Cahier de verdure

suivi de Après beaucoup d'années, Poésie/Gallimard n°383
Gallimard, 2003
11 cm x 18 cm, 200 pages


Couverture de Cahier de verdure

Extraits de l'ouvrage

• L'espace où l'on ne peut entrer

Autre chose vue au retour d'une longue marche sous la pluie, à travers la portière embuée d'une voiture : ce petit verger de cognassiers protégé du vent par une levée de terre herbue, en avril.

Je me suis dit (et je me le redirai plus tard devant les mêmes arbres en d'autres lieux) qu'il n'était rien de plus beau, quand il fleurit, que cet arbre-là. J'avais peut-être oublié les pommiers, les poiriers de mon pays natal.

Il paraît qu'on n'a plus le droit d'employer le mot beauté. C'est vrai qu'il est terriblement usé. Je connais bien la chose, pourtant. N'empêche que ce jugement sur des arbres est étrange, quand on y pense. Pour moi, qui décidément ne comprends pas grand chose au monde, j'en viens à me demander si la chose « la plus belle », ressentie instinctivement comme telle, n'est pas la chose la plus proche du secret de ce monde, la traduction la plus fidèle du message qu'on croirait parfois lancé dans l'air jusqu'à nous ; ou, si l'on veut, l'ouverture la plus juste sur ce qui ne peut être saisi autrement, sur cette sorte d'espace où l'on ne peut entrer mais qu'elle dévoile un instant. Si ce n'était pas quelque chose comme cela, nous serions bien fous de nous y laisser prendre.

page(s) 752 (Pléïade : « Blason vert et blanc », Cahier de verdure, 1990)
• Fraîcheur

Fraîcheur. Là pourrait être le secret, le foyer. Prestesse, allégresse.

page(s) 852 (Pléïade : « Au col de Larche », Après beaucoup d'années, 1994)

Présentation de l’éditeur

Les deux recueils rassemblés ici se tiennent sur un versant apaisé de l'œuvre de Philippe Jaccottet, et témoignent d'une prise de distance avec les peurs, les douleurs, les alarmes passées. Non que la destinée humaine ait changé de trajectoire et se soit magiquement affranchie de sa finitude, mais des passages, des éclaircies sont ici entrevus qui tentent de déjouer les pièges du temps.

Depuis le dessin général des paysages jusqu'à la floraison ascensionnelle de la rose trémière (que le poète nomme la « passe-rose »), la nature se donne pour la médiatrice privilégiée, celle qui, fragmentée, diversifiée, voire chaotique, suggère pourtant l'unité de la création. Et cette unité perceptible en chaque détail s'incarne dans l'écriture de Philippe Jaccottet qui joue ainsi de différentes formes d'expression (poèmes, proses poétiques, notes de carnet) pour, usant de la diversité comme un peintre des couleurs, composer un tableau qui estomperait son cadre et concilierait visible et invisible.

Avec une économie de moyens qui lui est propre, Philippe Jaccottet dit l'essentiel : « que la poésie peut infléchir, fléchir un instant, le fer du sort. Le reste, à laisser aux loquaces ».