L'inscription corporelle de l'esprit

Sciences cognitives & expérience humaine
Seuil, 1993
11 cm x 18 cm, 450 pages


Couverture de L'inscription corporelle de l'esprit

Extraits de l'ouvrage

• La corporéité

Pour Merleau-Ponty […] comme pour nous, la corporéité possède un double sens : elle désigne le corps à la fois comme structure vécue et comme contexte ou lieu des mécanismes cognitifs.

page(s) 20
• Méditation : un terme égarant

Bouddhiques ou autres, il existe de nombreuses activités du corps et de l'esprit. Dans son usage général dans l'Amérique et l'Europe moderne, le terme méditation possède toute une série de significations ordinaires distinctes :

  • état de concentration dans lequel la conscience réfléchie est centrée sur un seul objet ;
  • état de relaxation psychologiquement et médicalement bienfaisant ;
  • état dissocié dans lequel des phénomènes de transe peuvent se produire ;
  • état mystique dans lequel sont vécus les réalités ou les objets religieux les plus élevés.

Ces différentes significations ont en commun d'être des états modifiés de conscience ; le méditant accomplit quelque chose pour sortir de son état de réalité ordinaire, non concentré, non relaxé, non dissocié et inférieur.

La tradition bouddhique de la présence/conscience est conçue comme l'exact opposé de ces significations. Le but du pratiquant est de devenir attentif, de vivre ce que son propre esprit fait quand il le fait, d'être présent à son propre esprit.

page(s) 62-63
• L'esprit errant

Habituellement, on ne remarque la tendance de l'esprit à errer que lorsque l'on tente d'accomplir une tâche mentale et que cette errance interfère. Ou peut-être réalise-t-on que l'on vient de terminer une activité agréable sans l'avoir remarquée. En fait, le corps et l'esprit sont rarement coordonnés étroitement. Du point de vue du bouddhisme, nous ne sommes pas présents.

page(s) 63
• Voir le fonctionnement de l'esprit

Calmer l'esprit, dans le bouddhisme, n'a pas pour but de l'absorber mais de le mettre en mesure d'être attentif à lui-même assez longtemps pour acquérir un discernement quant à sa propre nature et à son propre fonctionnement.

page(s) 64
• À distance de son vécu

[L]a première grande découverte de la méditation attentive tend à être non un discernement global quant à la nature de l'esprit, mais la réalisation aigüe de la mesure dans laquelle les êtres humains sont normalement déconnectés de leur propre expérience. Même les activités quotidiennes les plus simples ou les plus agréables – marcher, manger, converser, conduire, lire, attendre, penser, faire des projets, jardiner, faire l'amour, boire, se souvenir, aller chez un thérapeute, écrire, faire un petit somme, s'émouvoir, faire du tourisme –, toutes se déroulent rapidement dans une masse confuse de commentaires abstraits tandis que l'esprit se hâte vers sa prochaine occupation mentale. […] Cette attitude abstraite est le scaphandre, le rembourrage d'habitudes et de préjugés, l'armure avec laquelle il se met habituellement à distance de son propre vécu.

page(s) 65-66
• La conscience panoramique

À mesure que le méditant interrompt de manière répétée le flux de la pensée discursive et redevient attentif à sa respiration ou à son activité quotidienne, l'agitation de l'esprit se dompte graduellement. On commence à pouvoir envisager cette agitation comme telle et à devenir patient envers elle, plutôt que de se perdre automatiquement en elle.

Par la suite, les méditants font état d'une perspective plus panoramique. Cette dernière se nomme conscience. À ce stade, la respiration n'est plus nécessaire en tant que centre vers lequel diriger l'attention. Selon une analogie traditionnelle, l'attention se rapporte aux mots isolés d'une phrase, tandis que la conscience est la grammaire qui englobe la phrase tout entière.

Les méditants rapportent également qu'ils font l'expérience de l'espace et des vastes dimensions de l'esprit. À ce propos, une métaphore traditionnelle compare l'esprit au ciel (arrière-plan non conceptuel) dans lequel les différents contenus mentaux, tels des nuages, se lèvent puis s'éloignent.

page(s) 66-67
• Dompté, l'esprit peut se connaître lui-même

[L]'attention/vigilance est considérée comme partie intégrante de la nature essentielle de l'esprit ; c'est l'état d'esprit naturel, que les réflexes habituels d'avidité et d'illusion obscurcissent temporairement. L'esprit non dompté tend constamment à s'installer en un point stable de son perpétuel mouvement, à s'agripper à des pensées, des sentiments, des concepts comme s'ils constituaient un sol ferme.

À mesure que ces habitudes sont interrompues et que l'on apprend une attitude de « lâcher-prise », la tendance naturelle de l'esprit à se connaître lui-même et à réfléchir sa propre expérience peut s'épanouir. Tel est le début de la sagesse ou de la maturité (prajñā).

page(s) 67
• Un avec sa propre expérience

Comme les maîtres bouddhistes le soulignent souvent, la sapience, dans le sens de prajñā, n'est pas une connaissance à propos de quelque chose. Il n'y a pas de sujet abstrait d'une expérience, qui serait séparé de l'expérience elle-même. Les maîtres bouddhistes évoquent souvent le fait de faire un avec sa propre expérience.

page(s) 68
• Ne croyez pas, faites l'expérience

Les doctrines bouddhiques affirment être simplement les observations que fait l'esprit quand il est autorisé à être naturellement observateur. En effet, toutes les assertions bouddhiques (absence de soi, avènement codépendant du vécu, etc.) sont présentées par les enseignants bouddhistes comme des découvertes plutôt que comme des principes ou des doctrines. Les maîtres bouddhistes aiment à souligner que les étudiants sont toujours expressément invités à douter de ces assertions et à les mettre directement à l'épreuve dans leur propre expérience plutôt qu'à les accepter en tant que croyances.

page(s) 76

Co-auteurs

Francisco Varela, Eleanor Rosch & Evan Thompson

Quatrième de couverture

Depuis son émergence en Occident, la science s’est construite en rupture avec l’expérience humaine. Cette « coupure épistémologique » est à l’origine du schisme entre la science et la philosophie. Or, aujourd’hui, la première s’attaque à ce domaine qu’elle avait concédé à la seconde : l’esprit. Ce livre montre que, par leurs avancées, les sciences cognitives déconstruisent la conception classique du sujet léguée par la philosophie. Mais le neuro-réductionnisme qu’elles lui substituent aboutit à une nouvelle séparation entre cognition et conscience. En intégrant la philosophie bouddhique à la perspective neurobiologique, cet ouvrage propose un cadre d’analyse permettant d’appréhender l’intelligence incarnée.