Éric Rommeluère

Portrait de Éric Rommeluère

Éric Rommeluère (né en 1960) s'est installé à demeure à dix-sept ans au centre bouddhiste fondé par Taisen Deshimaru rue Pernety à Paris. Il y a d'abord servi à la plonge avant de rapidement se retrouver en charge de la cuisine. Il est ordonné moine en 1981. À la mort de son maître en 1982, il continue à pratiquer et étudier pendant dix ans auprès de Ryôtan Tokuda. Il a reçu la transmission en 2001 à Tokyo.

Éric Rommeluère a étudié, pratiqué et œuvré à la diffusion de l'art du kesa, le vêtement monastique, sa couture étant dans le zen Sōtō une pratique au même titre que la méditation assise. Il a également appris le japonais et le chinois afin d'étudier les classiques à la source.

En 1999, Éric Rommeluère crée l'association Un Zen occidental pour promouvoir un enseignement du bouddhisme adapté à la culture occidentale. Il agit dans le sens d'un bouddhisme engagé, coorganisant entre autres la première formation pour aumôniers bouddhistes en prison et en hôpital. Ses ouvrages sont dans cette veine et explorent la réception du dharma en Occident.

 

Lignée Taisen Deshimaru

 

Contribution dans

Quelques ouvrages

Quelques extraits

• Le maître donne à désapprendre

Dans la proximité des cœurs, le maître apparaît comme un témoin : il est la preuve que le dharma n'est pas un simple mot, qu'il s'incarne dans la vie d'un homme ou d'une femme. Pour qui sait le découvrir enfin, le maître n'enseigne que par convention, il donne plutôt à désapprendre. Le maître dévoilé dans ses multiples dimensions, l'étudiant est alors prêt à s'engager dans la voie du disciple, acceptant même que sa seule présence défasse toutes les stratégies de l'ego.

page(s) 18
• Sans rien faire de l'esprit, sans rien faire avec l'esprit

[Dans la] pratique transmise dans l'école Sōtō, on s'assied droit, les jambes croisées, sans rien faire de l'esprit, sans rien faire avec l'esprit.

Sans rien faire de l'esprit : le méditant ne s'identifie à rien, il ne résiste à rien, il ne manipule rien ; sans rien faire avec l'esprit : il ne recourt à aucune technique mentale particulière.

page(s) 10
• Le tonneau sans fond

La Grandeur est une vision : toutes nos craintes seront dissipées, tous nos vœux seront exaucés. La Grandeur surgit de la pratique mystique : au cœur de ses exercices que l'Occident qualifie de méditatifs, le disciple de la Grandeur demeure dans la nudité de l'âme, toute forme de saisie mentale abolie. De cet espace désencombré jaillira la source inépuisable d'une vie pleine, alerte et aimante.

La tradition zen emploie une métaphore pour souligner qu'un tel délaissement exige la rupture de toutes les digues intérieures : l'âme est comparée à un tonneau dont le fond aurait lâché ; quoi qu'on y verse ensuite, il ne peut plus rien retenir.

page(s) 15
• La poule et le poussin

La tradition zen compare [la] relation [maître/disciple] à celle qui unit la poule et le poussin prêt à éclore. De même que tous les deux frappent simultanément la coquille de leur bec, ce n'est que dans la volonté commune de rompre la coquille de l'ego que celle-ci se brise à la fin. Le maître ne peut le faire sans l'élève ; l'élève ne peut le faire sans le maître.

page(s) 19
• Il n'y a rien à obtenir

Quel que soit leur style […] tous les maîtres zen répètent à l'unisson une même phrase : il n'y a rien à obtenir de cette pratique de méditation. […] [P]lus l'adepte tente de se libérer, plus il s'enchaîne.

page(s) 9
• Double dimension passive/active de l’expérience religieuse

L’expérience religieuse surgit dans un pas de côté, lorsqu'on reconnaît l'insuffisance d'être à soi-même son propre fondement. On s'ouvre alors à la parole d'un autre. Toute dynamique de transmission possède une double dimension. La première est passive : j'accueille ce qui a été dit comme un message. Mais à elle seule cette passivité ne suffit pas puisque ce message m'est personnellement adressé. La transmission implique et me commande de devenir un acteur réellement engagé dans cette expérience. Ce double mouvement, apparemment contradictoire, constitue l'essence même de toute expérience religieuse.

La passivité n'est pas une démission. Je ne laisse pas quelque chose ou quelqu'un opérer à ma place, corps et esprit désertés. En réalité, je ne peux être que le seul acteur de ma vie. La passivité est plutôt de l'ordre de la disponibilité intérieure. Elle se marie avec l'activité qui est mobilisation entière de soi. Sans la dimension active de l'appropriation, la transmission ne serait qu'ânonnement et répétition servile. L'expérience religieuse est un défi lancé à soi-même. Car il ne s'agit pas de répéter, mais bien de vivre. Une transmission qui ne saurait nous émouvoir, nous bouleverser et nous embellir n'aurait guère de sens.

page(s) 43-44
• Entrer dans l'inconnu

Entrer dans l'inconnu n'est jamais un mouvement spontané et naturel. L'inconnu est source de confusion, de désarroi. Pire encore, il est terrifiant. Et, tout à coup, ces gaillards [gens de la Voie] deviennent eux aussi terrifiants et démoniaques, leurs gestes obscurs et incompréhensibles. Toute préhension est précisément impossible. Ils vous laissent là, sans soutien, dans l'inconfort, sans plus d'issue que de renoncer ou de lâcher prise.

page(s) 10
• La loi

Pour qui fait le choix d'entrer en bouddhisme, le dharma, un terme essentiel qui condense en lui la loi, la norme, l'enseignement, deviendra la référence qui s'interposera désormais dans sa relation au monde. Aujourd'hui, même les discours bouddhistes apparemment les plus orthodoxes se doublent d'une reconfiguration intérieure et d'une certaine distanciation vis-à-vis de la tradition. Pour tout Occidental, cette appropriation est bien une mise à l'épreuve, celle de sa propre subjectivité. Nous sommes devenus des sujets qui revendiquons l'autonomie de nos choix, de nos actes et de nos pensées. Nous sommes devenus à nous-mêmes notre propre autorité. Pourtant l'enseignement du Bouddha ne s'est jamais présenté comme une tentative transitoire de penser le monde que nous serions conviés à notre tour à corriger ou à compléter. Pour toutes les traditions bouddhistes, « prendre refuge dans le Bouddha » a toujours supposé de reconnaître sa pleine dimension d'autorité, jusqu'à se laisser – pour reprendre une métaphore traditionnelle – submerger par son enseignement. Ce conflit d'autorité dans le cadre de la modernité, auquel non seulement le bouddhisme mais toutes les traditions religieuses sont désormais confrontés, ne peut plus être résolu par un choix exclusif : si le sujet soumet la tradition à sa loi, s'il garde ce qui lui convient et écarte ce qui le gêne, il s'empêche de se laisser submerger par le message religieux. Si à l'inverse la tradition soumet le sujet à sa loi, celui-ci ne peut que verser dans l'intégrisme et le fondamentalisme.

page(s) 31-32
• L’engagement

Celui qui s'engage dans une voie fait le choix d'y entrer en pleine conscience. Il fait le choix d'être l'acteur de sa propre vie dans la réception d'une parole transmise. Dire « Je crois que… », « Je m'engage à… » vivifie ce je et ne l'annihile pas. Bien au contraire : l’engagement proféré donne un autre poids à son individualité. Le chemin ne dépend plus que de soi-même. En même temps, par le jeu de cet engagement, on accepte d'être traversé par une parole. C'est confiant que l'on se confie.

On utilise en français l'expression « prendre refuge » pour désigner le rituel d'entrée dans la Voie du Bouddha. Les chinois, et avec eux les japonais, les vietnamiens, les coréens qui reprennent l'écriture chinoise utilisent un terme composé de deux idéogrammes. Le premier signifie « retourner à », le second « s'appuyer sur ». Selon un commentaire classique, celui qui prend refuge ressemble à l'enfant qui retourne vers sa mère ou au vassal qui s'appuie sur son suzerain. En ce sens, la prise de refuge est la recherche d'un secours. Mais il ne s'agit nullement d'entrer dans un processus d'infantilisation ou d'obéissance aveugle. Toute dynamique de transmission se nourrit de relations asymétriques – le père et l'enfant, le maître et le disciple, le professeur et l'élève – dans l'unique dessein de donner à vivre une plénitude et une maturité. L'enfant a pour vocation de devenir à son tour un père, le disciple un maître, l'élève un professeur. On retourne, on s'appuie, mais pour devenir un adulte pleinement responsable de soi-même et d'autrui.

page(s) 44-45
• Un nouveau véhicule

Avec l'Occident, le bouddhisme découvre une autre façon de se penser. Une nouvelle voie du milieu émerge qui renvoie dos à dos le nomadisme spirituel et l'orthodoxie la plus traditionnelle. Ces attitudes conduisent aujourd'hui toute transmission religieuse dans une impasse. La première, tout entière portée vers le pôle du Sujet, ne permet plus à une tradition de s'incarner en un individu. Le bouddhisme se voit ainsi diffracté en une multitude de reconfigurations personnelles – à chacun son bouddhisme. La seconde, portée à l'inverse vers le pôle de la Loi, tend à l'exclusivisme. Cette nouvelle voie du milieu tâtonne et cherche encore ses repères. Le bouddhisme qui se construit sous nos yeux est bien un « nouveau véhicule », un navayāna, et non pas la simple adaptation/traduction de traditions asiatiques.

page(s) 39
• Nous perdre, tout perdre

Ces hommes et ces femmes de la Voie nous sourient, le visage illuminé de bonté, et pourtant ils nous somment, inflexibles, de nous perdre, de tout perdre, y compris les plus excellents des enseignements du Bouddha. Ils n'ont aucune promesse, aucune doctrine à offrir. Leur rencontre seule sera à même de nous bouleverser.

page(s) 9-10
• Le rien

[U]ne fois qu'il a pris [la] posture, le pratiquant reste immobile, le corps droit ; une fois qu'il a harmonisé sa respiration, il continue de respirer naturellement par le nez ; une fois qu'il s'est délesté de toute intention particulière, il ne porte pas son attention sur un objet particulier, pas plus qu'il ne réfléchit sur un sujet quelconque. Il se contente de rester assis, simplement assis. Mais que fait-il ensuite ? Précisément, rien. Il ne contrôle rien, il ne s'identifie à rien, il ne reconnaît rien. Tout au plus pourrait-on dire qu'il approfondit le silence.

page(s) 65
• Des bouddhismes

Les bouddhistes n'ont jamais […] considéré leurs écoles comme des variations acculturées d'une tradition unique, dotées par exemple d'un même corpus d'Écritures. Les bouddhisme est une abstraction simplificatrice alors qu'en Orient, la réalité est faite d'écoles souvent millénaires qui ont chacune leur originalité, leur histoire et leur littérature propres, des enseignements inscrits dans des livres, des mémoires et des lieux. À s'en tenir au terme, il conviendrait plus justement de parler de bouddhismes au pluriel afin de singulariser leur richesse et leur diversité.

page(s) 50
• La cuirasse de l'ego

[N]ous sommes enfermés, tous autant que nous sommes, dans la cuirasse certes protectrice mais terriblement handicapante de l'ego, l'instance qui en nous juge, pense, sait et se satisfait. Seul l'ego se justifie, argumente, manœuvre, et se défend ; seul l'ego souffre, pleure et reste insatisfait.

page(s) 16