Baptiste Morizot

Portrait de Morizot

Quelques ouvrages

Quelques extraits

• La responsabilité de cohabiter décemment

[N]ous partageons [avec les animaux] une ascendance, l’énigme d’être vivant, et la responsabilité de cohabiter décemment.

page(s) 19
• Accepter notre destin commun avec le reste des vivants

[Il y a] un effet politique dans la transformation de nos rapports avec l’animalité de l’humain. […] Accepter notre identité de vivant, renouer avec notre animalité pensée ni comme primalité à surmonter, ni comme sauvagerie plus pure, mais comme héritage riche à recueillir et à moduler, c’est accepter notre destin commun avec le reste des vivants.

page(s) 23
• Les dons d'une forêt en libre évolution

Une forêt en libre évolution fait ce que fait la vie : elle lutte spontanément contre le réchauffement climatique, par limitation de l’effet de serre. Elle stocke le carbone, d’autant mieux que ses arbres sont anciens et vénérables. Elle travaille à l’épuration de l’eau et de l’air, à la formation de sols, à la diminution de l’érosion, à l’épanouissement d’une riche biodiversité, résiliente, capable d’encaisser les coups des changements climatiques qui arrivent. Elle ne le fait pas pour nous, mais elle le fait et ces dons sont inestimables.

page(s) 22
• L’« essentiel » aux yeux du « moderne moyen »

[S]e consacrer à l’« essentiel » aux yeux du momo [le « moderne moyen »] : les relations entre congénères humains. Relations de pouvoir, d’accumulation, de prestige, d’amour, de famille, sur fond d’un décor inanimé, constitué par les dix millions d’autres espèces qui, soit dit en passant, sont nos parentes.

page(s) 27
• Notre dérisoire longévité

En tant qu’individus humains, notre longévité est dérisoire au regard de celle d’un arbre, d’un corail, d’une forêt ancienne, d’un écosystème. Or la Grande vie des écosystèmes, des poumons verts forestiers, des cycles de carbone, de l’évolution des espèces, est la condition de la petite vie des individus.

page(s) 16
• Le vivant, un feu créateur

Le vivant n’est pas un patrimoine au sens humain, fait de main humaine, figé et fragile, inflammable : c’est avant tout un feu créateur. Ce n’est pas nous qui l’avons fait, c’est lui qui nous a fait.

Par la métaphore du « feu », j’entends ici que la biosphère peut bien être réduite, appauvrie, affaiblie, il suffira de quelques braises (des niches écologiques qui se libèrent, des conditions plus clémentes) pour que le vivant foisonne, se répande, se multiplie dans toutes les directions.

page(s) 44
• Le mythe du sujet libre, allié objectif de la crise écologique

Le sujet humain seul dans un univers absurde, entouré de pure matière à portée de main comme stock de ressources, ou sanctuaire pour se ressourcer spirituellement, est une invention fantasmatique de la modernité. De ce point de vue, les grands penseurs de l’émancipation qu’ont pu être Sartre ou Camus, et qui ont probablement infusé leurs idées en profondeur dans la tradition française, sont des alliés objectifs de l’extractivisme et de la crise écologique. Il est intrigant de réinterpréter ces discours d’émancipation comme étant des vecteurs de grande violence. Pourtant ce sont eux qui ont transformé en croyance fondatrice de l’humanisme tardif le mythe suivant lequel nous étions les seuls sujets, libres, dans un monde d’objets inertes et absurdes ; voués à donner du sens par notre conscience à un monde vivant qui en serait dépourvu.

page(s) 30-31
• Terrible et parfaite solitude

Il aura suffi que le judéo-christianisme fasse fuir Dieu de la « Nature » (c’est l’hypothèse de l’égyptologue Jan Assmann) pour la rendre profane, puis que la révolution scientifique et industrielle transforme la nature restante (phusis scolastique) en matière dépourvue d’intelligences, d’influences invisibles, à disposition de l’extractivisme, pour que l’humain se retrouve en cavalier solitaire dans le cosmos, entouré de matière bête et méchante. Le dernier acte impliquait de tuer la dernière affiliation : seul face à la matière, l’humain restait néanmoins en contact vertical avec Dieu, qui la sanctifiait comme sa Création (théologie naturelle). La mort de Dieu induit cette terrible et parfaite solitude, qu’on pourrait appeler le huis clos anthroponarcissique.

page(s) 29
• En vieillissant, les forêts resplendissent et rayonnent

Le paradoxe que ne comprend pas notre espèce mammifère, chez qui vieillir implique déclin, c’est que les forêts ne vieillissent pas comme nous : en vieillissant, elles resplendissent et rayonnent. Les forêts anciennes sont des fontaines de Jouvence. Plus on laisse une forêt vieillir, plus elle rajeunit, plus elle gagne en puissance de vivification du territoire, plus elle déborde de vie. Pour tout le territoire. Jusqu’à régénérer le monde autour d’elle.

page(s) 50
• Sortir du labyrinthe des dualismes

[E]ssayer de sortir du labyrinthe des dualismes entre nature et humains, exploiter et sanctuariser, sauvage et domestique, qui créent des conflits inutiles et nous éloignent des vrais fronts de combat.

[Q]ue devient « protéger la nature », quand on aura saisi que la « nature » était une invention dualiste qui a contribué à la destruction de nos milieux de vie, et que « protéger » était une conception paternaliste de nos rapport au vivant ?

page(s) 11
• Transformer le champ de l’attention

[P]our changer le politique, il s’agit aussi (en plus de militer, lutter, s’organiser autrement, lancer l’alerte, faire levier au plus près du pouvoir, inventer d’autres manières d’habiter) de transformer le champ de l’attention à ce qui importe.

page(s) 24
• Invisibilisation du vivant

Une espèce a transformé en décor de matière disponible pour ses tribulations humaines les dix millions d’autres espèces qui constituent sa famille élargie, son milieu donateur, ses cohabitants quotidiens. Et plus exactement, c’est le fait d’une certaine petite population de cette espèce, porteuse d’une culture historique et locale : car cette invisibilisation est un phénomène provincial et tardif, il n’est pas le fait de l’humanité entière.

page(s) 29
• Le monde n’est habitable pour nous que s’il l’est aussi pour les autres vivants

[Ce que les] peuples [premiers] activent déjà tous les jours dans leurs relations avec le vivant, c’est que la vie n’est vivable pour les humains que si elle l’est pour le tissu du vivant dans son ensemble. Que le monde n’est habitable pour nous que s’il l’est aussi pour les autres vivants, puisque nous ne sommes qu’un nœud de relations tissé aux autres formes de vie.

page(s) 54
• La nature, décor ou support de projection

[O]n considère les vivants essentiellement comme un décor, comme une réserve de ressources à disposition pour la production, comme un lieu de ressourcement ou comme un support de projection émotionnel et symbolique. Être un décor et un support de projection, c’est avoir perdu sa consistance ontologique.

page(s) 13
• Violence innocente de notre cécité

Combien de fois n’avons-nous rien vu de ce qui se tramait de vivant dans un lieu ? […] Pas de reproches, mais une certaine tristesse à l’égard de cette cécité, de sa portée, et de sa violence innocente.

page(s) 14
• Ce qui est en cause : l'extractivisme productiviste financiarisé

Ce ne sont pas les humains « en général » qui sont en cause, mais la dérive d’une forme économique et politique tardive, d’un métabolisme social ravageur, d’un rapport au monde particulier, qui s’est érigé en norme et en Progrès : quelque chose comme un extractivisme productiviste financiarisé, élargissant les logiques marchandes à tout ce qui devrait en être exclu, et incapable de toute sobriété.

page(s) 53
• Extinction de notre expérience de la nature

[L]es dix chants d’oiseaux différents qu’on entend chaque jour ne parviennent pas au cerveau autrement que comme bruit blanc, ou au mieux évoquent un nom d’oiseau vide de sens : c’est comme des langues anciennes que plus personne ne parlerait, et dont les trésors sont invisibles.

La violence de notre croyance en la « Nature » se manifeste dans le fait que les chants d’oiseaux, de grillons, de criquets, dans lesquels on est immergés en été dès qu’on s’éloigne des centres-villes, sont vécus dans la mythologie des modernes comme un silence reposant.

page(s) 17
• Une crise de nos relations au vivant

La crise écologique qui est la nôtre est bien une crise des sociétés humaines : elle met en danger le sort des générations futures, les bases mêmes de notre subsistance, et la qualité de nos existences dans des environnements souillés. C’est aussi une crise des vivants : sous la forme de la sixième extinction des espèces, de la défaunation, comme de la fragilisation des dynamiques écologiques et des potentiels d’évolution de la biosphère par le changement climatique. Mais c’est aussi une crise d’autre chose, de plus discret, et peut-être plus fondamental. Ce point aveugle, j’en fais l’hypothèse, c’est que la crise écologique actuelle, plus qu’une crise des sociétés humaines d’un côté, ou des vivants de l’autre, est une crise de nos relations au vivant.

page(s) 13
• Se dégager des dualismes

Les dualismes […] ne sont jamais que l’avers et le revers d’une même pièce. […] Sortir du Civilisé, ce n’est pas se jeter dans le Sauvage, pas plus que sortir du Progrès implique de céder à l’Effondrement : c’est sortir de l’opposition entre les deux.

page(s) 22
• Protéger le vivant, plus fort et plus ancien que nous

[P]rotéger le vivant mais, paradoxalement, comme quelque chose de plus fort que nous, de plus ancien que nous.

Philippe Descola a montré, dans Par-delà nature et culture, que le schème de la relation de la « protection » est par définition asymétrique, il implique nécessairement que le protégé soit infériorisé par rapport au protecteur. […U]ne étrangeté de ceux qui ont inventé la « nature » comme une altérité.

page(s) 55