poésie

Extraits étiquetés avec : poésie

  • Touché comme par une flèche

    On a été touché comme par une flèche, un regard. Tout de suite, avant toute pensée : comme par un astre dans une étable. En bas, ce sombre humide, cette couleur de bois et de paille, ces vapeurs comme il s'en élève du crottin (l'hiver, la pauvreté), et en haut cette luminosité magique, que les mots or et rose trahissent en la figeant, et non moins en l'associant à des images qui ne lui conviennent qu'en marge. Il faudrait parler plutôt d'un poudroiement de feu, d'une ouverture et aussi d'une ascension, d'une transfiguration, frôlant ainsi sans cesse des idées religieuses, quand les frôler seulement est déjà trop ; car c'est cela, et c'est toujours autre chose encore. Car ce sont les choses qui sont telles, terre et ciel, nuées, sillons, broussailles, étoiles ; ce sont les choses seules qui se transfigurent, n'étant absolument pas des symboles, étant le monde où l'on respire, où l'on meurt quand le souffle n'en peut plus.

    Couverture de Paysages avec figures absentes
    page(s) 18-19
  • Cherchons plutôt hors de portée

    Cherchons plutôt hors de portée, ou par je ne sais quel geste,
    quel bond ou quel oubli qui ne s'appelle plus
    ni « chercher », ni « trouver »…

    Couverture d'À la lumière d'hiver
    page(s) 547 (Pléïade : « Autres chants », Chants d'en bas, 1977)
  • Au moment de perdre pied

    Rappelle-toi, au moment de perdre pied
    puise dans cette brume avec tes mains affaiblies,
    recueille ce peu de paille pour litière à la souffrance,
    là, au creux de ta main tachée :

    cela pourrait briller dans la main
    comme l'eau du temps.

    Couverture d'À la lumière d'hiver
    page(s) 724 (Pléïade : « Le mot joie », Pensées sous les nuages, 1983)
  • Fraîcheur

    Fraîcheur. Là pourrait être le secret, le foyer. Prestesse, allégresse.

    Couverture de Cahier de verdure
    page(s) 852 (Pléïade : « Au col de Larche », Après beaucoup d'années, 1994)
  • Monde

    Poids des pierres, des pensées

    Songes et montagnes
    n'ont pas même balance

    Nous habitons encore un autre monde
    Peut-être l'intervalle

    *

    Fleurs couleur bleue
    bouches endormies
    sommeil des profondeurs

    Vous pervenches
    en foule
    parlant d'absence au passant

    *

    Sérénité

    L'ombre qui est dans la lumière
    pareille à une fumée bleue

    *

    Peu m'importe le commencement du monde

    Maintenant ses feuilles bougent
    maintenant c'est un arbre immense
    dont je touche le bois navré

    Et la lumière à travers lui
    brille de larmes

    *

    Accepter ne se peut
    comprendre ne se peut
    on ne peut pas vouloir accepter ni comprendre

    On avance peu à peu
    comme un colporteur
    d'une aube à l'autre

    Couverture de Poésie
    page(s) 438-439 (Pléïade : Airs, poèmes 1961-1964)
  • « Le vaste ciel est sans limite et rien ne gêne les nuages blancs dans leur libre course »

    Shitou Xiqian, maître de chan sous la dynastie des grands Tang, à un disciple qui lui demandait s'il y avait encore quelque chose au-delà des enseignements conventionnels et même d'une parfaite compréhension du chan, répondit : « Le vaste ciel est sans limite et rien ne gêne les nuages blancs dans leur libre course ».

    Cette phrase aphoristique, dont la signification est bouddhiste, les images taoïstes, est typique de la pensée sensible chinoise, d'une culture lettrée dans laquelle philosophie et poésie s'entremêlent d'une façon indéfectible. Ce genre de formulation – parlant le langage de la nature – suscite chez le poète philosophe une résonance d'âme, elle constitue un fonds poétique inépuisable dont sont dépourvues les formulations rationnelles et abstraites. Plus qu'une réponse pensée, cette phrase, de quelque façon, est l'assertion d'une liberté spirituelle, celle de l'homme de tch'an accompli.

    Couverture de Le son du vent dans les pins
    page(s) 27
  • Lutte avec l’ange des ténèbres

    Chaque jour est une lutte avec l’ange des ténèbres, celui qui plaque ses mains glacées sur nos yeux pour nous empêcher de voir notre gloire cachée dans notre misère.

    Couverture de Un assassin blanc comme neige
    page(s) 49
  • L’auberge est vaste

    Tous les vivants sont dans mon cœur. L’auberge est vaste. Il y a même un lit et un repas chaud pour les criminels et les fous.

    Couverture de Un assassin blanc comme neige
    page(s) 35
  • La promenade parfaite

    J'ai accroché mon cerveau au portemanteau puis je suis sorti et j'ai fait la promenade parfaite.

    Couverture de Un assassin blanc comme neige
    page(s) 28
  • Le « oui »

    Il n'y a rien de plus à trouver dans cette vie que le « oui » qui définitivement l'enflamme.

    Couverture de Un assassin blanc comme neige
    page(s) 28
  • Juste à s’émerveiller

    L'étirement du chat est un livre de sagesse qui s'ouvre lentement à la bonne page.

    L'ombre et la lumière glissant sur les moustaches du chat, pourquoi me touchent-elles tant ? C'est comme si pendant une seconde j'avais tout compris de la vie en regardant ces barreaux de soie noire et blanche et qu'il n'y avait rien à comprendre, juste à s’émerveiller de jours aussi purs sous un ciel aussi léger.

    Couverture de Un assassin blanc comme neige
    page(s) 27
  • Le chariot de l’éternel

    La libellule, en me voyant, se fige sur la barrière. Je m'arrête pour la regarder. Le chariot de l’éternel avec ses roues de bois passe entre nous sans un bruit, puis la libellule revient à ses affaires et je poursuis ma promenade avec dans l'âme une nouvelle nuance de bleu.

    Couverture de Un assassin blanc comme neige
    page(s) 22
  • Un calme et un goût démodé de la perfection

    Sur le pont Alexandre-III à Paris un marchand cuit des marrons en leur évitant de charbonner, les présente dans un cornet à double soufflet – un pour les marrons, un autre pour les épluchures – et offre en plus un rince-doigts. Par son calme et son goût démodé de la perfection, il défait à lui seul la sinistre économie mondiale.

    Couverture de Un assassin blanc comme neige
    page(s) 15
  • Mièvre ?

    On m'accuse d'être mièvre ? Que dirait-on à maître Dōgen, ce sage du treizième siècle japonais, lorsqu'il écrit : « L'univers entier est fait des sentiments et des émotions des fleurs » ?

    Couverture de L'homme-joie
    page(s) 85
  • La vie contrariée file limpide

    La pureté n'est jamais si pure que lorsqu'elle fleurit au milieu de l'impur. La vie n'est jamais si forte que lorsqu'elle est contrariée par un côté, empêchée dans une de ses voies : elle file limpide, par l'issue qui lui reste.

    Couverture de L'homme-joie
    page(s) 50
  • Donner sa place à l’incapacité

    C'est un principe. C'est un des rares principes que vous vous connaissiez, et peut-être est-ce le seul : ne jamais contrarier le cours des choses. Ne surtout pas résister au désastre. Quand l'incapacité est là – l'incapacité d'entendre, d'écrire ou d'aimer, l'empêchement de toute respiration – vous lui donnez la place, toute sa place, son temps, tout le temps.

    Couverture de L'homme-joie
    page(s) 48
  • La mort, l’amour, la beauté

    La mort, l’amour, la beauté, quand ils surviennent par grâce, par chance, ce n'est jamais dans le temps que cela se passe. Il n'arrive jamais rien dans le temps – que du temps.

    Couverture de L'homme-joie
    page(s) 42
  • Ce roi, cet homme-joie

    Quelques secondes suffisent, n'est-ce pas, pour vivre éternellement. « Nous sentons et nous éprouvons que nous sommes éternels » : cette pensée de Spinoza a la douceur d'un enfant endormi à l'arrière d'une voiture. Nous avons, vous et moi, un Roi-Soleil assis sur son trône rouge dans la grande salle de notre cœur. Et parfois, quelques secondes, ce roi, cet homme-joie, descend de son trône et fait quelques pas dans la rue. C'est aussi simple que ça.

    Couverture de L'homme-joie
    page(s) 16-17
  • Pendant quelques secondes j’ai réussi à être vivant

    L'étang fleurissait sous le ciel et le ciel se coiffait devant l'étang. L'oiseau aux ailes prophétiques enflammait la forêt. Pendant quelques secondes j’ai réussi à être vivant. J'ai conscience que cette lettre peut vous sembler folle. Elle ne l'est pas. Ce sont plutôt nos volontés qui sont folles. Je veux ici parler simplement de ce qu'on appelle une « belle journée », un « ciel bleu ». Ces expressions désignent un mystère. Un couteau de lumière dont la lame fraîche nous ouvre le cœur.

    Couverture de L'homme-joie
    page(s) 15-16
  • Nos pensées obscurcissent le ciel

    Nos pensées montent au ciel comme des fumées. Elles l'obscurcissent. Je n'ai rien fait aujourd'hui et je n'ai rien pensé. Le ciel est venu manger dans ma main.

    Couverture de L'homme-joie
    page(s) 13-14