Les émotions de la Terre

Les liens qui libèrent, 2019
15 cm x 22 cm, 360 pages
2020


Couverture de Les émotions de la Terre
Couverture poche de Les émotions de la Terre

Extraits de l'ouvrage

• Une guerre émotionnelle

Je ne prends pas à la légère la situation dans laquelle nous sommes. Je déclare qu’il existe aujourd’hui une guerre émotionnelle ouverte entre les forces de la création et les forces de la destruction sur cette Terre. La troisième guerre mondiale sera une guerre émotionnelle qui doit s’achever par la victoire des forces de la création. Mais ceux qui mènent les forces de la destruction ne céderont pas aisément leur contrôle sur la Terre. L’avenir pourrait s’avérer très sombre pour l’humanité – mais, une fois encore, je tiens à dire qu’il pourrait être radieux.

page(s) 13
• L’univers, source de toutes les forces émotionnelles

Le mot « émotion » est apparenté à deux verbes latins : movere, mouvoir et emovere, agiter, troubler. Je considère donc que l’univers est littéralement un lieu « émotionnel ». Qu’est-ce qu’une émotion ? Ce qui nous meut ou ce qui nous affecte. Notre univers modèle des forces puissantes et est modelé par elles. Il est le premier moteur, créant et détruisant les conditions qui rendent la vie possible. Dans le sens le plus concret, l’univers est la source de toutes les forces émotionnelles.

page(s) 17
• La vie lutte contre l’entropie

Nous sommes une minuscule étincelle de vie luttant contre des forces entropiques de destruction et de ruine. Nous construisons un ordre organique en coopération avec les autres formes de vie, contre une tendance de fond au déclin thermodynamique.

page(s) 19
• Forces terraphtoriques et forces terranaissantes

[L]es émotions courantes sont liées à des forces terraphtoriques et à des forces terranaissantes. Grâce aux premières, la colère, l’hostilité, l’envie, la jalousie et le mépris ont permis la défense de sa propre vie et celle de sa parenté proche. Grâce aux secondes, l’amour, l’attention, l’empathie, l’admiration et le bonheur ont permis aux humains de se sentir en sécurité dans des groupes familiaux et parentaux.

page(s) 19-20
• Pour les peuples traditionnels, les émotions se réfléchissent dans l’univers

Pour les peuples traditionnels, l’ordre et le désordre du cosmos sont vraiment une clef pour comprendre et expliquer l’ordre et le désordre dans les affaires humaines. Des états émotionnels comme la jalousie et la colère trouvent leur reflet dans la violence et les caprices de la nature. Violence et caprices de la nature leur donnent également la certitude que jalousie et colère ne seront jamais complètement éliminées ou contrôlées en toutes circonstances. Inversement, les émotions comme l’attention et  l’empathie se réfléchissent dans un univers ordonné mais aussi dans les instincts, les structures et les pulsions qui propagent la vie, le sexe, la naissance, la faim, la sécurité et la mort de tous les êtres vivants sur Terre.

page(s) 26
• Nos anciens repères émotionnels de respect de la Terre bouleversés

Ma thèse est la suivante : aujourd’hui, l’humanité est dans une situation similaire à celle du peuple aborigène en Australie après 1788. L’Anthropocène est arrivé comme une force colonisatrice refoulant toutes les expressions des cultures antérieures. Un système de valeurs unique et homogène influence notre expression émotionnelle et notre identité dans de nouveaux lieux, de nouveaux espace, de nouveaux contextes. Nos anciens repères émotionnels respectant la Terre comme notre maison ont été universellement bouleversés. Il semble qu’il n’existe aujourd’hui plus qu’une seule façon d’être humain.

page(s) 28
• Les anciennes sources de soutien émotionnel semblent se tarir

La fracturation hydraulique, le forage pétrolier en Arctique, les coupes rases en Amazonie pour le pâturage du bétail et la disparition des forêts tropicales au profit de l’huile de palme mettent en évidence quelque chose de pire que de l’indifférence envers notre environnement.

Les fabuleuses conditions de vie de l’Holocène ont pratiquement disparu. Nous entrons dans une période d’incertitude extrême avec comme perspectives des famines massives, un terrorisme international, des accidents nucléaires terrifiants, des risques de guerre nucléaire, la montée des extrémismes politiques et des catastrophes climatiques. Tout cela alimente nos angoisses actuelles et notre peur de l’avenir. Il y a déjà de la solastalgie pour ce qui est en train d’être perdu et une tristesse universelle pour tout ce qui a été déraciné.

Je crains que les émotions terraphtoriques ne soient revenues au sommet de notre antique arbre émotionnel. Les anciennes sources institutionnelles de soutien émotionnel pour les humains semblent se tarir.

page(s) 31
• Perte de notre spiritualité émotionnelle

Avec la perte du ciel nocturne en raison des lumières vives et artificielles, les gens perdent la boussole émotionnelle leur permettant de survivre dans les limites des formes de vie et des cycles de la Terre et de tout l’univers. Les humains perdent leur astronomie émotionnelle, leur écologie émotionnelle – et avec elles ils perdent leur spiritualité émotionnelle.

page(s) 31-32
• Sumbiographie

Ma vie présente et ma capacité à ressentir des émotions riches au contact direct de la nature dépendent de toutes mes expériences passées, depuis mon enfance. Comment nommer la description de cet ensemble d’influences cumulées sur une vie entière ? J’ai choisi le terme « sumbiographie ».

On reconnaît dans ce terme le nom grec sumbios, symbiose, qui désigne la vie commune d’être vivants, généralement pour un bienfait réciproque. Le verbe grec sumbion, vivre ensemble, existe également. On peut aussi analyser ainsi l’étymologie de sumbios : le préfixe sum- renvoie au grec syn-, ensemble, et fait également penser au latin summa, somme. Bio signifie bien sûr la vie. Enfin, graphie vient du grec graphien, écrire, décrire.

J’ai donc défini la sumbiographie comme la description et l’explication de tous les événements de la vie d’une personne, qui la relient à la « nature », aux gens et autres êtres vivants.

page(s) 36-37
• Un endroit magnifique, verdoyant et fécond

La petite ferme [de mes grands-parents] était un paradis permaculturel avant la lettre […] C’était le lieu idéal pour une vie terranaissante et heureuse. Il est devenu le modèle de la propriété que j’ai cherchée toute ma vie, une propriété qui puisse ressembler autant que possible à cette idylle bien réelle, rurale et durable. Un tel mode de vie en autonomie dans un endroit magnifique, verdoyant et fécond a été stimulant pour mes réflexions.

page(s) 42
• Fermosophe

Cette combinaison du soin envers la Terre et la vie avec la philosophie me marqua pour le restant de mes jours, à tel point que je me qualifie désormais de fermier philosophe, de « fermosophe ».

page(s) 46
• Typologie psychoterratique

Après avoir créé le concept de solastalgie, je me suis efforcé de décrire et de définir ce que j’appelle la « typologie psychoterratique », c’est-à-dire la typologie des émotions positives et négatives de la Terre dont j’ai pu trouver le nom dans la littérature ou que j’ai moi-même nommées.

page(s) 54
• Sensible au génie d’un lieu

Je suis profondément sensible au génie d’un lieu. Ma boussole émotionnelle, cette biophilie héréditaire, m’attire instinctivement vers des environnements magnifiques et biologiquement riches où je veux prendre place avec un sentiment d’attachement aussi fort que possible.

page(s) 57
• Une nostalgie sans but

Lorsque les limites de notre monde, de ses lois et de son harmonie sont détruites par des forces que nous ne contrôlons pas, alors notre habitat devient toxique et génère une « nostalgie sans but ».

page(s) 68
• La solastalgie, l’émotion lorsque le lieu devient toxique et son sens négatif

Je pensais que nous avions besoin dans notre langue d’un concept exprimant l’émotion liée au lieu et évoquant l’impression de détresse lorsqu’une force extérieure, que nous essayons en vain de contrecarrer, pénètre dans le lieu biophysique ou « espace vital » où nous vivons (le domicile, la propriété, la région) et le dévaste progressivement. L’endroit devient toxique et le sens du lieu devient ainsi négatif.

page(s) 73
• Consolation versus désolation

Deux concepts me semblaient très proches de ce que je cherchais : consolation et désolation.

Le mot « consolation » provient du verbe latin solari (ou des noms solacium ou solatium). Il peut avoir deux significations. La consolation peut désigner le soulagement de la détresse, le réconfort reçu lors de moments difficiles. La consolation peut aussi, par métonymie, désigner ce qui apporte du réconfort ou de la force lors d’événements stressants : une personne, ou un paysage, peut être une source de consolation ou de force pour autrui. Des environnements particuliers peuvent procurer de la consolation à ceux qui la cherchent. Cette double signification s’applique tout aussi bien au contexte psychologique que physique. Qui manque de consolation est en détresse et doit être réconforté. Si une personne cherche la consolation dans un endroit très cher à son cœur qui a été détruit, elle souffrira de détresse. La consolation apporte la paix du cœur ; elle soulage un esprit troublé et rétablit l’harmonie là où se trouvait la discorde.

Le mot « désolation » a également des origines latines. Il provient de desolare et signifie la dévastation, la privation de confort, l’abandon et la solitude (être solitaire ou être abandonné). Il s’applique également à des contextes psychologique ou physique : un sentiment personnel d’abandon, d’isolement ou la dévastation d’un paysage ou d’une construction humaine.

page(s) 74-75
• La solastalgie, la détresse de l’absence de consolation face à la désolation

[Le mot « solastalgie »] est construit sur le modèle du mot néolatin nostlagia (et ses racines grecques nostos et algos). La racine latine sola, présente dans les deux mots solari [consolation] et desolare [désolation, dévastation], est complétée par le suffixe stalgia, qui intègre le néolatin algia signifiant douleur. Par essence, même s’il est une combinaison de mots grecs et latins, « solastalgie » est avant tout un néologisme néolatin.

Je définis donc la « solastalgie » comme la douleur ou la détresse causée par une absence continue de consolation et par le sentiment de désolation provoqué par l’état actuel de son environnement proche et de son territoire. Il s’agit de l’expérience existentielle et vécue d’un changement environnemental négatif, ressenti comme une agression contre notre sentiment d’appartenance à un lieu. Il s’agit typiquement d’un trouble chronique, lié à l’érosion graduelle de l’identité créée par le sentiment d’appartenir à un lieu aimé. Il s’agit d’un sentiment de détresse ou de désolation psychologique né de la transformation indésirable dudit lieu. […] La solastalgie est le mal du pays éprouvé alors que vous vivez toujours chez vous dans votre environnement habituel.

page(s) 75-76
• La solastalgie, signature de l’Anthropocène

Cette expérience [de la solastalgie] est probablement ancienne et courante. Il y a néanmoins un fait nouveau : durant ce dernier demi-siècle, cette émotion est devenue de plus en plus répandue en raison du chaos climatique et de la destruction des écosystèmes au cours d’une période de croissance économique rapide, aujourd’hui appelée Anthropocène.

page(s) 79
• Plus d’endroit où se cacher

Il n’y a plus d’endroit où se cacher pour éviter les changements induits par l’activité humaine.

page(s) 91

Quatrième de couverture

« Je suis né au début de l’Anthropocène. Au début du déploiement de forces colossales de transformation. Au début de la domination humaine sur tous les processus biophysiques planétaires et même sur le premier d’entre eux : le climat, qui devient plus chaud et chaotique. Les changements sociaux et biophysiques sont devenus aujourd’hui si importants et si rapides qu’il est difficile de les appréhender dans leur globalité.

Ayant réfléchi à ces questions durant toute ma vie, je me sens aujourd’hui capable de proposer une réflexion sur le sens de la vie humaine au temps de l’Anthropocène. Dans cet ouvrage, je me suis concentré sur un thème majeur : les réactions émotionnelles particulières que nous manifestons en réponse au rythme et à l’ampleur du changement environnemental et écologique. J’appelle ces réactions “émotions de la Terre ”. »

Glenn Albrecht explore notre relation au vivant et offre à éprouver une vision du monde radicalement nouvelle pour nous adapter aux bouleversements écologiques. En créant de nouveaux concepts qui décrivent les liens intimes entre notre psyché et la Terre, il entend modifier notre perception du monde, de notre avenir, et de notre place au sein du monde vivant. Une invitation à mobiliser nos émotions pour qu’advienne une nouvelle ère dont le nom est une belle promesse : le Symbiocène.

Néologismes proposés pour des états psychoterratiques négatifs

  • terrafurie : la colère contre les forces autodestructrices de notre société ;
  • tierratrauma : une émotion aigüe ressentie au moment d’une atteinte environnementale ;
  • topoaversion : le sentiment d’aversion à l’idée de revenir dans un endroit aimé après qu’il ait été dévasté ;
  • météoranxiété : l’angoisse causée par la fréquence et la violence des événements climatiques extrêmes ;
  • solastalgie : la désolation provoquée par l’état de son environnement proche et la détresse de l’absence continue de consolation ;
  • terreur globale : une anxiété extrême dans la perspective d’un avenir apocalyptique ;
  • mermérosité : un état chronique d’anxiété au sujet de l’extinction possible du monde familier ;
  • tierracide : l’extinction des formes de vie évoluées sur Terre.

Néologismes proposés pour des états psychoterratiques positifs

  • topophilie : la joie esthétique d’être en lien avec un paysage ou un lieu ;
  • endémophilie : l’amour que portent les gens au lieu où ils vivent, à l’échelle locale et régionale ;
  • biophilie : l’amour de la vie et des processus biologiques ;
  • écophilie : l’amour de l’écosystème total ;
  • tierraphilie : l’amour de la Terre ;
  • soliphilie : la solidarité de tous envers tous dans un sentiment d’unité et l’engagement qui en découle à protéger les écosystèmes ;
  • eutierrie : sentiment réconfortant d’union avec la Terre et les forces vitales, dans une sorte de sentiment océanique ;
  • sumbiophilie : l’amour pour la vie en interconnexion avec tous les êtres vivants.