
  • L'esprit errant

    Habituellement, on ne remarque la tendance de l'esprit à errer que lorsque l'on tente d'accomplir une tâche mentale et que cette errance interfère. Ou peut-être réalise-t-on que l'on vient de terminer une activité agréable sans l'avoir remarquée. En fait, le corps et l'esprit sont rarement coordonnés étroitement. Du point de vue du bouddhisme, nous ne sommes pas présents.

    Couverture de L'inscription corporelle de l'esprit
    page(s) 63
  • Lorsque notre esprit s'éloigne du présent

    Plus notre esprit s'éloigne du présent, plus nous nous mettons à fonctionner sur un mode émotionnel limité. Un faible niveau d'énergie représente un rétrécissement de la conscience, et nous nous sentons diminué et isolé. Nous devenons dogmatique, inflexible et craintif. Alors, nous nous transformons en victime de la peur, de la colère, de la méfiance, du besoin et autres émotions potentiellement destructrices. Moins disponibles, les prodigieuses profondeurs de notre conscience élargie peuvent même devenir menaçantes. Notre aptitude innée à la joie de vivre disparaît. Au lieu de nous sentir relié à nous-même et d'accueillir la vie avec la totalité de notre être, nous vivons de plus en plus dans un soi factice et rigide, composé pour nous protéger de ce que nous ne voulons pas ressentir.

    Dans cet état d'esprit, à la fois protecteur et limité, nous devenons un spectateur, le plus critique, et croyons que nous sommes — et que le monde est — ce que nous en pensons. Lorsque nous agissons sur ce mode d'évitement, penser sur nous, les autres et le reste du monde devient notre passe-temps favori, parce que nous ne savons pas ressentir notre profondeur dans l'« instant-Présent », ni goûter la vie directement. À terme, notre esprit finit par adopter une conduite addictive, vivant de plus en plus dissocié de l'immédiateté de notre être. C'est la raison fondamentale pour laquelle nous sommes si insatisfait de nous-même et manquons d'empathie envers les autres.

    Le premier enseignant de l'esprit non éveillé est la peur. Enfant, nous vivons en permanence dans le présent, transparent à l'amour, mais aussi vulnérable à tous les traumatismes. Pour survivre émotionnellement, nous apprenons à projeter notre esprit loin de toute sensation bouleversante, comme la solitude ou la honte. Nous soustrayons notre conscience au présent, là où les émotions sont potentiellement les plus vivantes et les plus intenses. Progressivement, nous nous conditionnons à éviter le présent, et de ce fait, notre intimité avec nous-même et la vie s'amenuise.

    Couverture de Le mandala de l’Être
    page(s) 14