[La] cohabitation [confucianisme /taoïsme /bouddhisme], étrange à nos yeux d’Occidentaux, a pu parfois ressembler à un syncrétisme, mais il s’agirait là plutôt, comme le dit François Jullien, du fait qu’en Chine, ou au Japon, on a conçu que « l’opposition n’est ni à clore, ni à figer », ce qui est un autre aspect de ce que le taoïste nomme non-pensée (wuxin ou wunian) – concept inclus dans l’innocence (jap. mushin), le sans-intention, le « sans esprit de profit » du zen (jap. mushotoku). En Extrême-Orient taoïste et zen, l’opposition des contraires, et même la discrimination des différences, dans le contexte de la sagesse, sont conçues comme se rapportant à l’attachement à une noétique du moi, laquelle finalement est un cadre vide.
sans attente
Extraits étiquetés avec : sans attente
Cohabitation du confucianisme, du taoïsme et du bouddhisme
page(s) 101Fleurir le temps qu’il nous est donné
La montagne lui avait donné le sens de l'Éternité, le coquelicot lui enseignait la fragilité du temps : méditer c'est connaître l'Éternel dans la fugacité de l'instant, un instant droit, bien orienté. C'est fleurir le temps qu’il nous est donné de fleurir, aimer le temps qu’il nous est donné d'aimer, gratuitement, sans pourquoi, car pour qui ? Pour quoi fleurissent-ils, les coquelicots ?
Il apprenait ainsi à méditer « sans but ni profit », pour le plaisir d'être et d'aimer la lumière. « L'amour est à lui-même sa propre récompense », disait saint Bernard. « La rose fleurit parce qu'elle fleurit, sans pourquoi », disait encore Angelus Silesius.
page(s) 16Être tout simplement
Le plus dur était pour lui de passer ainsi des heures « à ne rien faire ». Il fallait réapprendre à être, à être tout simplement – sans but ni motif. Méditer comme une montagne, c'était la méditation même de l'Être, « du simple fait d'Être », avant toute pensée, tout plaisir et toute douleur.
page(s) 14Action pure
Dans le zen, on dit mushotoku : ne pratique pas en espérant en tirer un bénéfice. N'agis pas en courant après un bénéfice, quel qu'il soit. L'action libre est une action pure par laquelle on ne cherche à obtenir aucun bien-être. On trouve le plaisir et la satisfaction dans l'action elle-même et non dans l'attente des résultats.
page(s) 33Trouver son véritable Soi
Qu'il s'agisse de relations interpersonnelles ou bien sociales ou internationales, tous les conflits naissent d'attitudes égocentriques, de souci d'auto-satisfaction.
[Les] actions [vertueuses], libres de tout motif égocentrique, donnent de l'énergie à la personne qui les accomplit, et c'est, paradoxalement, en oublient son ego dans une activité désintéressée que l'on trouve son véritable Soi.
page(s) 31La source de la compassion est toute proche
Loin d'être une pitié légèrement condescendante ou teintée de sentimentalité, la compassion est ce qui se déploie à partir d'une ouverture primordiale, où s'abolit la distinction entre « moi » et « l'autre ». L'acte compatissant n'est pas le fruit d'une décision volontaire ni d'un « ressenti » subjectif : il est dicté par la situation.
Le bodhisattva est tellement en phase avec le réel qu'il est capable d'agir ni pour lui ni pour autrui, mais à partir de l'environnement : il est celui qui sait se mettre à l'écoute de la situation, et y répondre pleinement.
L'action compatissante, telle que l'incarne le bodhisattva, est délestée des attentes, de l'espoir de recevoir quelque chose en retour : elle est don pur, désintéressé. Cette gratuité est si éloignée de notre façon habituelle d'agir que le risque est d'en faire un idéal inatteignable. Pourtant, loin d'être un absolu hors de notre portée, la source de la compassion est toute proche, et d'une grande simplicité. Il suffit de nous tourner vers notre propre cœur. Qu'y découvre-t-on ? Un « point sensible », au point d'être douloureux. (Faustine Ferhmin)
page(s) 58La patience d’être
Si le risque est cet événement du « ne pas mourir », il est au-delà du choix, un engagement physique du côté de l'inconnu, de la nuit, du non-savoir, un pari face à ce qui, précisément, ne peut se trancher. Il ouvre alors la possibilité que survienne l'inespéré.
Ne suffirait-il pas moins dramatiquement de penser, avec Spinoza, ce qui nous fait persévérer dans l'être ? Penser plutôt la patience, cette mesure du temps qui, face à l'urgence, cautérise les blessures… La patience d'être, cet art subtil, oublié, non colonisé de soi où s'enchevêtrent l'émotion et la pensée, cuisine de toute création. Mais une patience alors qui ne serait ni au service de l'attente, ni surtout à celui de la dépression, du compromis, du renoncement fatal. Ce risque-là, d'être, ne s'envisage pas, ne s'évalue pas. C'est la grande machinerie économique qui supporte l'évaluation des risques.
page(s) 21-22Le miracle de chaque instant
Apparemment, l'émerveillement est attente d'une réponse, comme un vide qui aspire à être rempli.
Mais en réalité, il n'attend rien. Il nous met simplement face au mystère.
Car toute réponse est faite de mots. Toute réponse est une fermeture, une mort. Et le paradoxe du monde peut simplement être posé…
La réponse EST le miracle de chaque instant…
page(s) 48Couper avec l’ambition
[C]oupant la relation avec l’ambition, la relation qui consiste à être « tendu vers », on se [trouve] revenir au passé. En plus, l'enfance n'a pas cette tendance à l'effort continu, à la vigilance en vue de buts invariables. On l'apprend. Petit à petit, on y est formé. Cela tombant d'un coup, on se retrouve au niveau de son enfance. La plupart, en effet, leur ambition et l'appel à compétition disparus, reviennent aussitôt à l'enfance à laquelle ils n'ont cessé de rêver, leur habitat, le seul état où ils furent vivants et qu'ils ont quitté malgré eux.
page(s) 61Liberté & discipline
[I]l faut qu'existe [la] liberté, non pas à la fin de l'enquête, mais dès le premier pas. Faute d'être libre, on ne peut explorer, examiner, sonder. Pour qu'il y ait pénétration profonde, il faut qu'il y ait non seulement liberté, mais aussi la discipline nécessaire à toute observation ; la liberté et la discipline vont de pair (mais il ne faut pas se discipliner dans le but d'être libre). […]
Apprendre et être libre vont de pair, la liberté entraînant sa propre discipline, une discipline qui n'est pas imposée par l'esprit dans le but d'obtenir un certain résultat. Voilà deux choses qui sont essentielles : la liberté et l'action d'apprendre. On ne peut apprendre à se connaître, à moins d'être sans entraves, […]
Une telle observation, une telle perception, une telle vision entraînent leur propre discipline, leur propre façon d'apprendre ; il ne s'y trouve aucun conformisme, aucune imitation, aucune suppression, aucun contrôle d'aucune sorte. En cela réside une grande beauté.
page(s) 13Le changement en proportion inverse de la volonté de changer
Règle n°1
Le changement de la relation à soi, aux autres et à l'environnement est en proportion inverse de la volonté de changement.
Démonstration
Le changement est un mouvement qui va d'un état à un autre. Il est donc impossible d'accéder au second si l'on n'est pas d'abord passé par le premier. Mais cette opération ne va pas de soi, car il n'est pas naturel à l'être humain d'être pleinement là où il est. Donc pour commencer à changer, il lui faudra d'abord s'assurer qu'il a investi le point de départ. Il ne doit donc pas se soucier de changer. CQFD.
page(s) 317 (La fin de la plainte)S’effacer devant la vie
La vie ne peut apparaître que si on lui laisse toute la place, que si on ne fait pas obstacle, mais, ne pas faire obstacle, c'est déjà disparaître ou mourir, en tout cas c'est l’effacement. […]
Je m’efface pour que, (et je ne sais plus quoi), je m’efface pour laisser toute la place, je ne suis plus dans ma place, je ne m'habite plus, je laisse, je me laisse habiter, je me laisse emporter, mais, si tout est emporté, alors je deviens comme une soie qui s'envole, je m'allège à l'extrême, je vais être emporté. Je ne pourrai pas supporter longtemps cet emportement, cet emportage. Et pourtant c'était bien à force de poids, à force d'être là, à force de présence lourde et sans intention, et même de présence matérielle, absolument bête, absolument sans esprit.
page(s) 242 (La fin de la plainte)Marcher pour le plaisir de marcher
Le Bouddha semblait marcher uniquement pour le plaisir de marcher, indifférent à sa destination.
page(s) 15La méditation coupe à la racine toute volonté d’accomplissement
Le problème majeur de toute démarche spirituelle est de chercher à atteindre un but – recherche qui entraîne automatiquement une lutte contre la situation présente que nous cherchons à dépasser. Le chemin authentique repose sur un processus d'abandon et de dépouillement entier, impitoyable. La méditation – où il s'agit d'être sans aucun projet – nous libère en coupant à la racine toute volonté d’accomplissement. [préface de Fabrice Midal]
page(s) 16-17Prisonnier d’une idée du temps
Quand vous vivez complètement chaque instant sans rien attendre, vous n'avez aucune notion du temps. Quand vous êtes prisonnier d’une idée du temps – aujourd'hui, demain, l'année prochaine – votre pratique devient égoïste. Des désirs variés se mettent à vous tirailler en tous sens.
page(s) 27Juste être soi-même
Shikantaza, notre zazen, c'est juste être soi-même.Quand on n'attend rien, on peut être soi-même. C'est notre voie, vivre pleinement chaque instant. Cette pratique ne cesse jamais.
page(s) 23Le chemin du décentrement
[L]e Bouddha, contrairement à nombre d'idées reçues, ne nous invite pas à méditer, replié sur nous même pour chercher une sorte de paix mièvre et sécurisante – mais à apprendre à être toujours plus ouvert, sans attente ou préconception, face à tout ce qui peut survenir. Le Bouddha nous montre le chemin de ce décentrement qui nous place dans l'ouverture de notre existence – qui est d'avance relation. Le « soi » ne se libère que là où disparaît le soi-même. Alors que le moi-même, le moi confirmé par le même, est psychologiquement saisi, le « soi » jamais ne se saisit ou se fige – toujours il est pur secret que rien ne peut réussir à profaner.
page(s) 17Regarder sans intention
Chaque seconde perdue à regarder sans intention par la fenêtre retarde la fin du monde.
page(s) 74La méditation ne sera ni ratée ni réussie
Il est indispensable, avant chaque séance, de se rappeler et de rappeler aux enfants l'originalité de la méditation : la méditation ne sera ni ratée ni réussie. Pour eux comme pour nous.
Je constate régulièrement lorsque j'anime des groupes que ce changement de perspective n'est pas intégré tout de suite, tant l'enfant est habitué à être stimulé par des défis à relever, ou à des épreuves assorties de classements et/ou de récompenses pour les plus performants, même dans les activités de loisirs.
Pourtant cette absence d'enjeu constitue le renversement opéré par la méditation, en signifiant qu'il existe une possibilité d'être pour un moment comme on est, sans rien changer, sans qu'il manque quoi que ce soit. Cela procure un soulagement très profond.
Mais pour l'expérimenter pleinement, il est important que nous, adultes, luttions contre notre tendance à utiliser la méditation pour que les enfants soient plus calmes ou à leur faire des reproches s'ils ne suivent pas à la lettre les consignes que nous donnons.
page(s) 29-30Comme dans un miroir que rien ne peut obscurcir
Comme le dit Wanshi : « Tout fonctionne sans laisser de trace. Tout est reflété comme dans un miroir que rien ne peut obscurcir. » L'esprit et tous les phénomènes s'harmonisent puisqu'on pratique sans utiliser sa conscience personnelle. C'est-à-dire sans vouloir obtenir quelque chose ou rejeter quoi que ce soit, sans juger, sans discriminer, avec un esprit complètement ouvert – mushin – sans intention, sans arrière-pensées. Ainsi on peut trouver la paix de l'esprit.
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