enlisement

Extraits étiquetés avec : enlisement

  • Illusion de l’enfance retrouvée

    [N]e croyons pas à l’« enfance » retrouvée – à la transparence définitivement accordée – car toujours elle est feinte. Il faut renoncer, d'une façon comme de l'autre, à cette illusion : qu'accéder à la vraie vie soit revenir à cet amont immaculé d'avant la perte et l'occultation ; ou bien atteindre enfin à l'« innocence » parce qu'on aurait désormais triomphé des forces réactives qui minaient son affirmation.

    Le négatif de la non-vie ne se laisse dissiper ni dans un avant ni dans un après. La « vraie vie », dans son présent, est la vie, non pas qui ne se laisserait pas encore recouvrir, mais qu'on ne cesse de dé-couvrir, de libérer de sous son recouvrement, activement, à tout instant, en un non, dans un refus qui n'ont pas de résolution : qui ne cessent de dire non à la résignation comme à l'enlisement, à l'aliénation comme à la réification. C'est dans cette négation même – à la fois première et sans dépassement – que se déploie, s'entre-voit, de la « vraie vie ».

    Couverture de De la vraie vie
    page(s) 188
  • L’ébranlement émotionnel

    C'est seulement d'une incitation venant du dehors que peut se remettre en mouvement, en élan, sa vie ; ou que celle-ci pourrait sortir de l'inertie mortelle générant la non-vie. Je nommerai précisément l'« é-motion » ce pouvoir surgi du dehors de la vie dans la vie et faisant effraction dans la réification où se trouve entraînée, ne serait-ce que par homéostasie, la vie. Comme une vie enlisée est une vie qui ne rencontre plus, une vie réifiée, à sa suite, est une vie qui ne s'émeut plus.

    Aussi, de même que le désenlisement a son principe dans la décoïncidence faisant sortir la vie de son adaptation normée, de son adéquation installée, on dira que le propre de la déréification est de trouver son principe dans l’ébranlement émotionnel frappant soudainement la vie. Surgi à la transition du physiologique et du psychique, non seulement cet ébranlement de l'émotion remet en tension la vie, la sort de son apathie. Mais plus encore : il force la vie, par son intrusion, à se tenir hors et se mouvoir (e-movere), ne serait-ce qu'un instant, de son régime précédent de vie.

    Couverture de De la vraie vie
    page(s) 142
  • La vie enlisée, engluée

    La vie enlisée est la vie qui ne se connaît plus d'initiative et n'inaugure plus. Elle s'est confinée et immobilisée dans son habitus, ne désadhère plus suffisamment d'avec elle-même comme d'avec son monde, ne dé-coïncide plus suffisamment d'avec les modes d'adéquation et d'adaptation qui font son lit et son confort. Elle n'ouvre plus assez d'écart avec elle-même, selon ce que écart comporte en soi d'exploratoire et de dérangement. Dans cet enfoncement, ce rabattement, ce n'est pas tant que pèse de leur trop de lourdeur le milieu ou le passé, car ce qui s'y percevrait alors de pression négative porterait de soi-même encore à réagir. Mais c'est que la vie s'est laissée absorber sous eux au point qu'elle ne peut plus s'en détacher. Une adhérence s'est sécrétée et sédimentée, en cours de vie, au point qu'on n'en décolle plus et s'y « englue »[.]

    Couverture de De la vraie vie
    page(s) 118
  • Reprendre sa vie

    [E]st-ce que je saurai me détacher de ma vie précédente – de ma vie enlisée en son monde – pour débuter un nouveau jour ? Ou pour éclairer cette question dans sa condition : est-ce que je suis parvenu, à ce jour, à tirer parti de ma vie passée pour, revenant sur elle et m'en décalant, ne plus répéter ma vie, mais la « reprendre » : pour pouvoir réformer ma vie et commencer enfin effectivement d'« exister » ?

    Cette interrogation, il est vrai, on peut la maintenir au niveau de l'actuel marché du développement personnel et du bonheur, en vue de s'y assurer à moindre frais. On peut la garder dans le cadre des banalités bien rabotées de la sagesse, y quêtant une résignation plus ou moins enjouée. Mais on peut aussi vouloir l'affronter philosophiquement pour y chercher une issue plus audacieuse, autant dire qui soit inventive.

    Couverture de Une seconde vie
  • La voie du véritable nourrissement

    La voie du véritable nourrissement est […] à concevoir entre [retraite et vie sociale], mais ne nous méprenons pas sur ce juste milieu qui n'est pas une équidistance vis-à-vis des deux, car celle-ci conduirait aussi, fatalement, à s'immobiliser et ferait rater le renouvellement de la vie. […]

    [C]e n'est pas se retirer au-dedans ni non plus s'activer au-dehors qui est un tort, mais se retirer au-dedans « au point de se tenir caché » et sans plus de rapport avec autrui (si bien qu'on se découvre seul et démuni quand surgit un danger extérieur) ; ou s'activer au-dehors au point d'être continuellement exposé (aux pressions, aux intrigues, etc.), si bien que, faute de relâchement, on est rongé par les préoccupations et on dépérit prématurément.

    Le tort n'est pas dans l'une ou l'autre position mais dans le fait de s'attacher à une position, quelle qu'elle soit, et de s'enliser en elle ; plus précisément, il est de s'isoler dans une certaine position en se coupant de la position adverse et donc de se fermer à l'appel à se détacher de la position occupée (pour continuer d'avancer), que maintenait précisément l'autre possibilité. La vie alors ne se « nourrit » plus parce qu'elle perd de ce fait sa virtualité, s'enlise, se bloque et n'inaugure plus.

    Couverture de Nourrir sa vie
    page(s) 32-33