En revenant à la manière dont la Grèce ancienne a pensé et nommé la douceur, c'est tout le rapport qu'entretient une communauté humaine au droit, à la justice, à la guerre, mais aussi aux valeurs dites du « cœur » qui apparaît. Et avec elle ce qu'on appelle l'humanisme. Pour les Grecs, la douceur est le contraire de l'hybris, de cette démesure qui s'empare de l'homme en proie à ce que nous appelons aujourd'hui ses « pulsions », mais elle n'est pas non plus la rigueur morale, non la douceur appartient d'une certaine manière aux dieux plus qu'aux hommes. Bien qu'elle soit tangible tout autant qu'intelligible, elle inclut le bien sans être le bien, la relation sans être une relation, le spirituel sans être un attribut divin et la matière dans sa pure réceptivité.
Douceur se dit en grec de deux manières : proates, qui signifie douceur, amabilité. Dans les Épîtres, saint Paul évoque ainsi « l'esprit de douceur » nécessaire à l'établissement d'une communauté. La douceur concerne d'emblée la question de l'« être ensemble », le premier cercle du politique et de l'éthique.
Mais la douceur se dit aussi : praüs, terme plus sensible, qui signifie débonnaire, et que la vulgate traduira en latin par : mitès (en anglais meek – pauvre et doux). Dans les Béatitudes, on trouve : « Heureux les doux car ils régneront sur le monde. » Mitès signifie pour un fruit mûr et tendre, pour une terre : la fertilité, pour un être, la douceur et la bonté.
En latin, deux autres mots disent la douceur : suavitas, plus intellectuel ou spirituel, et dolcis, qui a donné aussi le mélodieux (pour un son), l'attractivité, la beauté (pour une chose) et le sucré (pour un aliment).
Avec l'avènement de la chrétienté, le roi/messie attendu dans toute sa splendeur est remplacé par un enfant né dans la pauvreté et l'exil. Placer la royauté spirituelle au lieu de la plus grande vulnérabilité fut un coup de force sans précédent dans l'Histoire. Toutes les valeurs de mérite, de puissance, de valeur guerrière s'en trouvèrent bouleversées.