Arne Næss
Quelques extraits
• Nécessité d’une autorité centrale contraignant les politiques écologiques locales
Lorsque des communautés locales ou des régions faiblement peuplées soutiennent le prétendu développement de façon inconditionnelle, il est nécessaire qu’une autorité centrale les contraigne à adopter une politique écologique plus responsable. Il y a donc des limites à la décentralisation des décisions écologiques les plus importantes.
• Plus de place pour le lieu
L’urbanisation, la centralisation, une mobilité accrue (même si les nomades ont montré que toutes les formes de déplacement ne détruisent pas le sentiment d’appartenance aux lieux), la dépendance à l’égard de biens et de technologies étrangères aux lieux où nous vivons, la complexification structurelle de nos vies ; tous ces facteurs affaiblissent ou perturbent le sentiment d’appartenance à un lieu, allant même jusqu’à entraver sa formation. Il ne semble plus y avoir de place pour le lieu.
• La réalisation de Soi, une norme fondamentale
[L’écosophie est] une forme de vue globale qui ne dérive pas de l’écologie à proprement parler, mais qui s’en inspire. Elle consiste à mettre l’accent sur les normes fondamentales et les hypothèses que l’on peut déduire de la relation entre l’être humain et la réalité omni-englobante. Suivant ce modèle (qui est, comme tout modèle, une simplification consciente et délibérée), la « réalisation de Soi » doit être tenue pour une norme fondamentale. Le soi dont il est question ici n’est pas l’ego, mais le Soi agrandi qui se révèle lorsque nous nous identifions avec toutes les créatures vivantes et en dernière instance avec l’Univers entier, ou avec la Nature en un sens proche de celui du Deus sive Natura de Spinoza.
L’on dit souvent que la découverte du fait que la Terre n’est pas au centre de l’Univers a « réduit » la taille de l’homme, dont le statut s’est trouvé diminué. J’ai au contraire toujours eu le sentiment que plus le monde s’agrandissait dans les dimensions du temps, de l’espace et de la diversité culturelle, plus je m’agrandissais moi-même. L’Univers est mon univers, non celui de mon ego mais celui du Soi agrandi que nous avons en commun. […] Il est possible de déduire un ensemble de principes favorables à une « politique verte » à partir de la norme fondamentale de la « réalisation de Soi » et de certaines hypothèses sur ce qu’est le monde. De cette matière, nous pouvons établir un lien entre les problèmes abstraits de la philosophie et les problèmes concrets des conflits politiques contemporains.
• La joie, critère pour décider des priorités
Les valeurs auxquelles nous accordons une priorité absolue devraient être au centre de nos vies. […] Quels critères utiliser pour décider des priorités personnelles appelées à guider notre vie ? Il existe selon moi un critère largement sous-estimé par les personnes consciencieuses et responsables : la joie.
• Cette montagne, comme un être divin
Quelles qu’aient été les influences, l’expérience de l’élévation (le passage de l’obscurité à la lumière, d’un univers oppressant à un monde apparemment illimité et chaleureux) était si forte que je me laissais envahir par un vague sentiment de nostalgie pour le paysage qui se découvrait au-delà de la forêt. Il y avait dans ce paysage une promesse de liberté qui dépassait tout ce que j’avais pu imaginer dans les basses-terres. […]
Cette montagne lointaine, majestueuse, puissante, sereine et magnifique est devenue de plus en plus importante pour moi, et j’en suis venu à la considérer comme une figure paternelle, bienveillante et protectrice, et même comme un être divin. Le Hallingskarvet est devenu à mes yeux le symbole du bien qui faisait tant défaut au monde et à ma propre vie.