Baptiste Morizot

Portrait de Morizot

Quelques ouvrages

Quelques extraits

• Protéger le vivant, plus fort et plus ancien que nous

[P]rotéger le vivant mais, paradoxalement, comme quelque chose de plus fort que nous, de plus ancien que nous.

Philippe Descola a montré, dans Par-delà nature et culture, que le schème de la relation de la « protection » est par définition asymétrique, il implique nécessairement que le protégé soit infériorisé par rapport au protecteur. […U]ne étrangeté de ceux qui ont inventé la « nature » comme une altérité.

page(s) 55
• Se dégager des dualismes

Les dualismes […] ne sont jamais que l’avers et le revers d’une même pièce. […] Sortir du Civilisé, ce n’est pas se jeter dans le Sauvage, pas plus que sortir du Progrès implique de céder à l’Effondrement : c’est sortir de l’opposition entre les deux.

page(s) 22
• L’« essentiel » aux yeux du « moderne moyen »

[S]e consacrer à l’« essentiel » aux yeux du momo [le « moderne moyen »] : les relations entre congénères humains. Relations de pouvoir, d’accumulation, de prestige, d’amour, de famille, sur fond d’un décor inanimé, constitué par les dix millions d’autres espèces qui, soit dit en passant, sont nos parentes.

page(s) 27
• Violence innocente de notre cécité

Combien de fois n’avons-nous rien vu de ce qui se tramait de vivant dans un lieu ? […] Pas de reproches, mais une certaine tristesse à l’égard de cette cécité, de sa portée, et de sa violence innocente.

page(s) 14
• Nécessaire attention au tissage des autres formes de vie

Être chez soi, c’est [pour le « moderne moyen »] pouvoir vivre sans faire attention. Or pour les autochtones, c’est l’inverse, le chez-soi implique cette vigilance vibratile, cette attention au tissage des autres formes de vie, qui enrichissent l’existence, même s’il faut composer avec elles et que c’est souvent exigeant, parfois compliqué. La concorde est coûteuse en intelligence diplomatique entre humains, elle l’est aussi avec les autres vivants.

page(s) 27
• Jubilant du soleil, glissant sur la force du vent

Il y a dans le cortège les pipits, les bergeronnettes, les accenteurs mouchets, les gypaètes géants et les microscopiques serins, les roitelets, les venturons, les tichodromes et les milans royaux, comme des tribus gauloises pavoisant dans leurs couleurs, chacun avec ses mœurs, son langage, sa fierté sans ego, sans miroir – chacun avec ses exigences. Et chacune de ces formes de vie a sa perspective unique sur ce monde partagé, qui maîtrise l’art de lire des signes ignorés de tous les autres. […]

Des peuples bataillant contre les éléments, se tissant aux flux d’énergie, jubilant du soleil, glissant sur la force du vent.

page(s) 13-14
• Le vivant, un feu créateur

Le vivant n’est pas un patrimoine au sens humain, fait de main humaine, figé et fragile, inflammable : c’est avant tout un feu créateur. Ce n’est pas nous qui l’avons fait, c’est lui qui nous a fait.

Par la métaphore du « feu », j’entends ici que la biosphère peut bien être réduite, appauvrie, affaiblie, il suffira de quelques braises (des niches écologiques qui se libèrent, des conditions plus clémentes) pour que le vivant foisonne, se répande, se multiplie dans toutes les directions.

page(s) 44
• Accepter notre destin commun avec le reste des vivants

[Il y a] un effet politique dans la transformation de nos rapports avec l’animalité de l’humain. […] Accepter notre identité de vivant, renouer avec notre animalité pensée ni comme primalité à surmonter, ni comme sauvagerie plus pure, mais comme héritage riche à recueillir et à moduler, c’est accepter notre destin commun avec le reste des vivants.

page(s) 23
• Habiter, c’est toujours cohabiter

Le problème de notre crise écologique systémique, […] est un problème d’habitat. C’est notre manière d’habiter qui est en crise. Et notamment par son aveuglement constitutif au fait qu’habiter, c’est toujours cohabiter, parmi d’autres formes de vie, parce que l’habitat d’un vivant n’est que le tissage des autres vivants.

page(s) 24
• Terrible et parfaite solitude

Il aura suffi que le judéo-christianisme fasse fuir Dieu de la « Nature » (c’est l’hypothèse de l’égyptologue Jan Assmann) pour la rendre profane, puis que la révolution scientifique et industrielle transforme la nature restante (phusis scolastique) en matière dépourvue d’intelligences, d’influences invisibles, à disposition de l’extractivisme, pour que l’humain se retrouve en cavalier solitaire dans le cosmos, entouré de matière bête et méchante. Le dernier acte impliquait de tuer la dernière affiliation : seul face à la matière, l’humain restait néanmoins en contact vertical avec Dieu, qui la sanctifiait comme sa Création (théologie naturelle). La mort de Dieu induit cette terrible et parfaite solitude, qu’on pourrait appeler le huis clos anthroponarcissique.

page(s) 29
• Le monde n’est habitable pour nous que s’il l’est aussi pour les autres vivants

[Ce que les] peuples [premiers] activent déjà tous les jours dans leurs relations avec le vivant, c’est que la vie n’est vivable pour les humains que si elle l’est pour le tissu du vivant dans son ensemble. Que le monde n’est habitable pour nous que s’il l’est aussi pour les autres vivants, puisque nous ne sommes qu’un nœud de relations tissé aux autres formes de vie.

page(s) 54
• Ce qui est en cause : l'extractivisme productiviste financiarisé

Ce ne sont pas les humains « en général » qui sont en cause, mais la dérive d’une forme économique et politique tardive, d’un métabolisme social ravageur, d’un rapport au monde particulier, qui s’est érigé en norme et en Progrès : quelque chose comme un extractivisme productiviste financiarisé, élargissant les logiques marchandes à tout ce qui devrait en être exclu, et incapable de toute sobriété.

page(s) 53
• D’autres manières d’être vivant

[L]es animaux ne sont pas plus bestiaux que nous, pas plus qu’ils ne sont plus libres. Ils n’incarnent pas une sauvagerie débridée et féroce (c’est un mythe de domesticateur), pas plus qu’une innocence plus pure (c’est son envers réactif). Ils ne sont pas supérieurs à l’humain en authenticité ou inférieurs en élévation : ils incarnent avant tout d’autres manières d’être vivant.

page(s) 22
• Impropriété de la compassion surplombante

Le discours compassionnel envers la nature en général a […] quelque chose de loufoque : il révèle son ignorance de ce qu’il prétend chérir. Le monde vivant est notre «  milieu donateur ». […I]mpropriété de cette attitude unidimensionnelle qui conçoit le vivant essentiellement sous l’angle de sa vulnérabilité, qui réduit à la compassion surplombante la gamme de relations qu’on peut entretenir avec lui. […M]ythe de toute-puissance que paradoxalement cette compassion recèle.

 

page(s) 58-59
• Extinction de notre expérience de la nature

[L]es dix chants d’oiseaux différents qu’on entend chaque jour ne parviennent pas au cerveau autrement que comme bruit blanc, ou au mieux évoquent un nom d’oiseau vide de sens : c’est comme des langues anciennes que plus personne ne parlerait, et dont les trésors sont invisibles.

La violence de notre croyance en la « Nature » se manifeste dans le fait que les chants d’oiseaux, de grillons, de criquets, dans lesquels on est immergés en été dès qu’on s’éloigne des centres-villes, sont vécus dans la mythologie des modernes comme un silence reposant.

page(s) 17
• Aussi intolérable que la monarchie de droit divin

L’idée de disparition […] des formes de vie autour, par inaction, écofragmentation et extractivisme [… ,doit] nous [devenir] aussi intolérable que la monarchie de droit divin.

page(s) 23
• Notre dérisoire longévité

En tant qu’individus humains, notre longévité est dérisoire au regard de celle d’un arbre, d’un corail, d’une forêt ancienne, d’un écosystème. Or la Grande vie des écosystèmes, des poumons verts forestiers, des cycles de carbone, de l’évolution des espèces, est la condition de la petite vie des individus.

page(s) 16
• Un continent de courage

Comment loger un continent de courage dans onze grammes de vie ?

page(s) 13
• Imaginaires de l’animalité : domptage ou primalité

[La] conception occidentale pense l’animalité comme une bestialité intérieure que l’humain doit surmonter pour se « civiliser » ou, à l’opposé, comme une primalité plus pure dans laquelle il se ressource, retrouvant par là une sauvagerie plus authentique, libérée des normes sociales. Ces deux imaginaires semblent opposés, alors que rien n’est moins juste : le second n’est que le revers de l’autre, construit par réaction et opposition symétrique.

page(s) 22
• Une crise de nos relations au vivant

La crise écologique qui est la nôtre est bien une crise des sociétés humaines : elle met en danger le sort des générations futures, les bases mêmes de notre subsistance, et la qualité de nos existences dans des environnements souillés. C’est aussi une crise des vivants : sous la forme de la sixième extinction des espèces, de la défaunation, comme de la fragilisation des dynamiques écologiques et des potentiels d’évolution de la biosphère par le changement climatique. Mais c’est aussi une crise d’autre chose, de plus discret, et peut-être plus fondamental. Ce point aveugle, j’en fais l’hypothèse, c’est que la crise écologique actuelle, plus qu’une crise des sociétés humaines d’un côté, ou des vivants de l’autre, est une crise de nos relations au vivant.

page(s) 13