

En nous amenant à prendre véritablement en considération les conditions de notre existence, et donc à penser ce dont nous vivons et qui nous constitue autant que nous le façonnons, l’écologie nous conduit à ne plus nous représenter l’homme comme un sujet et la nature comme un objet.
Les violences infligées aux animaux ne soulèvent pas seulement des problèmes moraux soulignant notre cruauté ou notre inhumanité dans nos rapports aux autres vivants. Il s’agit aussi d’injustices : nous nous octroyons une souveraineté absolue sur des êtres sensibles dont les besoins éthologiques et la subjectivité devraient limiter notre droit de les exploiter comme bon nous semble.
La maltraitance animale est même le reflet de ce que nous sommes devenus au fil des siècles. En effet, nous avons accepté de nous soumettre à un ordre économiste du monde qui subordonne toutes les sphères d’activité au diktat du profit et ne tient pas compte du sens des activités et de la valeur des êtres impliqués.
[La réparation du monde] n’implique pas que, pour reconstruire ce qui a été détruit, nous cherchions à rétablir une unité soi-disant originaire. Il ne fait pas non plus référence à une vérité surplombante qui serait censée procurer une harmonie parfaite et abolir la misère. Parler de réparation suggère que le monde est abîmé et que sa cohérence n’apparaît plus. Tout y est organisé en dépit du bon sens, et les êtres sont divisés entre eux et à l’intérieur d’eux-mêmes.
« Vivre de », c’est vivre autant de bonne soupe, que d’air et de lumière, de cinéma, de promenade, de travail, d’amour, de sommeil, de la ville et de la campagne. Notre milieu est essentiellement hybride.
Le problème du nihilisme contemporain est l’incapacité à sortir de soi et le besoin d’étendre son contrôle sur tout, en particulier sur son propre corps et celui des autres. C’est pourquoi ce besoin de domination s’exerce surtout à l’encontre des personnes vulnérables et des animaux.
Notre âge est celui où la violence envers le vivant s’exerce de manière décomplexée, parce que ce sont l’altérité, la vulnérabilité, l’imprévisibilité et la mortalité du vivant et, en lui, la nôtre, qui sont l’objet de notre crainte, voire de notre haine.
[Une] manière dont on peut apprendre à habiter la Terre et à cohabiter avec les autres en sortant de la logique destructrice qui nous conduit à la dévastation de la planète et à une crise sociale et politique majeure.
[U]n autre modèle de développement est possible. Il exige un remaniement complet de nos représentations, de la manière dont nous pensons la place de l’humain dans la nature et dont nous interagissons avec les autres, y compris avec les animaux. C’est pourquoi réparer le monde n’est pas rêver au grand soir, mais préparer l’avenir.
[L]a philosophie contemporaine [confère] aux autres espèces un statut moral radicalement différent de celui des choses et [pense] les animaux, non pas comme des être simplement vivants, mais comme d’autres existences. La vie n’a plus la pauvreté ontologique à laquelle la réduisaient le mécanisme et toutes les philosophies qui concevaient la liberté comme commencement absolu et arrachement à la nature.
[L]e décalage entre ce que nous savons et ce que nous faisons, la rationalisation et le refoulement des émotions négatives montrent qu’une guerre se joue à l’intérieur de nous-mêmes.
[S]i certaines espèces animales et végétales peuvent voir leur existence menacée par la disparition d’autres espèces, les hommes sont les seuls à pouvoir déplorer une telle disparition. De plus, notre pouvoir technologique est infiniment supérieur à l’industrie animale. Ce pouvoir, en raison de son échelle et du caractère irréversible de certaines de ses conséquences, qui s’étendent aujourd’hui sur plusieurs milliers d’années et affectent un nombre incalculable d’êtres vivants, n’a même plus de commune mesure avec la technique de nos aïeux.
Mais l’homme a aussi la capacité de prendre soin des autres espèces et des générations futures. Telle est la définition de la responsabilité qui n’exige pas, contrairement à la compassion, la présence en chair en en os de ceux dont je suis responsable. Notre responsabilité dépasse même nos capacités d’identification, voire de représentation[.]
Le décalage qui existe entre la pensée et les actes est d’autant plus dramatique que nous sommes les premiers à avoir conscience de la gravité de la situation et les derniers à pouvoir agir dans les temps.
Il s’agit du fait que ma liberté ne s’exerce pas seulement dans un monde et sur la nature, mais que je baigne dans un milieu qui est à la fois naturel et artificiel et que je vis – c’est-à-dire me nourris – de ce milieu, d’air, de lumière, d’aliments, de travail, de spectacles. Or la prise en compte de la corporéité du sujet qui « vit de » suppose que l’on insiste sur les conditions à la fois biologiques, sociales et environnementales de l’existence, en cessant de séparer l’homme de la nature et en dépassant le dualisme nature/culture.
L’espérance n’est pas l’optimisme, qui se nourrit d’illusions visant à nous rassurer à bon compte ; elle est « le désespoir surmonté », comme le dit Georges Bernanos [dans La liberté pour quoi faire ?]
Les choses dont je vis ne se donnent pas comme des objets ni comme des ustensiles, même quand je m’en sers, mais dessinent un horizon où l’utilité et la production ne sont pas premières. C’est pourquoi elles sont appelées des « nourritures ».
L’éthique des vertus présentée dans ce livre cherche à déterminer les manières d’être qui doivent être encouragées afin que les individus mènent une vie bonne et qu’ils éprouvent le respect des autres, humains et non humains, comme une composante du respect d’eux-mêmes. Elle ne s’appuie pas exclusivement sur l’argumentation rationnelle mais accorde une place importante à l’affectivité, au corps et à l’inconscient.
Car la réparation est aussi un besoin. Elle est toutefois moins le besoin de croire en l’avenir que le vœu de préserver la vie et les vivants. Ce vœu s’ancre dans la conscience de la fragilité des choses humaines et dans le devoir d’être fidèle à la mémoire de ceux qui ont disparu en maintenant le lien entre les générations et entre les vivants et les morts.
« Écologie » vient de oikos, qui signifie en grec maison, foyer, habitat, et de logos, qui désigne le discours, la raison et la science. L’écologie est l’étude des milieux où vivent et se reproduisent les êtres vivants. Elle est la science des milieux et des conditions d’existence des vivants, c’est-à-dire des hommes et des animaux qui sont des êtres sensibles au sens où ils éprouvent la douleur, des plantes qui interagissent avec leur milieu, ainsi que des écosystèmes qui ne sont pas des organismes et ne sont pas irritables, mais se développent et ont une capacité de résilience pouvant être menacée par la manière dont nous les exploitons.
Pour réduire substantiellement l’empreinte écologique de l’humanité, la participation active des individus est indispensable. Ils doivent abandonner certaines habitudes de consommation et peser sur leurs gouvernements, afin que ces derniers fassent preuve de volontarisme politique et que la protection de la biosphère soit érigée en devoir de l’État.
[M]ême les philosophies environnementales, qui dépassent aujourd’hui les clichés relatifs à l’opposition anthropocentrisme/écocentrisme, ne parviennent pas à éveiller des significations et des affects différents de ceux qui ont installé la possession de biens matériels au cœur de nos vies. C’est pourquoi l’écologie reste, pour les individus comme pour les collectivités, une préoccupation périphérique.
Elle ne réussit pas à améliorer notre rapport aux autres, au travail, à notre corps, à nous-mêmes, parce qu’elle demeure extérieure à nos vies.
La situation écologique actuelle est […] tragique. C’est pourquoi des traits moraux comme la persévérance, la force d’âme, l’optimisme, le courage, la générosité sont essentiels pour lutter contre les forces qui poussent les êtres à ne rien faire, à se réfugier dans la consommation et à entretenir un système qu’il est désormais impératif de remplacer.