Rencontrer réellement, n'est-ce pas simplement poser son regard sans les mots, avec l'esprit de celui qui ne sait rien, qui a tout à découvrir de l'autre, s'exposer et se risquer dans la simplicité de l'être ?
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Rencontrer réellement
page(s) 9L’amour, un art de la dépendance
Prendre le risque de la dépendance, c'est faire un signe d'amitié à ce corps d'après la naissance, mais pas seulement. C'est penser aussi qu'à l'image du vaccin qui inocule un peu du virus pour en aguerrir le corps, qui déclare et construit alors ses propres protections, il faut mieux laisser croître nos dépendances, comme on le ferait d'un jardin à l'anglaise en gardant des herbes folles mélangées au thym et aux dahlias et même s'y plaire. Ne pas les fuir mais les appréhender, y prêter notre intelligence.
L'amour, ici j'ose risquer le mot, avec appréhension certes, est un art de la dépendance. Il suppose donc que l'on s'y risque. Admettre sa défaite, son attente insensée, son désespoir devant le brusque refus de l'autre, se laisser dévaster par une douleur qui nous semble-t-il alors ne prendra jamais fin. Cet acquiescement à la dépendance n'est pas une résignation, sinon s'installe dans l'âme un venin fatal qui fait le lit de toute dépression à venir, comme une rivière trop longtemps retenue se perd en marécage.
page(s) 24-25La patience d’être
Si le risque est cet événement du « ne pas mourir », il est au-delà du choix, un engagement physique du côté de l'inconnu, de la nuit, du non-savoir, un pari face à ce qui, précisément, ne peut se trancher. Il ouvre alors la possibilité que survienne l'inespéré.
Ne suffirait-il pas moins dramatiquement de penser, avec Spinoza, ce qui nous fait persévérer dans l'être ? Penser plutôt la patience, cette mesure du temps qui, face à l'urgence, cautérise les blessures… La patience d'être, cet art subtil, oublié, non colonisé de soi où s'enchevêtrent l'émotion et la pensée, cuisine de toute création. Mais une patience alors qui ne serait ni au service de l'attente, ni surtout à celui de la dépression, du compromis, du renoncement fatal. Ce risque-là, d'être, ne s'envisage pas, ne s'évalue pas. C'est la grande machinerie économique qui supporte l'évaluation des risques.
page(s) 21-22Ne pas mourir de notre vivant
Et si ne pas mourir de notre vivant était le premier de tous les risques, qui se réfractait dans la proximité humaine de la naissance et de la mort ?
Le risque est un kairos, au sens grec de l'instant décisif. Et ce qu'il détermine n'est pas seulement l'avenir, mais aussi le passé, en arrière de notre horizon d'attente, dans lequel il révèle une réserve insoupçonnée de liberté. Comment nommer ce qui, en décidant de l'avenir, réanime de fait le passé, l'empêchant de se fixer ? […] L'instant de la décision, celui où le risque est pris, inaugure un temps autre, comme le traumatisme. Mais un trauma positif. Ce serait, miraculeusement, le contraire de la névrose dont la marque de fabrique est de prendre aux rets l'avenir de telle sorte qu'il façonne notre présent selon la matrice des expériences passées, ne laissant aucune place à l'effraction de l'inédit, au déplacement, même infime qu'ouvre une ligne d'horizon.
page(s) 13-14La morale : faire au mieux dans la situation
Nous nous laissons souvent entraver dans nos vies par nos peurs, par nos habitudes, par les incertitudes, et nous en sommes malheureux.Or, agir est une exigence morale parce que c’est la seule manière de permettre à un être humain de s’accomplir. L’action est la vie même.
Au fond, la morale n’est que cela : ne pas renoncer, ne pas se laisser écraser, essayer de faire au mieux dans la situation qui se présente, telle qu’elle est. Prendre le risque d’aller avec ce que l’on pense être juste, après avoir regardé, avec vigilance et curiosité, les arêtes, les crevasses, les montagnes qui se dressent sur notre chemin et qui, si on accepte de les voir comme elles sont et non comme on appréhende qu’elles soient, se transforment en points d’appui pour avancer.
page(s) 17Le bouddhisme, un héroïsme
Le bouddhisme est un héroïsme qui nous montre comment vaincre nos peurs et oser prendre des risques. À une époque qui manque de grands desseins, son invitation à de quoi nous embraser. Elle est aussi très simple. Une discipline de vie comme il n'en existe plus vraiment en Occident et dont la ressource principale est la pratique de la méditation, une manière concrète de travailler sur soi et de s'ouvrir au présent et à la vie.
page(s) 8La voie solitaire
La voie solitaire n'apporte ni gloire ni consolation, aussi vaut-elle plus qu'une autre d'être tentée. C'est la voie fulgurante de tout être impatient d'absolu dont l'apparent orgueil s'avoue si proche de l'anéantissement suprême ; ou la « voie sèche » de l'alchimie : brève, au creuset, mais infiniment risquée.
page(s) 11-12