La réalisation de soi

Spinoza, le bouddhisme et l'écologie profonde. Suivi de "L'expérience du monde" par Stéphane Dunand
Wildproject, 2008 , traduit en 2017
14 cm x 22 cm, 300 pages


Couverture de La réalisation de soi

Extraits de l'ouvrage

• Cette montagne, comme un être divin

Quelles qu’aient été les influences, l’expérience de l’élévation (le passage de l’obscurité à la lumière, d’un univers oppressant à un monde apparemment illimité et chaleureux) était si forte que je me laissais envahir par un vague sentiment de nostalgie pour le paysage qui se découvrait au-delà de la forêt. Il y avait dans ce paysage une promesse de liberté qui dépassait tout ce que j’avais pu imaginer dans les basses-terres. […]

Cette montagne lointaine, majestueuse, puissante, sereine et magnifique est devenue de plus en plus importante pour moi, et j’en suis venu à la considérer comme une figure paternelle, bienveillante et protectrice, et même comme un être divin. Le Hallingskarvet est devenu à mes yeux le symbole du bien qui faisait tant défaut au monde et à ma propre vie.

page(s) 20
• Un lieu qui offre la possibilité de se réaliser

Ce qui est remarquable à propos de Tvergastein et d’autres lieux similaires, c’est qu’ils offrent la possibilité de se réaliser tout en menant une vie extrêmement simple d’un point de vue matériel. La qualité de cette réalisation de soi est étroitement liée à l’évolution de notre relation au lieu, que nous considérons d’abord comme un simple emplacement, et avec lequel nous finissons par établir un lien très personnel. À mesure que l’on s’y attache, ce lieu satisfait une variété croissante de besoins et nous permet d’atteindre de nombreux objectifs auxquels nous tenons. Les tâches ménagères requièrent si peu de temps et d’efforts que l’on est libre de se consacrer à des activités qui ont une valeur en elle-même.

page(s) 25
• Les sentiments aussi important dans la recherche que les pensées

À la différence de certains amis qui ont un penchant pour l’écosophie, je ne pense pas que la science ou la recherche soient incompatibles avec une relation personnelle avec la nature. Faire de Tvergastein un « objet » de recherche botanique, zoologique, minéralogique ou météorologique ne diminue en rien l’expérience immédiate que l’on peut en avoir, et ne nous empêche pas de nous identifier au lieu. Au contraire. Dans la grande tradition naturaliste, comme l’illustre la systématique (la taxonomie) des papillons, les motivations du chercheur ne sont pas principalement cognitives, mais conatives. Les sentiments jouent un rôle aussi important dans la recherche que les pensées abstraites.

page(s) 30
• Observer, écouter, entendre, toucher

La libération à laquelle conduit « l’histoire naturelle » est différente [de celle de la pensée scientifique] : la pensée abstraite y occupe une place secondaire, et il faut être avant tout capable d’observer, d’écouter, d’entendre et de toucher. Ce sont les qualités secondes, et surtout les qualités tierces – le monde des contenus concrets – qui y jouent le rôle le plus important, et non les qualités premières étudiées par la physique. […]

La beauté et l’importance du moindre être vivant font frémir d’émotion le naturaliste amateur. Il y a communication : les « choses » s’expriment, elles parlent et se font remarquer, même sans l’usage des mots.

page(s) 31
• Se satisfaire de ce que l’on a

« Se satisfaire de ce que l’on a » : cette maxime a toujours été un pilier de l’éducation écosophique. Plus nous prenons conscience des limites de la croissance, c’est-à-dire de la croissance de la production et des échanges matériels, plus nous accordons une place importante à cette devise.

page(s) 32
• Nécessité de stabiliser et réduire la population humaine

La stabilisation et la réduction de la population humaine prendra du temps. Il faut donc mettre en place des stratégies provisoires. Mais cela n’excuse en rien la complaisance dont nous faisons preuve actuellement ; nous devons prendre conscience de l’extrême gravité de la situation présente. Plus nous attendons, plus nous serons obligés de prendre des mesures drastiques. Tant que des changements profonds n’auront pas été réalisés, nous courons le risque d’assister à une diminution substantielle de la richesse et de la diversité de la vie : le rythme d’extinction des espèces sera dix à cent fois supérieur qu’à n’importe quelle autre période de l’histoire humaine.

page(s) 46
• Préserver d’immenses territoires sauvages

Le combat pour la préservation des régions sauvages doit se poursuivre et se concentrer sur les fonctions écologiques globales de ces régions. La biosphère a besoin d’immenses territoires sauvages pour que l’évolution et la spéciation des plantes et des animaux puissent s’y poursuivre. Les réserves de nature sauvage sont actuellement trop petites et trop peu nombreuses.

page(s) 46
• Nécessité d’une autorité centrale contraignant les politiques écologiques locales

Lorsque des communautés locales ou des régions faiblement peuplées soutiennent le prétendu développement de façon inconditionnelle, il est nécessaire qu’une autorité centrale les contraigne à adopter une politique écologique plus responsable. Il y a donc des limites à la décentralisation des décisions écologiques les plus importantes.

page(s) 47
• Action globale au travers d’organisations non-gouvernementales

Il devient primordial de s’engager dans une action globale à travers des organisations non-gouvernementales. La plupart de ces organisations sont capables d’agir globalement tout en s’appuyant sur des contextes locaux, évitant ainsi des interventions gouvernementales malvenues.

page(s) 47
• La qualité de vie ne peut se quantifier

Certains économistes critiquent l’expression qualité de vie et considèrent qu’elle est floue. Mais à l’examen, ce qu’ils tiennent pour flou est la nature non quantitative du terme. On ne peut pas quantifier correctement ce qui est important pour la qualité de vie, et il n’est pas nécessaire de le faire.

page(s) 47
• Plus de place pour le lieu

L’urbanisation, la centralisation, une mobilité accrue (même si les nomades ont montré que toutes les formes de déplacement ne détruisent pas le sentiment d’appartenance aux lieux), la dépendance à l’égard de biens et de technologies étrangères aux lieux où nous vivons, la complexification structurelle de nos vies ; tous ces facteurs affaiblissent ou perturbent le sentiment d’appartenance à un lieu, allant même jusqu’à entraver sa formation. Il ne semble plus y avoir de place pour le lieu.

page(s) 9

Compilation de textes publiés à l'origine entre 1977 et 2008.

Quatrième de couverture

La philosophie de Næss nʼest en rien un « panthéisme » ou un « réenchantement » de la nature. Elle invite à faire de nouveau pleinement lʼexpérience du monde. Elle invite à nous restaurer en réactivant nos liens aux lieux que nous aimons. À comprendre pourquoi nous pouvons nous fier aux sentiments qui nous lient aux êtres, aux choses et aux lieux – car ces relations, loin dʼêtre des suppléments dʼâme, constituent la texture du monde. Elle invite à nous réaliser, à devenir plus joyeux et plus généreux, à travers un processus élargi dʼidentification aux autres et à la nature.

La réhabilitation de cette expérience spontanée est une condition indispensable non seulement à la réalisation de soi, mais également à la résolution de la crise écologique et à une nouvelle donne Nord-Sud. Næss montre comment nos relations à la nature engagent lʼintime et le politique dans un même acte indissociable.

Par-delà sa simplicité apparente et parfois malicieuse, Næss pose de redoutables problèmes dʼexégèse – dont une partie est ici levée par Stéphane Dunand dans son essai inédit. Un ouvrage qui rassemble les meilleurs textes de Næss, pour découvrir sa pensée ou approfondir son étude.