Baptiste Morizot

Portrait de Morizot

Quelques ouvrages

Quelques extraits

• Imaginaires de l’animalité : domptage ou primalité

[La] conception occidentale pense l’animalité comme une bestialité intérieure que l’humain doit surmonter pour se « civiliser » ou, à l’opposé, comme une primalité plus pure dans laquelle il se ressource, retrouvant par là une sauvagerie plus authentique, libérée des normes sociales. Ces deux imaginaires semblent opposés, alors que rien n’est moins juste : le second n’est que le revers de l’autre, construit par réaction et opposition symétrique.

page(s) 22
• Le monde n’est habitable pour nous que s’il l’est aussi pour les autres vivants

[Ce que les] peuples [premiers] activent déjà tous les jours dans leurs relations avec le vivant, c’est que la vie n’est vivable pour les humains que si elle l’est pour le tissu du vivant dans son ensemble. Que le monde n’est habitable pour nous que s’il l’est aussi pour les autres vivants, puisque nous ne sommes qu’un nœud de relations tissé aux autres formes de vie.

page(s) 54
• Jubilant du soleil, glissant sur la force du vent

Il y a dans le cortège les pipits, les bergeronnettes, les accenteurs mouchets, les gypaètes géants et les microscopiques serins, les roitelets, les venturons, les tichodromes et les milans royaux, comme des tribus gauloises pavoisant dans leurs couleurs, chacun avec ses mœurs, son langage, sa fierté sans ego, sans miroir – chacun avec ses exigences. Et chacune de ces formes de vie a sa perspective unique sur ce monde partagé, qui maîtrise l’art de lire des signes ignorés de tous les autres. […]

Des peuples bataillant contre les éléments, se tissant aux flux d’énergie, jubilant du soleil, glissant sur la force du vent.

page(s) 13-14
• Transformer le champ de l’attention

[P]our changer le politique, il s’agit aussi (en plus de militer, lutter, s’organiser autrement, lancer l’alerte, faire levier au plus près du pouvoir, inventer d’autres manières d’habiter) de transformer le champ de l’attention à ce qui importe.

page(s) 24
• Violence innocente de notre cécité

Combien de fois n’avons-nous rien vu de ce qui se tramait de vivant dans un lieu ? […] Pas de reproches, mais une certaine tristesse à l’égard de cette cécité, de sa portée, et de sa violence innocente.

page(s) 14
• En vieillissant, les forêts resplendissent et rayonnent

Le paradoxe que ne comprend pas notre espèce mammifère, chez qui vieillir implique déclin, c’est que les forêts ne vieillissent pas comme nous : en vieillissant, elles resplendissent et rayonnent. Les forêts anciennes sont des fontaines de Jouvence. Plus on laisse une forêt vieillir, plus elle rajeunit, plus elle gagne en puissance de vivification du territoire, plus elle déborde de vie. Pour tout le territoire. Jusqu’à régénérer le monde autour d’elle.

page(s) 50
• Se décentrer vers le point de vue de la forêt

La libre évolution […] est une pratique diplomatique parmi d’autres possibles envers la forêt. Elle consiste à se décentrer vers le point de vue de la forêt, puis à prendre au sérieux ses lignes de comportement, et à chercher enfin la meilleure manière de donner à la forêt dans toute sa richesse les meilleures conditions pour qu’elle s’exprime.

page(s) 25-26
• Se dégager des dualismes

Les dualismes […] ne sont jamais que l’avers et le revers d’une même pièce. […] Sortir du Civilisé, ce n’est pas se jeter dans le Sauvage, pas plus que sortir du Progrès implique de céder à l’Effondrement : c’est sortir de l’opposition entre les deux.

page(s) 22
• Accepter notre destin commun avec le reste des vivants

[Il y a] un effet politique dans la transformation de nos rapports avec l’animalité de l’humain. […] Accepter notre identité de vivant, renouer avec notre animalité pensée ni comme primalité à surmonter, ni comme sauvagerie plus pure, mais comme héritage riche à recueillir et à moduler, c’est accepter notre destin commun avec le reste des vivants.

page(s) 23
• Nécessaire attention au tissage des autres formes de vie

Être chez soi, c’est [pour le « moderne moyen »] pouvoir vivre sans faire attention. Or pour les autochtones, c’est l’inverse, le chez-soi implique cette vigilance vibratile, cette attention au tissage des autres formes de vie, qui enrichissent l’existence, même s’il faut composer avec elles et que c’est souvent exigeant, parfois compliqué. La concorde est coûteuse en intelligence diplomatique entre humains, elle l’est aussi avec les autres vivants.

page(s) 27
• Aussi intolérable que la monarchie de droit divin

L’idée de disparition […] des formes de vie autour, par inaction, écofragmentation et extractivisme [… ,doit] nous [devenir] aussi intolérable que la monarchie de droit divin.

page(s) 23
• Impropriété de la compassion surplombante

Le discours compassionnel envers la nature en général a […] quelque chose de loufoque : il révèle son ignorance de ce qu’il prétend chérir. Le monde vivant est notre «  milieu donateur ». […I]mpropriété de cette attitude unidimensionnelle qui conçoit le vivant essentiellement sous l’angle de sa vulnérabilité, qui réduit à la compassion surplombante la gamme de relations qu’on peut entretenir avec lui. […M]ythe de toute-puissance que paradoxalement cette compassion recèle.

 

page(s) 58-59
• Un continent de courage

Comment loger un continent de courage dans onze grammes de vie ?

page(s) 13
• La responsabilité de cohabiter décemment

[N]ous partageons [avec les animaux] une ascendance, l’énigme d’être vivant, et la responsabilité de cohabiter décemment.

page(s) 19
• Sortir du labyrinthe des dualismes

[E]ssayer de sortir du labyrinthe des dualismes entre nature et humains, exploiter et sanctuariser, sauvage et domestique, qui créent des conflits inutiles et nous éloignent des vrais fronts de combat.

[Q]ue devient « protéger la nature », quand on aura saisi que la « nature » était une invention dualiste qui a contribué à la destruction de nos milieux de vie, et que « protéger » était une conception paternaliste de nos rapport au vivant ?

page(s) 11
• Ce qui est en cause : l'extractivisme productiviste financiarisé

Ce ne sont pas les humains « en général » qui sont en cause, mais la dérive d’une forme économique et politique tardive, d’un métabolisme social ravageur, d’un rapport au monde particulier, qui s’est érigé en norme et en Progrès : quelque chose comme un extractivisme productiviste financiarisé, élargissant les logiques marchandes à tout ce qui devrait en être exclu, et incapable de toute sobriété.

page(s) 53
• Extinction de notre expérience de la nature

[L]es dix chants d’oiseaux différents qu’on entend chaque jour ne parviennent pas au cerveau autrement que comme bruit blanc, ou au mieux évoquent un nom d’oiseau vide de sens : c’est comme des langues anciennes que plus personne ne parlerait, et dont les trésors sont invisibles.

La violence de notre croyance en la « Nature » se manifeste dans le fait que les chants d’oiseaux, de grillons, de criquets, dans lesquels on est immergés en été dès qu’on s’éloigne des centres-villes, sont vécus dans la mythologie des modernes comme un silence reposant.

page(s) 17
• Le mythe du sujet libre, allié objectif de la crise écologique

Le sujet humain seul dans un univers absurde, entouré de pure matière à portée de main comme stock de ressources, ou sanctuaire pour se ressourcer spirituellement, est une invention fantasmatique de la modernité. De ce point de vue, les grands penseurs de l’émancipation qu’ont pu être Sartre ou Camus, et qui ont probablement infusé leurs idées en profondeur dans la tradition française, sont des alliés objectifs de l’extractivisme et de la crise écologique. Il est intrigant de réinterpréter ces discours d’émancipation comme étant des vecteurs de grande violence. Pourtant ce sont eux qui ont transformé en croyance fondatrice de l’humanisme tardif le mythe suivant lequel nous étions les seuls sujets, libres, dans un monde d’objets inertes et absurdes ; voués à donner du sens par notre conscience à un monde vivant qui en serait dépourvu.

page(s) 30-31
• Les dons d'une forêt en libre évolution

Une forêt en libre évolution fait ce que fait la vie : elle lutte spontanément contre le réchauffement climatique, par limitation de l’effet de serre. Elle stocke le carbone, d’autant mieux que ses arbres sont anciens et vénérables. Elle travaille à l’épuration de l’eau et de l’air, à la formation de sols, à la diminution de l’érosion, à l’épanouissement d’une riche biodiversité, résiliente, capable d’encaisser les coups des changements climatiques qui arrivent. Elle ne le fait pas pour nous, mais elle le fait et ces dons sont inestimables.

page(s) 22
• Notre dérisoire longévité

En tant qu’individus humains, notre longévité est dérisoire au regard de celle d’un arbre, d’un corail, d’une forêt ancienne, d’un écosystème. Or la Grande vie des écosystèmes, des poumons verts forestiers, des cycles de carbone, de l’évolution des espèces, est la condition de la petite vie des individus.

page(s) 16