[Q]ue des perceptions puissent enfin venir sans se laisser déjà sentir, sans se laisser déjà filtrer par l'attendu, rattraper par de l'entendu – qu'elles se laissent absorber aussitôt par l'esprit prévenu et résorber. […C]ommencer d'aborder du « réel », de « toucher » à de l'« être », comme on dit les Grecs, mais à contre-courant de ce qu'en a fait le langage, lui qui, l'ayant toujours déjà arpenté et répertorié, le laisse peut-être à jamais in-ouï sous tout ce qui en a été dit.
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Extraits étiquetés avec : langage
À contre-courant de ce que fait le langage
page(s) 12Si possible, ne rien dire de plus
On sent alors […] qu'il vaudrait mieux, si possible, ne rien dire de plus. Il est nécessaire que se maintienne une confusion, une cohérence, une complétude. De là que le commentaire égare souvent, que le vocabulaire critique peut paraître par endroits totalement étranger à l'expérience originelle. […]
Je pense au mot cosmos. Il a signifié d'abord, pour les Grecs, ordre, convenance ; puis monde ; et la parure des femmes. La source de la poésie, ce sont ces moments où, dans un éclair, quelquefois aussi par une lente imprégnation, ces trois sens coïncident, où, non moins certaine que l'ignoble (hélas plus visible et plus virulent), surgit une beauté qui est la convenance d'un monde, singulier appât où le poète ne cesse de revenir, aussi longtemps qu'il est poète, à travers les pires doutes.
page(s) 126-127Cette fragilité qui est la force durable
Je sais par expérience (mais le devinerais aussi bien sans cela) que j'ai touché maintenant cette immédiateté qui est aussi la plus profonde profondeur, cette fragilité qui est la force durable, cette beauté qui ne doit pas être différente de la vérité. Elle est ici et là, distribuée dans le jour, et les mots ne parviennent pas à la saisir, ou s'en écartent, ou l'altèrent.
page(s) 76Saisir des pensées inexprimables
Tout esprit enfermé par le langage est capable seulement d'opinions. Tout esprit devenu capable de saisir des pensées inexprimables à cause de la multitude des rapports qui s'y combinent, quoique plus rigoureuses et plus lumineuses que ce qu'exprime le langage le plus précis, tout esprit parvenu à ce point séjourne déjà dans la vérité.
page(s) 68-69Le pur sentiment d'exister
Lorsque quelqu'un renonce à se préoccuper de sa sensorialité, de sa corporéité, de ses humeurs et du langage, ce qu'il éprouve est le pur sentiment d'exister, parce que l'existence n'est plus enchaînée à telle ou telle forme de relation ou à telle situation particulière. La certitude d'être vivant en tant que telle est d'une si pleine évidence qu'elle rejette dans l'ombre toutes les modalités que la vie individuelle est susceptible de revêtir.
page(s) 134 (La fin de la plainte)