Baptiste Morizot

Portrait de Morizot

Quelques ouvrages

Quelques extraits

• Extinction de notre expérience de la nature

[L]es dix chants d’oiseaux différents qu’on entend chaque jour ne parviennent pas au cerveau autrement que comme bruit blanc, ou au mieux évoquent un nom d’oiseau vide de sens : c’est comme des langues anciennes que plus personne ne parlerait, et dont les trésors sont invisibles.

La violence de notre croyance en la « Nature » se manifeste dans le fait que les chants d’oiseaux, de grillons, de criquets, dans lesquels on est immergés en été dès qu’on s’éloigne des centres-villes, sont vécus dans la mythologie des modernes comme un silence reposant.

page(s) 17
• Le monde n’est habitable pour nous que s’il l’est aussi pour les autres vivants

[Ce que les] peuples [premiers] activent déjà tous les jours dans leurs relations avec le vivant, c’est que la vie n’est vivable pour les humains que si elle l’est pour le tissu du vivant dans son ensemble. Que le monde n’est habitable pour nous que s’il l’est aussi pour les autres vivants, puisque nous ne sommes qu’un nœud de relations tissé aux autres formes de vie.

page(s) 54
• D’autres manières d’être vivant

[L]es animaux ne sont pas plus bestiaux que nous, pas plus qu’ils ne sont plus libres. Ils n’incarnent pas une sauvagerie débridée et féroce (c’est un mythe de domesticateur), pas plus qu’une innocence plus pure (c’est son envers réactif). Ils ne sont pas supérieurs à l’humain en authenticité ou inférieurs en élévation : ils incarnent avant tout d’autres manières d’être vivant.

page(s) 22
• Un continent de courage

Comment loger un continent de courage dans onze grammes de vie ?

page(s) 13
• Amorcer les puissances autonomes de régénération

On ne régénère pas le vivant, on amorce ses puissances autonomes de régénération : on le laisse exprimer sa résilience propre, on met en place les conditions minimales, délicates, discrètes, pour qu’il retrouve sa pleine vitalité. De manière autonome, réparer les dispositifs d’autonomie pour pouvoir disparaître comme réparateur. Défendre le vivant, c’est à un égard précis comme éduquer un enfant, il s’agit d’œuvrer à sa propre inutilité comme éducateur ou aménageur : c’est travailler à son propre effacement.

page(s) 48-49
• Se dégager des dualismes

Les dualismes […] ne sont jamais que l’avers et le revers d’une même pièce. […] Sortir du Civilisé, ce n’est pas se jeter dans le Sauvage, pas plus que sortir du Progrès implique de céder à l’Effondrement : c’est sortir de l’opposition entre les deux.

page(s) 22
• Imaginaires de l’animalité : domptage ou primalité

[La] conception occidentale pense l’animalité comme une bestialité intérieure que l’humain doit surmonter pour se « civiliser » ou, à l’opposé, comme une primalité plus pure dans laquelle il se ressource, retrouvant par là une sauvagerie plus authentique, libérée des normes sociales. Ces deux imaginaires semblent opposés, alors que rien n’est moins juste : le second n’est que le revers de l’autre, construit par réaction et opposition symétrique.

page(s) 22
• Notre dérisoire longévité

En tant qu’individus humains, notre longévité est dérisoire au regard de celle d’un arbre, d’un corail, d’une forêt ancienne, d’un écosystème. Or la Grande vie des écosystèmes, des poumons verts forestiers, des cycles de carbone, de l’évolution des espèces, est la condition de la petite vie des individus.

page(s) 16
• Nécessaire attention au tissage des autres formes de vie

Être chez soi, c’est [pour le « moderne moyen »] pouvoir vivre sans faire attention. Or pour les autochtones, c’est l’inverse, le chez-soi implique cette vigilance vibratile, cette attention au tissage des autres formes de vie, qui enrichissent l’existence, même s’il faut composer avec elles et que c’est souvent exigeant, parfois compliqué. La concorde est coûteuse en intelligence diplomatique entre humains, elle l’est aussi avec les autres vivants.

page(s) 27
• Ce qui est en cause : l'extractivisme productiviste financiarisé

Ce ne sont pas les humains « en général » qui sont en cause, mais la dérive d’une forme économique et politique tardive, d’un métabolisme social ravageur, d’un rapport au monde particulier, qui s’est érigé en norme et en Progrès : quelque chose comme un extractivisme productiviste financiarisé, élargissant les logiques marchandes à tout ce qui devrait en être exclu, et incapable de toute sobriété.

page(s) 53
• Se décentrer vers le point de vue de la forêt

La libre évolution […] est une pratique diplomatique parmi d’autres possibles envers la forêt. Elle consiste à se décentrer vers le point de vue de la forêt, puis à prendre au sérieux ses lignes de comportement, et à chercher enfin la meilleure manière de donner à la forêt dans toute sa richesse les meilleures conditions pour qu’elle s’exprime.

page(s) 25-26
• Une crise de nos relations au vivant

La crise écologique qui est la nôtre est bien une crise des sociétés humaines : elle met en danger le sort des générations futures, les bases mêmes de notre subsistance, et la qualité de nos existences dans des environnements souillés. C’est aussi une crise des vivants : sous la forme de la sixième extinction des espèces, de la défaunation, comme de la fragilisation des dynamiques écologiques et des potentiels d’évolution de la biosphère par le changement climatique. Mais c’est aussi une crise d’autre chose, de plus discret, et peut-être plus fondamental. Ce point aveugle, j’en fais l’hypothèse, c’est que la crise écologique actuelle, plus qu’une crise des sociétés humaines d’un côté, ou des vivants de l’autre, est une crise de nos relations au vivant.

page(s) 13
• La responsabilité de cohabiter décemment

[N]ous partageons [avec les animaux] une ascendance, l’énigme d’être vivant, et la responsabilité de cohabiter décemment.

page(s) 19
• En vieillissant, les forêts resplendissent et rayonnent

Le paradoxe que ne comprend pas notre espèce mammifère, chez qui vieillir implique déclin, c’est que les forêts ne vieillissent pas comme nous : en vieillissant, elles resplendissent et rayonnent. Les forêts anciennes sont des fontaines de Jouvence. Plus on laisse une forêt vieillir, plus elle rajeunit, plus elle gagne en puissance de vivification du territoire, plus elle déborde de vie. Pour tout le territoire. Jusqu’à régénérer le monde autour d’elle.

page(s) 50
• Sortir du labyrinthe des dualismes

[E]ssayer de sortir du labyrinthe des dualismes entre nature et humains, exploiter et sanctuariser, sauvage et domestique, qui créent des conflits inutiles et nous éloignent des vrais fronts de combat.

[Q]ue devient « protéger la nature », quand on aura saisi que la « nature » était une invention dualiste qui a contribué à la destruction de nos milieux de vie, et que « protéger » était une conception paternaliste de nos rapport au vivant ?

page(s) 11
• Transformer le champ de l’attention

[P]our changer le politique, il s’agit aussi (en plus de militer, lutter, s’organiser autrement, lancer l’alerte, faire levier au plus près du pouvoir, inventer d’autres manières d’habiter) de transformer le champ de l’attention à ce qui importe.

page(s) 24
• Aussi intolérable que la monarchie de droit divin

L’idée de disparition […] des formes de vie autour, par inaction, écofragmentation et extractivisme [… ,doit] nous [devenir] aussi intolérable que la monarchie de droit divin.

page(s) 23
• Protéger le vivant, plus fort et plus ancien que nous

[P]rotéger le vivant mais, paradoxalement, comme quelque chose de plus fort que nous, de plus ancien que nous.

Philippe Descola a montré, dans Par-delà nature et culture, que le schème de la relation de la « protection » est par définition asymétrique, il implique nécessairement que le protégé soit infériorisé par rapport au protecteur. […U]ne étrangeté de ceux qui ont inventé la « nature » comme une altérité.

page(s) 55
• Impropriété de la compassion surplombante

Le discours compassionnel envers la nature en général a […] quelque chose de loufoque : il révèle son ignorance de ce qu’il prétend chérir. Le monde vivant est notre «  milieu donateur ». […I]mpropriété de cette attitude unidimensionnelle qui conçoit le vivant essentiellement sous l’angle de sa vulnérabilité, qui réduit à la compassion surplombante la gamme de relations qu’on peut entretenir avec lui. […M]ythe de toute-puissance que paradoxalement cette compassion recèle.

 

page(s) 58-59
• Habiter, c’est toujours cohabiter

Le problème de notre crise écologique systémique, […] est un problème d’habitat. C’est notre manière d’habiter qui est en crise. Et notamment par son aveuglement constitutif au fait qu’habiter, c’est toujours cohabiter, parmi d’autres formes de vie, parce que l’habitat d’un vivant n’est que le tissage des autres vivants.

page(s) 24