anāgāmi

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  • Les cinq premiers liens

    Le bouddhisme envisage Dix liens qui attachent à l'existence. Les cinq premiers enferment dans le monde grossier que nous connaissons. L'anāgāmi s'en est complètement libéré. Les cinq suivants, subtils, attachent aux mondes divins dont le sage doit aussi se dégager pour atteindre le nirvāna.

    Le premier lien défait par la pratique de la Voie est la croyance à l'ego en tant qu'être autonome, individuel et séparé de tous les êtres. En dehors de tout concept métaphysique propre au bouddhisme, on voit facilement que ce lien ou cette croyance, noué par l'orgueil et l'égoïsme, nourrit l'indéfinie variété des souffrances égocentriques, des plus grossières aux plus subtiles. Elles passent toutes par les nœuds émotionnels qu'entretient l'enfermement dans le moi empirique, solidifié et hypostasié. Ignorer ce lien empêche toute réalisation spirituelle ultime. À l'inverse, les personnes réalisées donnent toutes une impression de transparence, due à l'effacement de leur individualité derrière la Loi transcendante qui œuvre à travers eux. Cet effacement, celui de la mort au moi, est identique à ce que l'on appelle mort du « vieil homme » dans le langage de la mystique chrétienne.

    Vient ensuite le doute sceptique. Ce deuxième lien se caractérise par l'attitude méfiante à l'égard de l'enseignement traditionnel, qui empêche de s'engager vigoureusement à en expérimenter le contenu, et s'abrite derrière les rationalisations les plus diverses. Ce manque de foi en autrui est évidemment corrélatif d'un manque de confiance en soi et en sa propre capacité à entreprendre avec succès. Il y a là une dévalorisation, masochiste dirait un psychiatre, qui empêche de découvrir la présence de la divinité au centre du cœur. Cet obstacle empêche radicalement tout engagement spirituel sérieux. Il est surmonté par l'attitude évangélique qui consiste à chercher, frapper et demander.

    L'attachement aux rites et règles éthiques présente le troisième lien à défaire. Cet énoncé peut sembler paradoxal. Il ne s'agit pas d'un refus des rites ou de la morale, indispensables, mais de reconnaître leur valeur relative, et qu'à un certain stade, s'y attacher devient un obstacle conduisant au ritualisme, à la sclérose, à l'intégrisme. La maturité spirituelle suppose que l'initié peut dépasser  la fixation craintive à ce qui est bon et efficace, pour aller plus loin. Il faut découvrir la relativité des critiques du bien et du mal par rapport à la vérité. Seule la vérité rend libre : « Vous connaîtrez la vérité et la vérité fera de vous des hommes libres » (Jean 8, 32). Cela suppose un dépassement du dualisme vers le principe transcendant, où les contraires deviennent complémentaires. Le bouddhisme insiste beaucoup sur la primauté de cette connaissance transcendante. Le christianisme également : « La cause universelle ne se manifeste à découvert et véritablement qu'à ceux-là seuls qui vont au-delà de toute consécration rituelle et de toute purification », écrit Denys l'Aéropagite, l'un des maîtres à penser de  saint Thomas d'Aquin.

    L'avidité sensuelle est le quatrième lien. Il se retrouve à tous les niveaux, de plus grossier (alimentaire, sexualité seulement sensuelle), au plus subtil (musique, poésie, jeux intellectuels). L'attachement sensuel gouverne notre monde. Éros est très séduisant. Le problème n'est pas de lui couper les ailes, son activité étant nécessaire, mais de se libérer de l'attachement au désir, ou encore du désir du désir, cette complication mentale permanente qui survit à la satisfaction du besoin. Une longue pratique, méditative et dans l'action, s'avère nécessaire. Il faut expérimenter par soi-même que les joies de la réalisation spirituelle transcendent les jouissances sensuelles, ce qui ne supprime pas ces dernières.

    Il reste la malveillance ou l'agressivité. Il est indispensable de dépister puis de couper ce lien, qui nous pousse à haïr et détruire, tout ce qui semble contrarier ou menacer le moi, lui nuire ou lui déplaire. Et cela tant dans nos manifestations conscientes que dans nos déterminations inconscientes décelables dans nos actes manqués ou nos rêves. La haine vient d'une réaction de défense puérile devant une menace, ou ce qui est ressenti comme tel par notre faiblesse postulée inconsciemment. L'homme sûr de sa force interne ne hait pas. Bien entendu, il ne se prive pas d'écarter ce qui peut, réellement, lui nuire.

    Couverture de Itinéraire d’un bouddhiste occidental
    page(s) 45-48