Amitié

L'art de bien aimer
Rivages, 2016
11 cm x 17 cm, 40 pages


Couverture d'Amitié

Extraits de l'ouvrage

• Le malheur n’est pas un mal

D'une manière tout à fait générale, il y a malheur toutes les fois que la nécessité, sous n'importe quelle forme, se fait sentir si durement que la dureté dépasse la capacité de mensonge de celui qui subit le choc. C'est pourquoi les êtres les plus purs sont les plus exposés au malheur. Pour celui qui est capable d'empêcher la réaction automatique de protection qui tend à augmenter dans l'âme la capacité de mensonge, le malheur n’est pas un mal, bien qu'il soit toujours une blessure et en un sens une dégradation.

page(s) 34
• La nécessité, principe de l’impureté

Une amitié est souillée dès que la nécessité l'emporte, fût-ce pour un instant, sur le désir de conserver chez l'un et chez l'autre la faculté de libre consentement. Dans toutes les choses humaines, la nécessité est le principe de l’impureté. Toute amitié est impure s'il s'y trouve même à l'état de trace le désir de plaire ou le désir inverse. Dans une amitié parfaite ces deux désirs sont complètement absents.

page(s) 36-37
• Amitié, compassion, gratitude

L'amitié est le miracle par lequel un être humain accepte de regarder à distance et sans s'approcher l'être même qui lui est nécessaire comme une nourriture. C'est la force d'âme qu'Ève n'a pas eue ; et pourtant elle n'avait pas besoin du fruit. Si elle avait eu faim au moment où elle regardait le fruit, et si malgré cela elle était restée indéfiniment à le regarder sans faire un pas vers lui, elle aurait accompli un miracle analogue à celui de la parfaite amitié.

Par cette vertu surnaturelle du respect de l'autonomie humaine, l'amitié est très semblable aux formes pures de la compassion et de la gratitude suscitées par le malheur.

page(s) 37-38
• Universalité de l’amitié

L’amitié a quelque chose d'universel. Elle consiste à aimer un être humain comme on voudrait pouvoir aimer en particulier chacun de ceux qui composent l'espèce humaine.

page(s) 39
• Transformer les liens en amitié

Quand les liens d'affection et de nécessité entre êtres humains ne sont pas surnaturellement transformés en amitié, non seulement l'affection est impure et basse, mais aussi elle se mélange de haine et de répulsion. […] Nous haïssons ce dont nous dépendons. Nous prenons en dégoût ce qui dépend de nous. […]

Quand le Christ disait à ses disciples : « Aimez-vous les uns les autres », ce n'était pas l'attachement qu'il leur prescrivait. Comme en fait il y avait entre eux des liens causés par les pensées communes, la vie en commun, l'habitude, il leur commandait de transformer ces liens en amitié pour ne pas les laisser tourner en attachements impurs ou en haine.

page(s) 41-42

Quatrième de couverture

Que font de nous nos attachements, les « liens d’affection et de nécessité » qui nous lient à ceux que nous aimons, où nous puisons notre énergie vitale ? qu’advient-il à la pensée dans l’amitié ? dans ce texte écrit en 1942, Simone Weil explore les contradictions de la condition humaine : l’homme désire la relation et la distance, de même qu’il désire penser le réel sans le réduire à ses schèmes ; c’est la question de la sortie de soi. L’homme a besoin de relation et de distance, il a besoin de penser le réel sans le recouvrir sous la pensée. Finalement, penser l’amitié est un moyen de penser la difficulté du rapport à l’extériorité en soi.