L’univers est un rêve

Zulma, 2005
11 cm x 18 cm, 100 pages


Couverture de L’univers est un rêve

Extraits de l'ouvrage

• C’est un rêve de parler du rêve

En 1827, âgé de soixante-neuf ans, Ryokan vécut une véritable histoire amoureuse avec une belle nonne bouddhiste de vingt-neuf ans du nom de Teishin.

Elle était elle aussi poète, et au lieu de parler, ils échangeaient parfois des petits mots qui nous sont parvenus.

Lors de leur première rencontre, Teishin écrivit : « Je me demande si la joie de vous voir est un rêve dont je ne me suis pas encore réveillée. »

Ryokan lui répondit immédiatement : « C’est un rêve de parler du rêve, en dormant dans ce monde de rêve… »

Ainsi, pour Ryokan, tout était songe et parler du bonheur de leur rencontre comme un rêve était aussi un rêve dans le grand rêve du monde.

page(s) 40
• Le sens de la vie est peut-être le silence

Quel est le sens de la vie si le monde est un songe ?

En d'autres termes, les multiples péripéties de nos rêves ont-elles un sens pour les individus qui les habitent ?

Imaginons le personnage d'un de nos rêves qui s'interrogerait gravement, avec profondeur, sérieux, sur la destinée humaine et se poserait les questions essentielles que se posent les hommes depuis quelques milliers d'années. Une sorte d'Hamlet plein de dignité qui se demanderait d'où je viens, où je vais, quel est le sens de ma vie.

Pour un être éveillé, la situation semblerait plutôt comique.

S'il avait la possibilité de s'introduire dans le rêve, que lui dirait-il ?

Il pourrait peut-être lui répondre comme les vieux brahmanes : « Ton problème est mal posé. Tu es juste la brève imagination d'un rêveur. Ton existence va s'effacer avec la disparition du rêve et seul demeurera le rêveur que tu ignores. »

Ou alors, selon un vieil usage oriental, peut-être lui répondra-t-il par le silence. Car c'est par le silence que l'on répond à une question mal posée.

Ainsi, si l'univers est un rêve, le sens de la vie est peut-être le silence…

page(s) 43-44
• Vacuité, source de plénitude

Si l'univers que nous percevons est un rêve, alors quelle est la réalité ? Qu'y a-t-il derrière le voile de la Maya, l'illusion ? Est-ce une créature monstrueuse à la Lovecraft ? Un être à quatre dimensions aux propriétés étranges ?

Pour les bouddhistes de l'École Sautrāntika – apparue aux alentours du IIème siècle avant J-C. et qui s'opposa à la scolastique bouddhiste – la réalité est profondément discontinue. Toute perception, tout état interne ou externe, sont composés d'instants (ksana) qui se suivent les uns les autres, jaillissent et disparaissent, entrecoupés de minuscules moments de vide.

Si nous ne voyons pas cette réalité, c'est que nous manquons d'attention, de cette « vision profonde » que donne la pratique spirituelle.

Pris par la dynamique de l'illusion, ces instants forment une image ayant une apparence de continuité. Cette image illusoire qui se superpose à la réalité discontinue des instants, se nomme samtana (santanapāli). Samtana est le rêve qui nous illusionne.

Robert Kientz qui pratique la méditation vipassanā auprès d'un moine bouddhiste en Birmanie, eut la révélation de cette discontinuité universelle.

Après plusieurs semaines de pratique, son corps, son esprit, le monde entier, lui apparurent dans leur réalité. Cette réalité est une succession d'états de conscience distincts qui apparaissent, disparaissent, extrêmement rapidement, beaucoup trop rapidement pour être saisis par la conscience ordinaire. Rien n'était fixe, même son corps prenait une apparence puis une autre.

Il n'y avait aucun « moi » stable, aucune essence permanente, aucune substance fixe. Les phénomènes surgissaient du vide et y retournaient sans but, sans raison. Il n'y avait pas de penseur, seulement des pensées qui se succédaient, pas de « moi » percevant, seulement des perceptions.

Toute forme se révélait éphémère, fluctuante, instable, et c'était le sens le plus profond de l'impermanence dont parle le Bouddha qui n'est pas une simple théorie philosophique, mais le fruit d'une expérience précise. […]

Ultimement l'univers est donc vacuité et ce vide qui est le réel est source de plénitude.

page(s) 45-47
• Toute perception est création

Pour Asanga, les objets que nous percevons n'ont aucune existence en dehors de la connaissance que nous en avons. Les perceptions sont en fait un processus de création du monde sensible. Les objectivations de notre esprit nous apparaissent comme un univers indépendant.

Les phénomènes ne sont que de pures imaginations.

Bref, tout est un rêve issu de l'ālayavijñāna, une vaste conscience qui contient les germes de tous les songes qui habitent l'humanité.

page(s) 54
• Le monde parle comme un rêve

[T]oute personne qui entretient un lien magique avec sa propre vie, sait que de tels faits [de synchronicité] existent en profusion. Si nous sommes suffisamment attentifs, c'est réellement une « forêt de symboles » qui s'ouvre. Tout parle. Tout est signe. L'univers reflète nos états intérieurs, et la destinée peut s'interpréter comme un rêve s'interprète.

Cette étrange osmose entre le « dedans » et le « dehors » suggère que le monde extérieur se déroule en fait à l'intérieur de notre conscience… comme un rêve. Comme si la substance du rêve et la substance du monde étaient deux cristallisations différentes de la même et unique substance.

Si le monde parle comme un rêve, c'est qu'il est un rêve.

page(s) 58
• La croyance en la réalité du monde source de chaos

Pour Sigismond [héros de La vie est un songe], que ce soit le cachot ou la cour, ce monde lui apparaît comme une fantasmagorie, un mirage, où tout étant également illusoire, rien n'a réellement d'importance.

Cette conception de l'irréalité du monde le conduira à l'humilité et sera la source de sa sagesse future. Le roi son père finira par reconnaître son profond changement. Sigismond régnera pour le plus grand bien du royaume.

Comme les bouddhistes, Calderón considère donc la croyance en la réalité du monde comme une source de violences, de conflits, de désordres. Parce que l'homme est préoccupé, inquiet. Les problèmes se dressent dans toute leur immensité.

En revanche, en changeant de perspective, en considérant le monde comme un songe, celui-ci s'allège, se libère de la pesanteur. L'être relativise les obstacles qui acquièrent de ce fait la consistance fluide, mouvante, du rêve.

Sans doute faudrait-il faire subir le « traitement Sigismond » à beaucoup de nos dirigeants.

page(s) 66-67
• Le réel, une simple croyance collective

[N]ous ne vivons pas dans un univers objectif, le même pour tous, que nous découvrons progressivement, mais nous créons, nous inventons le monde. Le réel est une simple croyance collective.

L'objectivité apparaît de plus en plus comme un mythe. Un mythe totalitaire, dangereux.

En vérité, chaque culture développe son propre rêve… et aucun rêve n'est supérieur aux autres.

page(s) 7-8
• Le désir ou la crainte amène l’identification

Si nous observons bien le déroulement d'un rêve, nous nous apercevons que nous sommes constamment impliqué émotionnellement. C'est cette implication qui fait que nous sommes emporté dans les péripéties du rêve.

Le fait que nous sommes dans le désir ou la crainte, amène l’identification.

Par analogie, nous pourrons comprendre que le même mécanisme est peut-être à l'origine de notre croyance en la réalité de l'état de veille…

page(s) 86

Quatrième de couverture

« Un jour Tcheou rêva qu'il était un papillon. Mais était-il Tcheou rêvant qu'il était un papillon ou bien un papillon rêvant qu'il était Tcheou… » Et si la réalité du monde sensible qui nous entoure avait la fluidité, l'« incertitude » propre aux rêves ? Si l’univers était un rêve ?

En une quarantaine de textes courts et incisifs, Érik Sablé revisite cette éventualité. Rejoignant aussi bien des Orientaux comme Tchouang-Tseu, Ramakrishna ou Bouddha que des des Occidentaux comme Calderón, Berkeley, Alexandra David-Neel ou même Jean Piaget…

Voici une belle défense et illustration du rêve dans un monde qui ne nous fait plus beaucoup rêver.