Avoir ou être

Un choix dont dépend l'avenir de l'homme
Robert Laffont, 1976 , traduit en 1978
13 cm x 21 cm, 240 pages


Couverture de Avoir ou être

Extraits de l'ouvrage

• Trouver une nouvelle unité

Par la combinaison d’une détermination instinctive minimale et du développement maximal de la capacité de raison, nous autres êtres humains avons perdu notre unicité originelle avec la nature. Pour ne pas nous sentir complètement isolés – ce qui, en fait, nous conduirait à la folie – il nous faut trouver une nouvelle unité : avec nos semblables et avec la nature.

page(s) 126
• Deux tendances chez les êtres humains

[D]eux tendances sont présentes chez les êtres humains : l’une, avoir – posséder – qui, en dernière analyse, doit sa force au facteur biologique du désir de survie ; l’autre, être – partager, donner, se sacrifier – qui doit sa force aux conditions spécifiques de l’existence humaine et au besoin inhérent de surmonter l’isolement en ne faisant qu’un avec les autres.

page(s) 127
• L’ère industrielle n’a pas tenu sa grande promesse

[L]’ère industrielle […] n’a pas su tenir sa Grande Promesse, et un nombre de plus en plus grand d’individus sont en train de se rendre compte que :

  • La satisfaction sans restriction de tous les désirs ne contribue pas au bien-être et n’est pas davantage le chemin du bonheur ni même du maximum de plaisir.
  • Le rêve d’être un jour les maîtres indépendants de notre vie a pris fin au moment où nous nous sommes éveillés au fait que nous sommes tous devenus des rouages de la machine bureaucratique, nos pensées, nos sentiments et nos affinités étant manipulés par le gouvernement et l’industrie, et par les mass media qu’ils contrôlent.
  • Le progrès économique est resté limité aux nations riches, et le gouffre entre celles-ci et les nations pauvres n’a pas cessé de s’élargir.
  • Le progrès technique a par lui-même créé des dangers écologiques et des menaces de guerre nucléaire qui, séparément ou ensemble, peuvent mettre fin à toute civilisation et peut-être à tout ce qui est vie sur la terre.
page(s) 18-19
• Deux prémisses psychologiques désastreuses : hédonisme radical et égoïsme

L’échec de la Grande Promesse, en dehors des contradictions économiques fondamentales de l’industrialisme, était inscrit dans le système industriel et reposait sur ses deux principales prémisses psychologiques : 1) le but de la vie est le bonheur, c’est-à-dire le maximum de plaisir défini comme la satisfaction de tous les désirs, de tous les besoins subjectifs que l’individu peut ressentir (hédonisme radical) ; 2) l’égotisme, l’égoïsme et la cupidité que le système, pour pouvoir fonctionner, doit nécessairement engendrer, conduisent à l’harmonie et à la paix.

page(s) 19
• Caractère égoïste

Le fait d’être égoïste se rapporte non seulement à mon comportement mais aussi à mon caractère. Cela signifie que je veux tout avoir ; que posséder, et non pas partager, me procure du plaisir ; que je dois devenir cupide parce que mon seul but est d’avoir : plus j’ai plus je suis ; que je dois me sentir hostile à l’égard de tous les autres : mes clients que je dois tromper, mes concurrents que je dois éliminer, mes ouvriers que je veux exploiter. Je ne peux jamais être satisfait parce que mes désirs sont sans fin ; je dois envier ceux qui ont plus que moi et avoir peur de ceux qui ont moins. Mais je dois refouler tous ces sentiments afin d’offrir l’apparence (pour les autres comme pour moi-même) de l’être humain souriant, rationnel, sincère et bon, que tout un chacun prétend être.

page(s) 22-23
• Abandon des principes éthiques

L’hédonisme radical et l’égoïsme illimité n’auraient jamais pu se manifester comme principes directeurs du comportement économique si un changement total ne s’était pas produit au XVIIIe siècle. Dans la société médiévale, comme dans bien d’autres sociétés hautement développées, ainsi que dans les sociétés primitives, le comportement économique était déterminé par des principes éthiques.

page(s) 23
• Renoncement à l’harmonie avec la nature

[N]ous avons essayé de résoudre nos problèmes existentiels en abandonnant la vision messianique de l’harmonie entre le genre humain et la nature en conquérant celle-ci, en la transformant selon nos propres desseins, jusqu’au moment où la conquête de la nature est plus ou moins devenue l’équivalent de sa destruction. Notre esprit de conquête et notre hostilité nous ont empêchés de voir les réalités : que les ressources naturelles sont limitées et peuvent finir par s’épuiser et que la nature prendra sa revanche sur la cupidité humaine.

page(s) 24
• Notre survie dépend d’un changement radical du cœur humain

Le besoin d’un profond changement humain ne se présente pas seulement comme une exigence éthique ou religieuse, ni comme une exigence psychologique dérivant de la nature pathogène de notre caractère social actuel, mais aussi comme l’une des conditions de la simple survie de la race humaine. Vivre bien, ce n’est plus seulement satisfaire à une exigence éthique ou religieuse. Pour la première fois dans l’histoire, la survie physique de la race humaine dépend d’un changement radical du cœur humain. Mais ce changement n’est possible que dans la mesure où interviennent des changements économiques et sociaux rigoureux capables de donner au cœur humain la chance de changer et le courage et l’envie d’accomplir ce changement.

page(s) 26
• Incroyable affaiblissement de notre instinct de survie

Alors que dans la vie privée seul un fou resterait passif en présence d’une menace dirigée contre son existence, les responsables des affaires publiques ne font pratiquement rien, et ceux qui leur ont confié leur  sort continuent eux aussi de ne rien faire.

Comment se peut-il que le plus puissant des instincts, celui de la survie, ait apparemment cessé de nous motiver ? L’une des explications les plus évidentes tient à ce que les dirigeants entreprennent de nombreuses démarches leur permettant d’avoir l’air de prendre des mesures en vue d’éviter la catastrophe[. …]

Une autre explication est que l’égoïsme qu’engendre le système porte les dirigeants à accorder plus de valeur à leur réussite personnelle qu’à leurs responsabilités sociales. […]

L’affaiblissement de notre instinct de survie a encore une autre explication : c’est que les changements de vie indispensables seraient si rigoureux que les gens préfèrent la future catastrophe aux sacrifices qu’ils devraient consentir dès maintenant.

page(s) 27-28
• Dans notre culture, avoir semble l’essence même d’être

Le choix entre avoir et être, en tant que notions contraires, ne frappe pas le sens commun. Avoir, semblerait-il, est une fonction normale de notre vie : pour pouvoir vivre, il faut avoir certaines choses. En outre, nous devons avoir certaines choses afin d’en tirer plaisir. Dans une culture dont le but suprême est d’avoir – et d’avoir de plus en plus – et où on peut dire d’un individu qu’« il vaut un million de dollars », comment peut-il y avoir une alternative entre avoir et être ? Au contraire, il semblerait qu’avoir est l’essence même d’être ; et que celui qui n’a rien n’est rien.

page(s) 33
• Être un avec le monde

Par « être », j’entends le mode d’existence où on n’a rien, où on ne désire pas ardemment avoir quelque chose, mais où on est joyeux, où on emploie ses facultés de façon productive, où on fait « un » avec le monde.

page(s) 37
• Avaler le monde entier

L’attitude propre à l’ère de la consommation consiste à vouloir avaler le monde entier. Le consommateur est un éternel nourrisson pleurant pour avoir son biberon.

page(s) 45
• Aimer, un processus qui s’accroît de lui-même

Aimer est une activité [féconde], qui suppose qu’on ait un penchant, qu’on connaisse, qu’on réagisse, qu’on affirme, qu’on prenne plaisir ; qu’il s’agisse d’une personne, d’un arbre, d’une peinture, d’une idée. Aimer signifie donner vie, accroître l’intensité de sa propre vie. C’est un processus qui renaît et s’accroît de lui-même.

page(s) 64
• Au désert : une vie sans entraves, non possédante

Le désert est la clé symbolique de [la] libération. Le désert n’est pas un foyer ; il n’a pas de villes, pas de riches ; c’est le domaine des nomades qui ne possèdent que ce dont ils ont besoin, c’est-à-dire des choses indispensables à la vie et non des richesses. […L]es facteurs historiques ne font que renforcer la signification du désert comme symbole d’une vie sans entraves, non possédante.

page(s) 68-69
• Joie d’être pleinement soi-même

[Le sabbat] n’est pas repos en lui-même, dans le sens d’une absence d’efforts, physiques ou mentaux. Il est repos dans le sens d’une restauration de l’harmonie totale entre les êtres humains et entre eux et la nature. Rien ne peut être construit et rien ne peut être détruit : le sabbat est un jour de trêve dans la lutte qui oppose l’homme au monde. […]

Le jour du sabbat, on vit comme si on n’avait rien, on n’a pas d’autre but que d’être, c’est-à-dire d’exprimer ses pouvoirs essentiels : prier, étudier, manger, boire, chanter, faire l’amour.

Le sabbat est un jour de joie parce qu’il donne l’occasion d’être pleinement soi-même.

page(s) 70-71
• Éternel désir de la réalisation totale de l’être

Jésus et Satan apparaissent […] comme les représentants de deux principes opposés. Satan est le représentant de la consommation des biens matériels et du pouvoir sur la nature et sur l’Homme ; Jésus est celui de l’« être » et de l’idée que le non-avoir est la prémisse de l’« être ». Le monde, depuis les temps évangéliques, a suivi les principes de Satan. Mais le triomphe de ces principes n’a pas pu détruire le désir de la réalisation totale de l’« être », exprimée par Jésus aussi bien par les autres grands Maîtres qui ont vécu avant et après lui.

page(s) 77
• Nous accrocher aux objets de l’avoir nous empêche de nous réaliser

Dans le mode avoir d’existence, ce qui compte n’est pas les divers objets de l’avoir, mais l’ensemble de notre attitude humaine. N’importe quoi peut devenir objet de désir : les objets d’usage quotidien, les biens matériels, les rituels, les bonnes actions, la connaissance et les pensées. Alors qu’ils ne sont pas « mauvais » en soi, ils deviennent mauvais ; autrement dit, quand nous nous accrochons à eux, quand ils deviennent des chaînes qui entravent notre liberté, ils nous empêchent de nous réaliser.

page(s) 84

Quatrième de couverture

« Avoir ou être ? » Le dilemme posé par Erich Fromm n'est pas nouveau. Mais pour l'auteur, du choix que l'humanité fera entre ces deux modes d'existence dépend sa survie même. Car notre monde est de plus en plus dominé par la passion de l'avoir, concentré sur l'acquisivité, la puissance matérielle, l'agressivité, alors que seul le sauverait le mode de l'être, fondé sur l'amour, l'accomplissement spirituel, le plaisir de partager des activités significatives et fécondes. Si l'homme ne prend pas conscience de la gravité de ce choix, il courra au-devant d'un désastre psychologique et écologique sans précédent...