Présentation de l’éditeur
Philippe Jaccottet a lui-même choisi les œuvres rassemblées dans ce volume, y recueillant tout ce qu’on pourrait qualifier d’écriture « de création » et laissant de côté son travail de critique et de traducteur, ainsi que certains textes de circonstance liés à des voyages ou à des hommages ; il a veillé à ce que ses livres apparaissent selon la chronologie de leur publication initiale, qui était jusqu’alors parfois masquée par des regroupements éditoriaux ultérieurs.
Recueils de poèmes et livres de prose alternent d’abord, bientôt ponctués à intervalles plus ou moins réguliers par les notes de carnets qu’égrènent les différentes livraisons de La Semaison. Retrouvant leur titre unique, celles-ci sont ici restaurées dans toute la cohérence de leur projet et complétées par les Observations, 1951-1956, longtemps inédites et qui sont comme l’amorce de ces semences littéraires rassemblant choses vues, choses lues et choses rêvées.
L’évolution des poèmes est frappante : des sonnets rimés de L’effraie (1953) aux pièces brèves et épurées d’Airs (1967) se fait sentir l’influence des révélations majeures que furent les paysages de Grignan et les haïku japonais. Par les chants plus tourmentés des livres de deuil qui se succèdent ensuite, de Leçons (1969) à Pensées sous les nuages (1983), le poète tente de maintenir le flux des mots malgré la mort qui semble faire vaciller jusqu’au langage. À partir de Cahier de verdure (1990), proses poétiques et vers se mêlent au sein d’un même recueil. Une forme éminemment personnelle s’invente, se concentrant sur les éclats de joie épars dont il s’agit de restituer la lumière.
Comment embrasser à la fois le clair et le sombre, le grave et le léger, le tout et le rien ? L’œuvre de Jaccottet s’impose par l’exigence de sa quête, la pureté rayonnante et sans affectation de son chant – « L’effacement soit ma façon de resplendir », écrivait-il dès L’ignorant (1957). Sans céder jamais à l’épanchement, se refusant autant au nihilisme qu’à l'exaltation – à « l’écœurant brouillard d’un certain lyrisme » –, elle trouve certes dans la beauté subtile et poignante de la nature – lumière d’hiver, vergers en fleurs – une réponse vitale à la violence du monde et au désenchantement. Mais cette beauté n’a rien d'un refuge éthéré ; elle est comme une lame qui permet de creuser dans l’opaque. Cette poésie, nourrie d’ombre, s’écrit avec le vide et contre lui.