La bodhicitta, ou tendresse envers la vie, s'éveille lorsqu'on ne se protège plus de la vulnérabilité de son état, de la fragilité basique de l'existence. Elle éveille parce qu'on a créé un lien avec la souffrance d'autrui. On s'entraîne aux pratiques de la bodhicitta pour arriver à s'ouvrir au point de laisser entrer en soi la douleur des autres, de la laisser toucher son cœur, et de la transformer en compassion.
vulnérabilité
Extraits étiquetés avec : vulnérabilité
Tendresse envers la vie
page(s) 22Accepter de n'être plus protégé par rien
Il faut avoir une force terrible pour supporter de lire un seul poème. Aller au-devant d'une phrase comme au-devant de sa propre mort. Accepter de n'être plus protégé par rien et recevoir le coup de grâce d'une parole claire en son obscurité.
page(s) 32Nous sommes vulnérables
Je loue le fait que, en tant q'humains, nous ne sommes jamais tout à fait libres de ce que nous dicte la compassion. Nous sommes nés totalement dépendants de soins prodigués par autrui. Nous avons grandis et sommes parvenus à l'âge adulte parce que d'autres ont pris soin de nous. Même du haut de notre autonomie d'adultes, la présence ou l'absence de l'affection des autres détermine fortement notre bonheur ou notre misère. C'est la nature humaine : nous sommes vulnérables, et c'est une bonne chose. Un cœur sans peur peut embrasser cette vérité fondamentale de la condition humaine.
page(s) 36-37L’éducateur a ses propres peurs
L’éducateur, lui aussi, a ses tensions et ses peurs. Il ne sera pas capable de faire comprendre la nature de la peur si lui-même n'a pas découvert la racine de ses propres peurs. Cela ne veut pas dire qu'il doit d'abord être libéré de ses propres peurs afin d'aider l'élève à se libérer des siennes, mais, dans leur relation quotidienne, dans leurs conversations, en classe, l'enseignant montrera que lui aussi a peur, tout comme l'élève et, ainsi, il peuvent, ensemble, explorer toute la nature et la structure de la peur.
page(s) 35Cette fragilité qui est la force durable
Je sais par expérience (mais le devinerais aussi bien sans cela) que j'ai touché maintenant cette immédiateté qui est aussi la plus profonde profondeur, cette fragilité qui est la force durable, cette beauté qui ne doit pas être différente de la vérité. Elle est ici et là, distribuée dans le jour, et les mots ne parviennent pas à la saisir, ou s'en écartent, ou l'altèrent.
page(s) 76Négligence des richesses intérieures
[L]e temps et les efforts que les gens consacrent à accumuler et à préserver leurs richesses matérielles ou « extérieures » leur laiss[ent] très peu l'occasion de cultiver leurs « richesses intérieures » – des qualités comme la compassion, la patience, la générosité et l'équanimité. Ce déséquilibre rend les gens particulièrement vulnérables quand ils sont confrontés à des problèmes sérieux comme le divorce, les maladies graves et les douleurs chroniques, d'ordre physique ou émotionnel.
page(s) 21Deux aspects de la vulnérabilité
La vulnérabilité n'est pas aussi effrayante que nous le croyons. Au contraire. Mais il faut distinguer deux aspects de la vulnérabilité. La première nous laisse sans la moindre ressource. Nous sommes à la merci de tout. Terrassé à la moindre bourrasque. Sans aucun appui.
La seconde, en revanche, est pure richesse. Elle témoigne de notre capacité à ne pas avoir besoin d'avoir toujours raison, à ne pas avoir besoin d'être toujours en sécurité et donc à pouvoir accueillir le vent comme la pluie. […]
Cette vulnérabilité nous garde du fanatisme qui partout s'impose. Elle pense sa propre limite. Elle accepte de ne pas tout pouvoir. De ne pas tout savoir. Elle a le visage de la pudeur qui nous accorde à l'essentiel – sans chercher à le cerner, à le capturer ou à le posséder.
Elle est ainsi le socle de toute éthique possible.
Il faut lui donner droit. Voulons-nous devenir les fonctionnaires de la dictature de l'utilité, insensibles, seulement soucieux des règlements et des usages, obsédés par le souci de n'être jamais pris en défaut, de ne prendre aucun risque, de garder toujours une contenance, ou sommes-nous prêts à accepter la vulnérabilité de notre être et la tendresse du monde ?
page(s) 10-11Assumer que le monde est poignant
Nous pouvons nous lancer à corps perdu dans la bataille. Sans relâche. Nous faisons alors de la sérénité un à-côté de la vie, un loisir. Jouissons de l'instant présent et accumulons les profits. Soyons zen pour être plus efficace. De toute façon, il n'y a rien d'autre à faire.
Ou alors, nous pourrions ouvrir les portes et les fenêtres de la maison et de notre esprit. Être prêt à assumer que le monde est tendre, c'est-à-dire fragile, et donc nécessairement poignant.
page(s) 9Douceur et valeurs du cœur
En revenant à la manière dont la Grèce ancienne a pensé et nommé la douceur, c'est tout le rapport qu'entretient une communauté humaine au droit, à la justice, à la guerre, mais aussi aux valeurs dites du « cœur » qui apparaît. Et avec elle ce qu'on appelle l'humanisme. Pour les Grecs, la douceur est le contraire de l'hybris, de cette démesure qui s'empare de l'homme en proie à ce que nous appelons aujourd'hui ses « pulsions », mais elle n'est pas non plus la rigueur morale, non la douceur appartient d'une certaine manière aux dieux plus qu'aux hommes. Bien qu'elle soit tangible tout autant qu'intelligible, elle inclut le bien sans être le bien, la relation sans être une relation, le spirituel sans être un attribut divin et la matière dans sa pure réceptivité.
Douceur se dit en grec de deux manières : proates, qui signifie douceur, amabilité. Dans les Épîtres, saint Paul évoque ainsi « l'esprit de douceur » nécessaire à l'établissement d'une communauté. La douceur concerne d'emblée la question de l'« être ensemble », le premier cercle du politique et de l'éthique.
Mais la douceur se dit aussi : praüs, terme plus sensible, qui signifie débonnaire, et que la vulgate traduira en latin par : mitès (en anglais meek – pauvre et doux). Dans les Béatitudes, on trouve : « Heureux les doux car ils régneront sur le monde. » Mitès signifie pour un fruit mûr et tendre, pour une terre : la fertilité, pour un être, la douceur et la bonté.
En latin, deux autres mots disent la douceur : suavitas, plus intellectuel ou spirituel, et dolcis, qui a donné aussi le mélodieux (pour un son), l'attractivité, la beauté (pour une chose) et le sucré (pour un aliment).
Avec l'avènement de la chrétienté, le roi/messie attendu dans toute sa splendeur est remplacé par un enfant né dans la pauvreté et l'exil. Placer la royauté spirituelle au lieu de la plus grande vulnérabilité fut un coup de force sans précédent dans l'Histoire. Toutes les valeurs de mérite, de puissance, de valeur guerrière s'en trouvèrent bouleversées.
page(s) 44-46Douceur & compassion
L’appréhension de la vulnérabilité d'autrui ne peut se passer pour un sujet de la reconnaissance de sa propre fragilité. Cette acceptation est une force, elle fait de la douceur un degré plus haut, dans la compassion, que le simple soin. Compatir, « souffrir avec », c'est éprouver avec l'autre ce qu'il éprouve, sans y céder. C'est pouvoir se laisser entamer par autrui, son chagrin ou sa douleur, et contenir cette douleur en la portant ailleurs.
page(s) 26Faire entendre le manque de la douceur
Comment faire entendre le manque de la douceur dans l'existence, la mémoire, la fragilité des êtres ? Ce manque n'est presque pas audible, je ne sais même pas s'il est vraiment perçu. Il apparaît en creux dans la norme de plus en plus présente que fait peser une société qui se veut démocratique et libérale mais dont la logique consumériste fait s'indifférencier les êtres dans une économie qui ne souffre aucun « état d’âme ».
page(s) 16-17La douceur est inquiétante
La douceur est inquiétante. Nous la désirons, mais elle est irrecevable. Quand ils ne sont pas méprisés, les doux sont persécutés ou sanctifiés. Nous les abandonnons parce que la douceur comme puissance nous oppose en réalité à notre propre faiblesse.
page(s) 16La noblesse farouche d'une bête sauvage
Une personne, une pierre, une pensée, un geste, une couleur… peuvent faire preuve de douceur. Comment en approcher la singularité ? Son approche est risquée pour qui désire la cerner. À bien des égards elle a la noblesse farouche d'une bête sauvage. Il semble qu'il en aille ainsi de quelques autres espèces rares. L'innocence, le courage, l'émerveillement, la vulnérabilité, en marge des concepts arraisonnés par la grande histoire de la pensée, sont eux aussi regardés d'un œil inquiet par la philosophie.
page(s) 11-12Le point de vulnérabilité toujours présent
[B]odhicitta : ce nom sanscrit signifie « cœur noble ou éveillé ». On dit qu'il est présent chez tous les êtres. De même que le beurre est présent dans le lait et que l'huile est présente dans la graine de sésame, ce point de vulnérabilité est présent en vous et moi. […]
Quelle que soit la part de méchanceté, d'égoïsme ou d'avidité dans notre vie, nous ne pouvons pas perdre le cœur authentique de la bodhicitta. Il est présent dans tout ce qui vit, jamais abîmé, toujours entier.
page(s) 125-126 (14 - L’amour qui ne mourra pas)L'ouverture, à refaire sans cesse
Il n'est pas possible de s'installer une fois pour toutes dans l'ouverture de l'amour. Aussi cessons de nous sentir au-dessous de tout lorsque nous sommes fermés. Nous avons continuellement à faire et à refaire ce mouvement. À nous ouvrir. À enlever les écailles de notre cœur. À nous dénuder. À accepter d'être vulnérables. Sensibles.
page(s) 15Une existence qui accepte sa fragilité inhérente
[N]ous sommes les hommes du déracinement pour lesquels aucun des repères d'une société traditionnelle ne subsiste plus.
D'une manière certes paradoxale, Chögyam Trungpa fait ainsi jaillir la grandeur de notre temps : précisément par ce qu'il ne s'illusionne pas sur la détresse qui l'habite, il peut nous aider à faire l'épreuve d'une existence qui accepte sa fragilité inhérente sans tenter de s'en détourner. [Fabrice Midal]
page(s) 24La présence : vulnérabilité, tendresse
En fait, toute personne qui se tient au bord de l'inconnu, totalement dans l'instant, sans point de référence, fait l’expérience de perdre pied. C'est alors que notre compréhension s'approfondit. Nous découvrons que l'instant présent est un point particulièrement vulnérable et que cela peut être à la fois profondément troublant et très tendre.
page(s) 18-19 (1 - L’intimité avec la peur)Notre cœur est mis à nu
Le point essentiel [est] que la compassion est une modalité d'être où notre cœur est mis à nu, se sent vulnérable et est inséparable du monde.
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