Quand la forêt brûle

Penser la nouvelle catastrophe écologique
Premier Parallèle, 2019
13 cm x 21 cm, 200 pages


Couverture de Quand la forêt brûle

Extraits de l'ouvrage

• Sentiment de désarroi et de perte

Le sentiment de désarroi et de perte ressenti à l’égard d’un paysage aimé dont la disparition m’a semblé, à mon échelle, brutale et irréversible […] Ce sentiment de perte a été d’autant plus aigu qu’il s’est doublé d’un sentiment d’injustice, voire de colère[.]

page(s) 10
• L’homme n’est pas le souverain de la nature

L’homme n’est pas le souverain de la nature, mais son accompagnateur et son assistant. Il partage avec elle un même futur.

page(s) 111
• Nécessité de cultiver la forêt

[L]e fait d’isoler telle catégorie de facteur, humain ou naturel, et d’adopter un raisonnement causal unilatéral et moniste sert souvent à légitimer des convictions politiques ou économiques. Mais cela entrave la découverte des moyens nécessaires au rétablissement des pratiques avec la nature qui soient adaptées à la fois à l’environnement et aux activités humaines. Il n’est pas illogique et il est souvent nécessaire de cultiver la forêt. Faute de telles pratiques, les feux se déchaînent et acquièrent une puissance de dévastation croissante.

page(s) 113
• L’entretien de la forêt n’est plus assuré

L’homme, gardien dans la Bible du jardin d’Éden, est aussi le gardien de la forêt. De même qu’Adam cultive le jardin tout en le préservant, et doit le cultiver pour se faire, les forestiers, les éleveurs, les cueilleurs, les cultivateurs, prêtent assistance à la forêt habituée à leur présence. Au fur et à mesure que les sociétés, faute de transmission et de savoir-faire, de liberté et d’autogouvernement, d’ancrage local ou de volonté, cessent d’être les partenaires actifs de la « nature », les feux gagnent en intensité. Faute de troupeaux qui broutent la végétation basse, faute de champs cultivés, de vergers, de parcelles défrichées, de débroussaillage, de brûlis, l’entretien, devenu nécessaire en raison de transformations successives et d’interactions millénaires, n’est plus assuré. Une politique cohérente de prévention des mégafeux préconiserait donc, bien au-delà des feux d’entretien qui ne sont pas toujours nécessaires, d’exploiter les forêts, d’y introduire des troupeaux, d’y pratiquer des coupures, d’ouvrir les milieux en multipliant les zones cultivées, de valoriser des productions directes (bois, liège, gemme, plantes médicinales…) et indirectes (élevage, trufficulture, tourisme dans une certaine mesure), de diversifier les forêts au lieu de les livrer aux monocultures et de rétablir leur vocation multifonctionnelle. Elle engloberait une médecine de la forêt.

page(s) 114
• Un mégafeu atteint le centre vital des personnes

L’impact du feu est plus que psychologique et social. Il atteint le centre vital de la personne. Ce qu’il brûle en termes de projets, d’investissements, d’identifications, de symboles, d’embellissement, d’environnement traditionnel ou quotidien, ne reviendra pas. La situation est celle d’un non-retour. À l’échelle de la vie humaine, rien ne sera plus comme avant. […] La traumatisme et le sentiment de perte ne cicatriseront jamais complètement.

page(s) 116
• Un milieu si amenuisé qu’« il n’y a plus nulle part où aller »

Qu’il s’agisse de leur intensité, de leur vitesse de propagation, de leur étendue, de leurs conséquences écologiques et humaines ou de leur récurrence, [les mégafeux] sont sans commune mesure avec ce qui se produisait dans le passé. Il est par ailleurs strictement impossible de prévoir leur comportement et de les contrôler.

Catastrophiques à l’égard de la nature, alarmants sur l’efficience de nos instruments de prédiction, ils sont aussi tragiques, au sens où, du point de vue humain, on ne peut s’y adapter, ni les éviter.

Face à la violence et à la soudaineté de l’événement, les promesses de domination de la nature ou, à l’opposé, les propos naturalistes lénifiants, voire romantiques, perdent en crédibilité et en pertinence.

[U]n cauchemar, celui d’un milieu si amenuisé qu’« il n’y a plus nulle part où aller ». Là où foisonnait la nature bienfaisante se déploie un espace lunaire.

page(s) 12-13
• Une individualité sans dehors

Le monde étant à la fois l’ensemble des moyens d’action pour un individu donné, la caisse de leur résonance et le substrat qui en conserve les traces, le grand feu en provoque la fin. […] Le sentiment même d’exister reflue en un centre étriqué qui est celui d’une individualité sans dehors.

page(s) 127-128
• Deux idéaux stériles : nature dominée ou nature vierge

Ce contraste auquel le mégafeu donne un relief saisissant pourrait aussi servir d’indicateur : il signale que nous nous trouvons dans une impasse. Il agit comme une sonnette d’alarme et rend absurde la structure dichotomique qui sous-tend notre relation à la nature, au sujet de laquelle nous nourrissons finalement deux idéaux : celui d’une nature si dominée qu’elle doive docilement obéir à nos besoins et à nos prévisions, ou celui d’une nature vierge destinée à être respectée et contemplée à distance. Car ni l’interventionnisme à tous crins ni l’évangile du préservationnisme, qui caractérise un courant important de l’écologie, ne semblent offrir les bonnes réponses face aux mégafeux, ne permettant ni de les contrôler ni même de les penser.

page(s) 14
• Tenter de s’ancrer solidement dans la réalité

[R]ecourir au phénomène du mégafeu comme à un poste d’observation et à un « accélérateur d’opinion » en faveur d’une action commune pour la sauvegarde, non de la terre qui nous survivra, mais des conditions d’existence humaine.

Comment échapper à l’opposition stérile entre domination et idéalisation ? Comment affronter l’inquiétude légitime que les mégafeux suscitent, de manière à y trouver une nouvelle grammaire de nos interactions avec ce qui constitue notre milieu, et à développer une approche intellectuelle et émotionnelle susceptible de mener à une action efficace sur le terrain ?

Le climatoscepticisme comme le catastrophisme, ici renvoyés dos à dos, peuvent alors servir de repoussoirs pour tenter de s’ancrer solidement dans la réalité afin de repérer les interactions entre humanité et nature qui pourraient être les plus durables et les plus propices au maintien d’une véritable réciprocité.

page(s) 15-16
• Le mégafeu, un fait à la fois physique et social

[L]e mégafeu est un fait à la fois social et physique. Le dérèglement climatique qui en est la cause est la conséquence d’un état social hiérarchisé et fondamentalement inégalitaire. L’attitude nécessaire pour le limiter réside donc dans une transformation des rapports sociaux propice à l’égalité des participants et à l’intelligence collective. […]

page(s) 166-167
• Une profonde rupture écologique

En cas de feu extrême, la rupture écologique est si profonde, certaines espèces animales et végétales si affaiblies, l’espace est si violemment et brutalement transformé, l’habitat des vivants si durablement déstructuré que les évolutions favorables ne sont plus possibles, du moins à l’échelle qui est la nôtre.

À de nombreux endroits, les incendies ont été si violents et répétés que les sols ont été déstructurés. Le terreau que des milliers d’années avaient accumulé a été emporté, faute de végétation, par le ruissellement des eaux de pluie. Là où passent les mégafeux, rien ne subsiste. […]

À l’échelle de l’espèce humaine, les mégafeux sont cataclysmiques. L’aggravation rapide des conditions qui les provoquent est telle qu’il est légitime de penser que, parmi tous les scénarios liés au dérèglement climatique – désertification, élévation du niveau des océans, épuisement des sols, vagues de chaleur, extinction d’espèces, invasion de nuisibles, inondations, etc. – auxquels nous imaginons devoir faire face dans un avenir proche, celui de la conquête par les flammes des espaces qui constituent notre environnement s’avère le plus menaçant.

page(s) 23-24
• Notre confiance en la rationalité du contrôle questionnée

Les mégafeux questionnent […] brutalement notre confiance en la rationalité du contrôle et de l’aménagement du territoire sur laquelle nombre de politiques occidentales reposent. […] Les habitants des pays industrialisés du Nord se croyaient à l’abri des catastrophes naturelles grâce à leur techno-science, les risques étant associés aux pays du Sud jugés arriérés et mal gérés.

page(s) 60-61
• L’être humain, cause prépondérante dans l’apparition d’un milieu hostile

[P]rendre acte d’une situation dans laquelle l’être humain, à la fois comme être naturel et comme victime de ses propres activités, est une cause prépondérante dans l’apparition d’un milieu qui lui est hostile.

page(s) 66
• Une conception de l’homme contre nature

La crise environnementale dont les mégafeux sont l’effet actuellement le plus tangible est indissociable d’une conception de l’homme contre nature, aux deux sens de l’expression : d’une part, opposée à la nature dont elle nie l’indépendance et méconnaît le fonctionnement, et, d’autre part, en porte-à-faux, dénaturée et donc anti-humaniste au sens où elle s’avère en définitive contraire aux besoins humains de base.C’est cette même conception qui explique le large éventail de facteurs humains responsables des très grands feux et de la destruction rapide de nos conditions d’existence. L’idéologie d’une maîtrise complète de la nature qui sous-tend l’arraisonnement de la nature et l’idéal de contrôle des feux a pour ultime conséquence des phénomènes incontrôlables, dont les mégafeux sont le symptôme le plus violent et le moins réfutable. La cause est humaine, mais le processus se retourne contre l’homme en général.

page(s) 77-78

Quatrième de couverture

Incendies en Sibérie, en Californie, en Amazonie. Les feux de forêt prennent depuis quelques années une ampleur telle qu’ils en viennent à changer de nature : nous avons désormais affaire, un peu partout dans le monde, à des « mégafeux ». D’une étendue sans précédent, nul ne parvient à les arrêter.

À l’heure de la crise écologique, ils révèlent l’ambiguïté fondamentale du rapport que nous entretenons aujourd’hui avec la nature. Une nature à la fois idéalisée, bonne en soi, à laquelle il ne faudrait pas toucher mais que l’on s’évertue à vouloir dominer.

En cela, les mégafeux sont le symptôme d’une société malade. Un symptôme qui devrait nous pousser à repenser la manière dont nous dialoguons avec une « nature » qui n’est jamais que le résultat des soins attentifs que les êtres humains prodiguent, depuis des millénaires, à leur environnement. C’est cette attention qu’il est urgent de retrouver.