Quatrième de couverture
Dans son rapport à la nature, l’homme moderne semble s’être fourvoyé. La nature n’est plus pour lui qu’un réservoir de ressources et un décor dans lequel il peut se déployer.
Héritière d’une tradition dualiste née des pensées grecque et judéo-chrétienne, sa perspective humaniste s’est édifiée sur une représentation du monde où l’homme est la mesure de toute chose.
Au fil des siècles, de vaines tentatives pour sortir de ce paradigme ont été esquissées par Schelling, les romantiques ou les tenants du transcendantalisme américain.
En contrepoint de cette approche, l’âme millénaire de la Chine a privilégié le « naturel » sur la nature et considéré que ce « souffle », dont l’homme n’est qu’une expression, avait unifié le chaos originel. De cette perspective est née une sensibilité « poétique » au paysage, aux « arbres et aux sources », et une intuition de l’instant, souvenir de notre transcendance essentielle, qui peut guider nos pas.
En s’inspirant de la pensée chinoise, du taoïsme et du bouddhisme zen, l’auteur, sinisant accompli et homme de nature, pose qu’une autre manière de penser la nature et l’écologie est aujourd’hui possible. Mais, au préalable, il faut bien appréhender les points de divergence, la réalité de la modernité et s’assurer du fonds chinois. Et de cette réflexion pourra peut-être naître une nouvelle culture du naturel.
Recension
Dans la première partie, faisant le constat de l’hybris post-moderne, avec l’inflation du moi déconnecté des autres êtres, Antoine Marcel remonte la piste de cette déconnexion : la pensée grecque, qui essentialise ; la chrétienté, qui institue le clivage corps /esprit ; la pensée analytique de l’époque moderne, qui amène à confondre la carte avec le territoire. Au fil de son histoire, la pensée occidentale reste humaniste, séparant a priori l'homme de la nature.
La culture occidentale a néanmoins connu diverses tentatives de retour à la nature. Elles sont inventoriées dans la deuxième partie en partant de la notion d’« âme universelle » de Schelling. Le transcendantalisme américain initié par Emerson proposa l’expérience directe du divin dans la nature. Dans cette lignée, Thoreau, proto-écologiste, qui prôna une vie de sobriété, dans la contemplation d’une nature considérée, dans sa constante créativité, comme le lieu de la plus haute vérité. Dans son sillage se développa tout une mythologie de la sauvageté (wilderness) : Walt Whitman, John Burroughs, John Muir, Aldo Leopold, Edward Abbey, Gary Snyder, Kenneth White.
La troisième partie montre que l’Extrême-Orient a développé un tout autre rapport à la nature. L’abstraction de nature n’y a d’ailleurs pas sa place. Il serait plus juste de parler de « naturel », ce qui est ainsi. Le taoïsme est un phénoménalisme. Selon sa vision, la nature est une émergence continue, où tout est transformation et flux. Au sein de ce procès constant, l’homme ne jouit d’aucun statut privilégié. Confucianisme et bouddhisme, les deux autres piliers de la culture chinoise, sont également passés en revue. Taoïsme et bouddhisme se métissent dans le chán – qui donnera au Japon le zen –, pour qui l’ineffable ne peut être atteint que dans le silence du moi et la non-pensée.
Dans les deux dernières parties, l’auteur fait un état des lieux et esquisse le renouvellement de paradigme qu’appelle la dévastation de notre planète.
L’homme se considère depuis trop longtemps comme la mesure du monde. Ce qui l’a conduit à une attitude prométhéenne, arrogante, et à l’hybris qui culmine aujourd’hui dans le transhumanisme, lequel prétend réduire l’homme à sa capacité computationnelle. La pensée abstraite a nourri une illusion démiurgique, mais elle a ses limites et n’est rien sans « l’inscription corporelle de l’esprit » (Francisco Varela).
Si l’esprit est inséparable du corps, l’homme l’est tout autant de la nature. Malgré une urbanisation qui ne cesse de se densifier depuis l’Antiquité, l’homme reste un animal dont la survie appelle la remise en question de la position centrale qu’il s’est arrogée. Non seulement l’homme doit être re-naturalisé, mais la culture extrême-orientale peut aussi inspirer une humanisation de la nature, en donnant des droits à tous les êtres non humains.
Antoine Marcel en appelle à une refondation du poétique et du spirituel. Pour cela, les sagesses taoïste et bouddhiste peuvent être adaptées à notre époque. L’homme a perdu le respect qu’il doit aux éléments. C’est d’éthique dont nous avons besoin : comme le bodhisattva bouddhiste, œuvrons au bien de tous les êtres.
Chacun, en présence d’un arbre vénérable ou d’une source, peut faire l’expérience directe d’une dimension plus vaste que sa petite personne. L’esprit n’est pas cantonné au cerveau de l’homme mais, selon la vision taoïste, un souffle qui anime tous les êtres, dans tous les règnes. Dans ce fonds d’immanence, l’homme peut trouver émerveillement et confiance pour développer le sacré qu’il porte en lui.