La survivance

Grasset, 2012
14 cm x 20 cm, 280 pages


Couverture de La survivance

Extraits de l'ouvrage

• Là-haut, une joie ténue mais intense

J’avais là-haut une approche de la joie tellement à l’opposé de ce que l’on vous dit d’ordinaire, une approche ténue mais intense, comme un fourmillement de couleur.

page(s) 144
• Quelque chose d’inconsolable et en même temps une grande consolation

Et je me disais, il y a dans le regard des bêtes quelque chose d’inconsolable et en même temps, dans leur présence, un grand pouvoir de consolation.

page(s) 150
• Pourquoi faut-il qu’il y ait des bêtes pour être au paradis ?

Pourquoi, quand il y a seulement des herbes, des arbres, des rochers, n’est-ce pas le paradis ? Pourquoi, quand il y a seulement des humains, n’est-ce toujours pas le paradis ? Pourquoi faut-il qu’il y ait des bêtes pour être au paradis ? Peut-être parce que les dieux sont des animaux nietzschéens, indestructibles et heureux.

page(s) 151-152
• Plonger direct dans les sensations

Si nous voulions nous en sortir, il fallait sortir de nous. Plonger direct dans les sensations, dans la peur, dans la joie, être aux aguets, se transformer en une boule de présence au monde prête à jaillir. Il y a quelque chose d’excitant, de suffocant dans la lutte pour la vie : plus d’écran entre elle et nous. On devient la vie.

page(s) 203
• Pris de terreur, se tourner du côté des choses familières

On arrive maintenant au bout. Tout diminue, dépérit. La Terre est en train de mourir, et pas du tout de naître en même temps, comme tu le dis, comme tu l’espères, toi. Il ne naît plus rien, plus aucune espèce nouvelle n’apparaît. C’est fini. On va tous crever d’avoir tout fait crever. En attendant, on s’habituera au pire. On l’acceptera.

Ce soir-là, il m’a semblé désastreux. Et plus gris, plus voûté que d’ordinaire. Il avait mal au ventre, une barre sous l’estomac qui le sciait en deux. Ses mains étaient glacées. Je les lui ai pétries, les lui ai mordillées doucement comme faisait Betty, et embrassant leurs doigts épouvantés, baisant leur paume, je les ai réchauffées.

Pourquoi, tu ne souffres pas, toi, de ce sentiment d’être un condamné à mort ? Pourquoi, la mort, toi, tu ne la vois pas, Jenny ?

Mais si, comme toi.

Je ne suis pas arrivée à lui expliquer qu’il m’arrivait également d’être prise de terreur, la nuit surtout, la nuit seulement. Alors, je me dis écoute, regarde, sens, et je me tourne du côté des choses, les familières, et je les vois qui luisent dans la pénombre, je vois le plancher, ce que j’y ai laissé traîner, un bol, mon petit tas de vêtements, une pomme, ils sont d’un calme, d’une indifférence ! Et ça me sauve, ça me fait sortir de mon sac psychique, ce sac anxieux de nomade sans feu ni lieu, et rejoindre la tranquillité du monde.

La chaleur du poêle montait, traversait les ardoises, faisait fondre la neige, et des stalactites se formaient tout au long du toit. Nous étions gardés par une haie de poignards et d’épées torsadées.

page(s) 217-219
• Mélancolie universelle

Quelque chose d’opaque en lui malgré la transparence des yeux bleu clair. On n’y décelait pas la candeur des paysans, visible même chez les plus rusés. Ni la complexité de ceux qui ont fait des études, bien qu’il soit bac + 5. Il était impénétrable. J’observais son visage. Je ne pouvais pas distinguer la moindre trace d’orgueil humain en lui. Ni de ressentiment animal. Il ne faisait pas son malin, ni son malheureux. Pas de revendications, pas de pétitions, pas de site perso, pas de livre en route, pas de photos de ses cerfs en ligne. Il ne donnait aucune prise. Il avait l’impénétrabilité d’un soldat. D’un soldat ayant perdu toutes les guerres. Il était triste, ce garçon en surplus, comme s’il portait sur ses épaules la mélancolie universelle.

Je l’imaginais submergé en semaine par la bureaucratie de la maladie, je le voyais laver, soigner, veiller ses frères humains condamnés à disparaître les uns après les autres, dans le grand vide blanc de l’hôpital. Et je le voyais se lever très tôt pour aller guetter ce qui reste de non humain sur terre, l’étrangeté, la beauté, nos dieux peut-être, vérifier leur présence, menacés qu’ils étaient, eux aussi, de disparaître. Il avait, donc, par définition, ce garçon de 35 ans, le chagrin aux trousses.

De quoi était-il le plus triste ?

À mon avis, il ne se posait pas la question.

Il était à la fois sensible au destin des vieux et au silence des bêtes. Sensible à la pourriture qui nous traque et à la perfection traquée. À la volonté de vivre de tout ce qui est vivant et à la vie par définition condamnée. Il l’était, sans le savoir. Bizarrement.

page(s) 250-251

Quatrième de couverture

Jenny et Sils, un couple de libraires, sont soudain contraints de rendre les clefs de leur librairie et de l’endroit où ils vivaient. Tout loyer étant devenu trop élevé, il ne leur reste qu’une solution : partir s’installer dans une maison perdue, en ruines, dans la montagne au-dessus de Colmar.

Avec leurs cartons de livres, une ânesse et une chienne, ils vont devoir s’acclimater à cette nouvelle existence. Il va s’agir de survivre aux intempéries, à une vie plus que frugale de Robinson Crusoé du XXième siècle, exclus de la société matérialiste, tandis que derrière eux, ils ont laissé un monde en péril.

D’étranges visiteurs, plus ou moins hostiles, s’inviteront, notamment un troupeau de cerfs qui fascine Jenny. Jenny et Sils, unis par des années de complicité et de tendresse, et par leur passion pour les livres (elle est fascinée par Aby Warburg et sa célèbre bibliothèque) et la géologie (il a pour livre de chevet le De re metallica de Georg Agricola) traverseront avec grâce et vigueur cet exil forcé.

Ce livre parle du pouvoir des livres dans notre vie à une époque où pèse sur l’édition la menace de l’arrivée du livre numérique. Il parle aussi de la nature, d’une vie rude, au plus près des éléments où il est question de désir, d’énergie et d’une vraie poésie.