L’entraide

L'autre loi de la jungle
Les liens qui libèrent, 2017
15 cm x 22 cm, 380 pages
Les liens qui libèrent, 2019


Couverture de L’entraide
Couverture poche de L’entraide

Extraits de l'ouvrage

• L’empathie est très profondément ancrée en nous

L’empathie est un mécanisme très profondément ancré en nous. On connaît depuis longtemps les capacités des très jeunes enfants à réconforter les personnes qui expriment une détresse émotionnelle. On découvre peu à peu ces mêmes capacités chez d’autres espèces animales. La perception de l’état émotionnel des autres pourrait être un trait aussi ancien que l’apparition des mammifères et des oiseaux.

page(s) 117
• Pour créer d’authentiques relations de confiance

Le spécialiste de la communication Franck Martin énumère [dans Le pouvoir des gentils, Eyrolles, 2014] seize attitudes qui permettent de créer d’authentiques relations de confiance : faire confiance a priori, faire preuve de respect, de bienveillance, d’honnêteté et d’intégrité, de compassion, d’humilité, d’ouverture, de générosité (le don), de patience, de gratitude, d’optimisme, de détermination, d’humour, et surtout d’authenticité. Enfin, deux dernières conditions peuvent être importantes : le fait de bien communiquer (parler, se faire comprendre, informer, etc.) et celui de bien définir et faire respecter un cadre de sécurité (des règles explicites que l’on se donne).

page(s) 160
• Une vraie spirale vertueuse

[L]es relations d’entraide impliquant de la confiance ont tendance à améliorer le sentiment de bien-être (le bonheur et la satisfaction générale), ce qui en retour favorise l’augmentation des niveaux de confiance, et donc d’entraide. Ainsi, les liens de confiance solides que l’on entretient au niveau local (couple, amis, famille, voisins, etc.) favorisent le bien-être et la confiance en soi, et constituent le terreau idéal pour développer la confiance envers de plus larges institutions, lesquelles à leur tour favoriseront des niveaux de confiance élevés au sein de ces grands groupes, et donc auront une influence sur les niveaux de confiance sur le plan local. Une vraie spirale vertueuse.

page(s) 168
• Le véritable test moral de l’humanité

« La vraie bonté de l’homme ne peut se manifester en toute pureté et en toute liberté qu’à l’égard de ceux qui ne représentent aucune force. Le véritable test moral de l’humanité (le plus radical, qui se situe à un niveau si profond qu’il échappe à notre regard), ce sont ses relations avec ceux qui sont à sa merci : les animaux. Et c’est ici que s’est produite la faillite fondamentale de l’homme, si fondamentale que toutes les autres en découlent. » Milan Kundera, L’insoutenable légèreté de l’être (1984)

page(s) 184
• L’entraide, un principe du vivant

L’entraide n’est pas un simple fait divers, c’est un principe du vivant. C’est même un mécanisme de l’évolution du vivant : les organismes qui survivent le mieux aux conditions difficiles ne sont pas les plus forts, ce sont ceux qui arrivent à coopérer.

page(s) 20
• La compétition, source infinie de stress

L’agressivité et la compétition existent dans le monde vivant : il ne s’agit pas de le nier. [… La compétition] nous force à nous dépasser, et, pour certains, à « donner le meilleur d’eux-mêmes ».

Mais la compétition a aussi de sérieux inconvénients. Elle est épuisante. La plupart des animaux et des plantes l’ont bien compris : ils la minimisent et évitent aux maximum les comportements d’agression, car ils ont trop à perdre. C’est trop risqué, trop fatigant. Pour un individu bien équipé, bien entraîné et psychologiquement au meilleur de sa forme, la compétition est un défi qui permet de progresser grâce à un effort puissant (et le plus court possible). Mais, pour les autres, ceux qui ne sont pas prêts, ceux qui ne veulent pas ou ne peuvent pas entrer dans l’arène, ou ceux qui y sont depuis trop longtemps, cet effort est un source infinie de stress.

page(s) 20-21
• La compétition ôte son sens à la vie

En poussant le culte de la compétition à son extrême, et en l’institutionnalisant, notre société n’a pas seulement engendré un monde violent, elle a surtout ôté une grande partie de son sens à la vie. La compétition sans limite est une invitation – voir une obligation – à une course à l’infini. Le délitement des liens entre humains et des liens avec le vivant a créé un grand vide, un immense besoin de consolation, que nous tentons de combler en permanence par l’accumulation frénétique d’objets, de trophées, de conquêtes sexuelles, de drogues ou de nourriture. La démesure, que les Grecs appelaient l’hubris, devient alors la seule manière d’être au monde.

Compétition, expansion infinie et déconnexion du monde vivant sont trois mythes fondateurs de notre société depuis déjà plusieurs siècles. Leur mécanique s’est révélée extrêmement toxique : de la même manière qu’une cellule en expansion perpétuelle finit par détruire l’organisme dont elle fait partie, un organisme qui détruit l’environnement dans lequel il vit et empoisonne ses voisins finit par mourir seul dans le désert.

page(s) 21-22
• Origine de l’exceptionnelle socialité de notre espèce

Quelle serait l’origine du caractère exceptionnel de la socialité de notre espèce ? Serait-ce l’apparition du langage ? Probablement, mais pas seulement, car d’autres espèces possèdent un langage, et certains primates peuvent même communiquer avec des symboles signifiants. Serait-ce l’augmentation de la capacité de mémorisation ? Possible aussi, car elle permet de manier beaucoup de symboles et de faire varier les signifiants. Mais ce n’est toujours pas suffisant. Une troisième possibilité (liée aux précédentes) est la capacité que nous avons de parler des autres et de leurs sentiments. Ce trait marquerait le début d’une vie sociale intense, de la capacité de se coordonner, de forger des mécanismes de réputation et de confiance, et tout autre mécanisme de renforcement de la réciprocité.

page(s) 230
• Avant toute chose, l’empathie

Ce qui fait l’espèce humaine n’est […] pas l’intelligence, mais la capacité de se représenter l’autre et d’y prêter attention et soin. « L’empathie est la forme originelle, pré-linguistique, de lien interindividuel qui n’est entrée que secondairement sous l’influence du langage et de la culture. » [Frans de Waal]

La conséquence de ce développement cérébral et de cette vulnérabilité a été l’interdépendance croissante envers les autres.

page(s) 234
• Notre vulnérabilité a fait notre puissance

[L]a forte dépendance des nouveau-nés vis-à-vis des parents et de la tribu a été l’une des conditions majeures de l’extraordinaire développement de l’entraide. Voilà donc le paradoxe de l’évolution humaine : c’est notre extrême vulnérabilité à la naissance qui a fait la puissance de notre espèce.

page(s) 236
• Équilibre entre égoïste et altruisme

La sélection naturelle est […] un équilibre entre deux forces. La première agit à l’intérieur d’un groupe et tend a favoriser les individus les plus aptes, ce qui équivaut souvent aux plus égoïstes ou aux plus agressifs. Cette force provoque des conflits au sein des groupes : elle est qualifiée de « perturbatrice ». La deuxième agit de l’extérieur des groupes et tend a favoriser les groupes constitués d’individus plus coopératifs, voire altruistes, car ils rendent le collectif globalement plus efficace.

page(s) 239
• L’interdépendance renforce la résilience

[C]ette interdépendance radicale de tous les êtres renforce clairement la résilience des systèmes vivants. Si la forêt fonctionnait principalement sur le mode de la compétition, chaque arbre tenterait de faire le vide autour de lui, et nous aboutirions vite à une collection d’individus isolés et séparés les uns des autres, bien vulnérables à la première tempête ou sécheresse venue (et cela ne ressemblerait plus guère à une forêt). Mais un individu ou une espèce qui tue ou épuise ses voisins finit par se retrouver seul(e) et par mourir. N’est-ce pas la voie que l’espèce humaine a décidé de prendre ? Nous programmons méticuleusement notre future solitude dans une illusion d’« indépendance ». En fait, nous creusons tout simplement notre tombe.

page(s) 265
• S’effacer au profit de quelque chose de supérieur

[S]i nous considérons que tous les organismes multicellulaires vivent en association avec des bactéries, il n’y a qu’un pas à franchir pour se rendre à l’évidence : nous sommes tous multiples, nous sommes tous des holobiontes ! […]

S’il y a une leçon à tirer de ce processus de fusion, c’est qu’il s’accompagne d’un renoncement à l’individualité des deux partenaires. […] Si nous prenons la métaphore des groupes humains, on imagine le niveau de confiance, de sécurité et d’équité absolue requis entre les organismes fusionnés pour parvenir à ce lâcher-prise individuel au profit du binôme. Le cœur de l’innovation se trouve précisément là, dans ce « déclic » par lequel l’ego s’efface totalement au profit de quelque chose de nouveau, d’émergent et de supérieur.

page(s) 268-269
• Les trois ingrédients de l’entraide

Pour faire émerger cette entraide puissante et généralisée – ce « déclic » –, trois ingrédients se révèlent indispensables : le sentiment de sécurité éprouvé par tous les membres du groupe et qui dépend de la constitution d’une bonne « membrane » (les règles que se fixe le groupe, sa raison d’être, son identité) ; le sentiment d’égalité et d’équité, qui permet les effets néfastes du sentiment d’injustice (colère, ressentiment, comportements antisociaux et désir de punition) ; le sentiment de confiance, qui naît des deux précédents et qui permet à chaque individu de donner le meilleur de lui-même pour le bien du groupe.

page(s) 281-282
• L’entraide, pilier de la sélection naturelle

L’entraide est partout depuis la nuit des temps [… ; elle] acquiert sa puissance en milieu hostile [… ; elle] ne saurait être pensée sans prendre en compte les différents niveaux d’organisation [… ; elle] atteint des niveaux exceptionnels chez l’être humain [… ; elle] est une force puissante, mais fragile et parfois dangereuse [… ; elle] se déploie dans le monde vivant sous de nombreuses formes et couleurs[.]

L’architecture de l’entraide (y compris humaine) ressemble donc à des poupées russes où chaque poupée supérieure est plus complexe, et où les différentes tailles de poupées peuvent coopérer entre elles. L’ensemble de ces poupées forment un réseau de réseaux multicolores en perpétuelle évolution.

L’entraide est la principale source d’innovation du vivant, à toutes les échelles, depuis l’apparition de la vie. C’est la clé de la diversification du vivant, et l’un des piliers de la sélection naturelle.

Enfin, la compétition trouve sa place dans ce cadre.

page(s) 288-290
• L’entraide, décence commune

L’entraide est habituellement considérée comme une valeur « chaude », de la même couleur que ce que George Orwell nommait la décence commune (common decency). Pour les « gens ordinaires », ces comportements vertueux coulaient de source ; ils n’étaient jamais mis en avant ni même analysés.

page(s) 295
• Étendre l’entraide aux non-humains

Le chemin passera par l’extension de l’entraide et de la compassion aux autres êtres vivants, en développant une conscience étendue du soi, c’est-à-dire en étendant la « membrane de sécurité » au-delà de l’humanité. Le slogan « Remettre l’humain au centre », si pertinent soit-il dans les luttes sociales, traduit donc un imaginaire qui prend la mauvaise direction ! Il n’y a pas assez de place pour une humanité qui se referme sur elle-même et s’oppose au reste du monde. Il est impossible d’ignorer que notre survie en tant qu’espèce dépend tout autant des interactions que nous entretenons avec les autres espèces que de la richesse des interactions qu’elles tissent entre elles. […]

C’est une étrange constatation, mais accepter notre propre vulnérabilité et recommencer à croire dans notre interdépendance avec les « autres qu’humains » redonne de la joie, de la force et du courage.

page(s) 308
• Leçon de lâcher-prise

Oser se laisser transformer au contact de l’autre pour rester vivants, il y a là une véritable leçon de lâcher-prise.

page(s) 37
• Mille et une manières de coopérer

Depuis 3,8 milliards d’années, le vivant a développé mille et une manières de s’associer, de coopérer, d’être ensemble, ou carrément de fusionner. Ces relations entre êtres identiques, semblables ou totalement différents peuvent prendre des formes multiples : obligatoires ou facultatives, temporaires ou permanentes, asymétriques ou symétriques, encastrées ou parallèles, timides ou fusionnelles, conscientes ou inconscientes, instantanées ou durables, nouvelles ou ancestrales, surprenantes ou routinières.

Des mutualismes (associations diffuses entre espèces) aux symbioses (associations obligatoires), de l’action collective ponctuelle à la coévolution fusionnelle, les services se donnent et se rendent dans tous les sens : protection contre nourriture, transport contre protection, nourriture contre soin, information ou déparasitage, etc. On découvre avec émerveillement ce que nous nommons la symbiodiversité.

page(s) 49-50
• Chez les non-humains l’entraide est partout

[C]hez les autres qu’humains […] 1) l’entraide existe, 2) elle est partout, et 3) elle implique potentiellement tous les êtres vivants, y compris l’espèce humaine.

page(s) 50
• S’extraire du « sauvage » pour fonder une société

Notre société a pris l’habitude, depuis la fin du Moyen Âge et le début de la modernité, de considérer la compétition comme « naturelle » et la coopération comme « idéologique ». Philosophes et scientifiques des Lumières ont été imprégnés par cette image d’une impitoyable « nature, de dents et de griffes » [vers d’Alfred Tennyson], dont il fallait s’extraire pour fonder une société. Pour eux, on ne pouvait le faire que grâce à notre pensée, à notre esprit et à notre génie. Il fallait fuir la nature et la maîtriser. L’adjectif « sauvage » est d’ailleurs devenu synonyme d’agressif, indomptable ou asocial. Jamais on ne dira de quelqu’un qu’il est « sauvage » pour mettre en avant ses qualités d’altruisme ou de solidarité.

page(s) 61
• Deux mythes : sauvagerie de la nature et séparation nature/culture

Cette vision du monde [de l’Homo œconomicus] repose sur deux mythes particulièrement tenaces. Le premier est de considérer l’agression, la guerre et la compétition comme l’état « normal » de la nature, un état qui a été élevé au rang d’unique « loi ». Selon cette conception, les êtres vivants seraient donc des « gladiateurs » plongés en permanence dans une « arène impitoyable » où « on ne fait pas de quartier » (Thomas Huxley). En termes économiques, c’est le modèle contemporain où des individus égoïstes et calculateurs sont en compétition permanente.

Le second mythe est assez complémentaire du premier : il nous dit que nous devrions nous séparer et nous extraire de la nature. D’ailleurs, c’est cette vision du monde – que l’Europe adopte à partir du XVIIe siècle – qui crée le concept même de nature pour décrire précisément ce qui n’est pas humain. Séparation nature/culture, séparation corps /esprit : l’être humain de l’époque des Lumières acquiert la conviction qu’il se distingue des « autres qu’humains » par sa subjectivité, sa réflexivité, son langage symbolique, son esprit.

page(s) 62-63
• Les comportements prosociaux sont très communs

Résumons ce que nous venons de découvrir : 1) le modèle théorique d’un humain rationnel et égoïste ne correspond pas du tout à la réalité ; 2) les comportements prosociaux sont très communs tout autour du globe, mais leur expression est très variable ; 3) lorsqu’on inhibe le raisonnement (par le stress, la pression, les catastrophes, ou en favorisant l’intuition), le nombre et l’intensité de ces comportements prosociaux augmentent ; et 4) lorsqu’on force les sujets à réfléchir, ils se montrent plus égoïstes.

page(s) 90

Co-auteurs

Pablo Servigne & Gauthier Chapelle

Quatrième de couverture

Dans cette arène impitoyable qu’est la vie, nous sommes tous soumis à la « loi du plus fort », la loi de la jungle. Cette mythologie a fait émerger une société devenue toxique pour notre génération et pour notre planète.

Aujourd’hui, les lignes bougent. Un nombre croissant de nouveaux mouvements, auteurs ou modes d’organisation battent en brèche cette vision biaisée du monde et font revivre des mots jugés désuets comme « altruisme », « coopération », « solidarité » ou « bonté ». Notre époque redécouvre avec émerveillement que dans cette fameuse jungle il flotte aussi un entêtant parfum d’entraide…

Un examen attentif de l’éventail du vivant révèle que, de tout temps, les humains, les animaux, les plantes, les champignons et les micro-organismes – et même les économistes ! – ont pratiqué l’entraide. Qui plus est, ceux qui survivent le mieux aux conditions difficiles ne sont pas forcément les plus forts, mais ceux qui s’entraident le plus.

Pourquoi avons-nous du mal à y croire ? Qu’en est-il de notre ten­dance spontanée à l’entraide ? Comment cela se passe-t-il chez les autres espèces ? Par quels mécanismes les personnes d’un groupe peuvent-elles se mettre à collaborer ? Est-il possible de coopérer à l’échelle internatio­nale pour ralentir le réchauffement climatique ?

À travers un état des lieux transdisciplinaire, de l’éthologie à l’anthro­pologie en passant par l’économie, la psychologie et les neurosciences, Pablo Servigne et Gauthier Chapelle nous proposent d’explorer un im­mense continent oublié, à la découverte des mécanismes de cette « autre loi de la jungle ».