Le Bouddha est-il vert ?

Conversation avec Michel Maxime Egger
Labor & Fides, 2017
13 cm x 20 cm, 100 pages


Couverture de Le Bouddha est-il vert ?

Extraits de l'ouvrage

• Interprétations écologiques de la Genèse

[F]orce est de constater qu’en matière de spiritualités, la fragilité du jugement règne. Le christianisme serait le fauteur de tous les troubles et le bouddhisme un modèle de pensée écologique. Ces deux affirmations sont simplement fausses. Ce n’est pas le christianisme, mais une interprétation particulière de la Genèse qui s’est imposée dans l’Europe occidentale médiévale et qui a contribué à façonner un nouveau rapport au monde. Une conception qui a conduit les Occidentaux à ne reconnaître progressivement dans la nature qu’un stock de ressources à exploiter. Mais il est d’autres compréhensions possibles. La Genèse, composée de sources différentes, n’appelle pas seulement les êtres humains à dominer la nature, mais aussi à en reconnaître la valeur indépendamment d’eux-mêmes, ou encore à se considérer à l’égal des autres créatures de Dieu. De quoi nourrir une large gamme d’interprétations. Rappelons encore que la conception chrétienne du salut embrasse le monde lui-même, promis à une nouvelle création. [Dominique Bourg]

page(s) 10-11
• Le bouddhisme, tout aussi étranger à la domination qu’à la sacralisation de la nature

Le bouddhisme a vu le jour en des temps et en des lieux où il n’était question ni de « nature », concept occidental s’il en est, ni de mutation violente, rapide et destructrice de nos relations à la nature. Il ne saurait être question d’écologie à défaut de ces deux conditions. À quoi s’ajoute la relation délicate des fondamentaux du bouddhisme et de l’écologie. Le dessein du bouddhisme est de nous soustraire au cycle des renaissances, de nous sortir de la souffrance. Et certainement pas de reconnaître quelque sacralité, quelque valeur pour eux-mêmes, au vivant ou à la nature. L’éveil ou le salut est l’affranchissement du monde, fondamentalement impermanent. La voie bouddhiste, solidaire d’une compréhension très élaborée de la réalité, est forte et originale. Elle est pour cette raison tout aussi étrangère à la domination qu’à la sacralisation de la nature. [Dominique Bourg]

page(s) 11
• Le bouddhisme est-il compatible avec l’écologie ?

Face à l’avenir du monde dont les contours s’apparentent aux scénarios de films catastrophes, la spiritualité intervient effectivement comme une ressource clef pour l’élaboration d’une éthique écologique visant à nous éviter le pire. Le bouddhisme est concerné au même titre que les autres traditions religieuses. Il ne peut pas ne pas être interpelé. Je pense qu’il existe, à l’intérieur de sa tradition, suffisamment d’éléments et de richesses – philosophiques et spirituels – pour développer une pensée écologique. […]

C’est un champ nouveau de réflexion qui implique que l’on se donne les outils nécessaires et que l’on réfléchisse de manière rigoureuse et profonde. Le bouddhisme est-il, tel quel, compatible avec l’écologie ? L’écobouddhisme, tel qu’il s’est développé ces trente dernières années en Occident, est-il en accord avec les fondements philosophique du bouddhisme ?

page(s) 20-21
• L’écobouddhisme, extérieur au bouddhisme

L’écobouddhisme est en réalité un phénomène extérieur au bouddhisme.

page(s) 23
• L’écobouddhisme manquerait de subtilité et de complexité ?

[D]ans l’idée d’écobouddhisme peuvent venir s’engouffrer toutes sortes d’approximations, d’envies et d’attentes, qui ont beaucoup à voir avec le fond d’ignorance dans lequel nous baignons et que notre époque entretient – à cet égard, on a vu se développer ces dernières années un nouveau champ de recherche, l’agnotologie, qui n’est rien d’autre que l’étude de la construction culturelle de l’ignorance. Dans ce bain-là, où l’accent est mis sur la quête de solutions toutes faites, il devient de plus en plus difficile de penser quelque chose d’exigeant, de subtil et de complexe. Or le bouddhisme est justement une pensée exigeante, subtile et complexe.

page(s) 24
• Projections de l’Occident sur le bouddhisme

[Dans Le culte du néant, Roger-Pol Droit] montre très bien comment, dès la fin du XIXème siècle, les Occidentaux se sont regardés dans le miroir du bouddhisme. Ils y ont vu des éléments qui n’ont pas grand chose à voir avec le bouddhisme, mais qui sont des projections de l’Occident, le résultat de la volonté de plier le bouddhisme à nos manières de penser le monde et à nos impensés culturels. Par exemple, la notion de néant, qui ne correspond pas à la vacuité bouddhiste. Le même phénomène de projection va s’appliquer à l’écologie, avec […] les concepts de nature et d’interdépendance.

L’histoire est toujours une histoire au présent. S’intéresser aux relations entre le bouddhisme, l’écologie et la modernité, c’est se rendre compte que notre perception du bouddhisme dit toujours quelque chose de nous-mêmes, de notre propre histoire, de l’état de notre société et du type de culture que nous portons en nous-mêmes, plutôt que du bouddhisme véritablement.

page(s) 26
• L’écobouddhisme repose sur l’idée de nature propre à l’Occident

[L]es penseurs écobouddhistes n’auraient pas développé cette sensibilité particulière à l’égard de l’écologie s’ils n’avaient pas été pénétrés auparavant par une idée de nature propre à l’Occident, qui ne se retrouve pas telle quelle dans le bouddhisme.

page(s) 30
• Attitude paternaliste vis-à-vis des bouddhistes

On continue de vivre avec un complexe de supériorité qui nous vient d’une conscience et d’une culture coloniales. On va donc, d’une manière paternaliste, avoir tendance à expliquer aux bouddhistes ce qu’est le bouddhisme véritable, estimant qu’ils s’égarent dans des croyances ou des élucubrations rituelles inutiles et qu’il convient qu’ils retrouvent le fil de la tradition véritable.

page(s) 32
• Le bouddhisme devenu un objet consommable

[L]a question de l’écobouddhisme est très importante, car elle permet au bouddhisme de devenir un objet consommable, avec toutes les perversités qui peuvent en découler.

Le problème, […] c’est qu’à ce jeu-là, on perd à la fois la possibilité de la rencontre avec une altérité véritable – expérience forcément troublante et questionnante – et la possibilité, pour l’autre, d’exister dans sa singularité propre.

page(s) 34
• Les populations bouddhistes ne sont pas plus vertueuses écologiquement

[H]istoriquement – que ce soit sous la dynastie Tang en Chine ou dans le Japon Médiéval –, les monastères bouddhistes ont souvent participé à l’exploitation de l’environnement. Même si ce n’est pas le cas de tous les pays de culture bouddhiste, en particulier du Tibet, ils ont contribué à la déforestation et favorisé – en particulier par la neutralisation ou la conversion au bouddhisme des esprits qui habitent la terre et entravent sa culture – la transformation de la nature sauvage en surfaces agricoles. Aujourd’hui, il faut reconnaître aussi que les pays d’Asie marqués par le bouddhisme et où ce dernier est encore très présent, ne sont de loin pas des modèles de préservation de la nature. En termes de comportement écologique, les populations bouddhistes ne sont pas meilleures que celles du monde occidental, mais cela dépend aussi de la disparition ou non des structures traditionnelles de la société.

page(s) 36
• Le bouddhisme n’idéalise pas la nature

[I]l n’y a pas d’idéalisation romantique de la nature dans le bouddhisme. Les textes primitifs prennent en compte aussi bien l’indéniable beauté de la nature que ses non moins indéniables aspects sombres qui conduisent à la souffrance : la lutte pour la survie, la violence, la mort, l’impermanence… Ces aspects « négatifs » ne doivent cependant pas être mal interprétés ; ils ne donnent en rien à l’être humain le droit d’exploiter ou détruire la nature pour ses intérêts propres à court terme.

page(s) 49
• Ni hostilité vis-à-vis de la nature, ni célébration

La tradition bouddhiste n’est pas hostile à la nature en tant que telle – elle ne cherche pas à la dominer, la transformer par la technologie ou la détruire –, mais elle ne la célèbre pas non plus ; elle n’encourage pas à la conserver et à cultiver sa réalité sauvage, non encore touchée par l’humain. La positivité et la négativité d’ailleurs n’ont pas d’existence objective, mais sont le reflet de la manière dont nous faisons l’expérience du monde.

page(s) 50
• Dans le bouddhisme, une attitude écologique, mais plus passive qu’active

[I]l existe une attitude écologique dans les traditions anciennes du bouddhisme. Elle serait cependant plus passive qu’active et constituerait un effet secondaire positif de l’éthique générale bouddhiste.

page(s) 70
• La vacuité n’est pas un appel à l’inaction

Affirmer que le monde et l’environnement sont libres d’existence propre, qu’ils n’existent pas par eux-mêmes et sont impermanents, n’est pas un appel à l’inaction. Cela ne signifie pas qu’il ne faut rien faire, pour le monde ou pour les êtres. Absolument pas. C’est justement parce qu’ils sont impermanents, donc qu’ils peuvent changer, qu’il convient d’agir.

page(s) 70
• Ne pas se méprendre sur le sens de l’action

Un texte tardif du 9ème Karmapa (XVIIème siècle), en totale cohérence avec les premiers écrits du Bouddha, nous met en garde contre le risque de nous méprendre sur le sens de l’action. La compassion que l’on ressent pour les souffrances d’autrui et de la Terre pourrait nous détourner de la méditation au profit de l’action, ce qui reviendrait à nous éloigner de l’objectif véritable qui consiste à s’affranchir de tout conditionnement pour pouvoir véritablement aider autrui. […] Dans la tradition du Bouddha, jamais on ne nous empêche d’agir pour autrui, mais jamais on ne fait de cette action la source principale de la réalisation de l’éveil, ce que pourrait laisser entendre l’écobouddhisme. Car, à l’action compassionnelle, il convient de toujours adjoindre la sagesse qui, elle, est directement liée à la réalisation de la vacuité, et donc du non-soi.

page(s) 71-72
• Notre responsabilité : à l’égard de notre conditionnement

D’un point de vue bouddhiste, on n’a pas, éthiquement parlant, une responsabilité à l’égard du monde, mais à l’égard des actes et de leurs conséquences. Plus précisément, j’ai une responsabilité à l’égard de mon conditionnement et à l’égard du monde comme état conditionné. Ce n’est pas par hasard en effet que le monde se trouve dans l’état où il est. Il l’est parce qu’il est conditionné au même titre que je le suis. Je suis conditionné à penser le monde et à agir envers lui d’une certaine manière. À cet égard, tout en étant conditionné par moi, le monde me conditionne à son tour. Il y a donc un processus de cocréation et de coconditionnement.

page(s) 74
• Contentement

Je renonce donc à me rassurer dans la matérialité comme fin en soi. Je cesse d’accumuler, la thésaurisation n’étant rien d’autre qu’un antidote illusoire à l’angoisse. Je me concentre sur la satisfaction mesurée des quatre besoins essentiels reconnus par le Bouddha : la nourriture, la médecine, les vêtements et le logement. La contemplation devient une réponse à la (sur)consommation. […]

[Le contentement] est sans doute l’un des meilleurs antidotes au consumérisme et donc un moyen de conserver l’environnement. En soi, le contentement n’est pas spécifiquement bouddhiste – on le trouve ailleurs –, mais il existe des raisons spécifiquement bouddhistes de le promouvoir. Elles ne viennent pas d’une injonction morale ou d’une volonté expresse de protéger la nature, mais d’une conscience de la vacuité couplée à celle de la causalité.

page(s) 81

Préface de Dominique Bourg

Quatrième de couverture

Le bouddhisme est-il une religion « verte » ou cette image est-elle avant tout un produit de l’imagination occidentale ? L’écobouddhisme, qui a fleuri en Occident depuis une trentaine d’années, laisse plus ou moins entendre que le bouddhisme – du fait notamment de sa vision de l’interdépendance de toutes choses – serait « écologique » par essence. Cependant, l’étude rigoureuse de la tradition originelle du Bouddha et de ses sources textuelles les plus anciennes, comme le canon pali, ne permet pas d’accréditer une telle interprétation. En même temps, cela ne signifie pas que le bouddhisme ne dispose pas de ressources pour répondre au défi crucial de la crise écologique. Mais cela doit encore être pensé et articulé.

L’auteur

Jean-Marc Falcombello est journaliste culturel, disciple proche depuis trente-sept ans d’un des plus anciens maîtres tibétains vivants, Lama Teunsang. Il est coresponsable du centre de Montchardon en France et a rédigé le chapitre Bouddhisme et écologie dans le Dictionnaire de la pensée écologique (PUF, 2015).

Il dialogue ici avec Michel Maxime Egger, sociologue et écothéologien, responsable du laboratoire de la « transition intérieure » à l’ONG suisse Pain pour le prochain et auteur d’essais sur l’écopsychologie et l’écospiritualité.