Le Japon et la culture du silence

Courrier du livre, 1949
13 cm x 21 cm, 120 pages


Couverture de Le Japon et la culture du silence

Extraits de l'ouvrage

• Le vrai silence auquel l'âme aspire

Une intuition secrète avertit l'homme que le vrai silence auquel l'âme aspire est plus qu'une agréable absence de bruit ou le calme compensateur de l'agitation et du surmenage dont sa vie est faite. Plus aussi que la condition de toute vie intérieure et de toute santé psychique. Il a l'intime sentiment que le vrai silence va au-delà, fondamentalement, d'un simple élément, même déterminant, d'une existence heureuse et qu'il correspond plutôt à l'expérience de la vie qui s'épanouit. Même encore maintenant subsiste le sentiment instinctif que les instants vraiment heureux se vivent en silence et que, réciproquement, parvenir à ce calme fait naître le bonheur.

page(s) 10-11
• Sacrifier au silence

[L]'ouverture au silence, et à la part de sacrifice que l'on est prêt à y consentir, différent chez chacun. Cela dépend de l'âge, de la maturité, du caractère. L'homme éprouvé par la vie en est plus proche qu'avant d'être passé par la souffrance.

page(s) 11
• Ce qui éclôt par le silence et par lui seul

Le résultat surnaturel compte plus que bienfait naturel. L'important est de garder et de développer le sens intérieur grâce auquel nous percevons ce qui éclôt par le silence et par lui seul.

page(s) 14
• L'attitude prométhéenne de l'Occident

L'Orient reconnaît bien la supériorité de la civilisation technique occidentale mais, à ses yeux, la surestimation du rationalisme et de la puissance technique, qui refoule dans l'ombre la culture de l'humain en soi, est le signe d'une relation fruste, rudimentaire et immature avec la vie et la mort. Il y voit un blocage dans une attitude prométhéenne qui convient peut-être à un adolescent mais ne s'accorde guère avec la maturité.

page(s) 15
• Vie et mort d'une feuille

La vision orientale de la vie inclut la mort. Peut-être l'image de la relation entre la feuille et l'arbre éclaire-t-elle ce point de vue. Si la petite feuille, attachée à l'arbre, avait une conscience individuelle limitant son sentiment de la vie au simple état de feuille, elle subirait une vie réduite au temps de sa propre existence. La mort automnale signifierait pour elle l'anéantissement et s'opposerait à sa perception de la vie. Rien d'étonnant alors si cette feuille s'efforce de jouir au maximum de sa brève existence de feuille, de se protéger contre l'automne et l'hiver et d'oublier sa peur de la mort dans le rêve chimérique d'un éternel état de feuille.

Mais la petite feuille ne pourrait-elle pas, par une conscience de soi plus profonde, percevoir son être de feuille comme une modalité de l'arbre et vivre son être d'arbre ? Ne serait-elle pas plus près de sa « réalité » si sa conscience de la vie devenait une avec celle de l'arbre, dont la grande vie produit sa petite existence, lui survit et contient aussi sa mort de feuille ?

page(s) 17
• La folie de durer

Dans la perspective orientale, notre culture occidentale semble résulter de la peur de la mort. Celle-ci enferme l'homme dans sa folie de « durer », soit par la volonté d'assurer son existence spatio-temporelle, soit – et c'est encore plus dangereux – en cédant au désir de survivre dans un espace intemporel grâce à des réalisations intellectuelles qui lui masquent la véritable nature de la vie.

page(s) 18
• Vie et mort fraternellement unies

Pour saisir le sens de la vie il ne faut plus la comprendre et la réaliser comme un objet mais l'accomplir dans l'unité avec la totalité de la Vie, qui abolit l'opposition entre sujet et objet et accepte le destin de telle sorte que vie et mort y sont fraternellement unies.

page(s) 18

Quatrième de couverture

Le silence peut être senti de manières très diverses. On l'éprouve comme une impression d'accalmie passagère ; ou bien on le ressent parfois lorsque le désir de sécurité du moi est satisfait, ou encore, sur le plan spirituel, comme la participation à une image de perfection. En chacun de nous existe une aspiration naturelle à toutes les formes de silence.

Cependant toutes sont des états transitoires, des instants de bonheur dans une vie qui ne cherche pas son sens profond dans une unité délivrée de tout objet, mais, au contraire, dans les rapports entre sujet et objets, dont les fluctuations poussent l'homme sans cesse en avant. Au-delà se trouve l'expérience du silence qui exprime l'unité de la Vie embrassant tout objet et son contraire.

Quand cette expérience est vraiment vécue, et non pas seulement pensée, cherchée ou pressentie, elle peut devenir le point de départ et le but d'une évolution spirituelle, une orientation de la vie, un « exercice » dont le fruit ne sera pas un état éphémère mais une possession permanente pour l'homme parvenu à maturité. Il s'agit alors d'une disposition d'esprit dans laquelle l'homme perçoit à travers toute discordance la grande harmonie, et dans laquelle il sent en toute opposition l'unité essentielle. Et, dans tout voyage hors de soi-même, il est alors celui qui est déjà rentré au foyer et qui, même s'il le quitte de nouveau, ne perd jamais de vue sa direction.

Être constamment établi dans cet état est, au Japon, ce qui importe. Avec la culture du silence, dont le centre vital est l’« exercice », posséder cet état est le but du Japonais.