La montagne dans l’océan

Albin Michel, 2000
14 cm x 22 cm, 190 pages
Albin Michel, Spiritualités vivantes, 2007


Couverture de La montagne dans l’océan
Couverture poche de La montagne dans l’océan

Extraits de l'ouvrage

• Qu'est-ce que l'homme ?

Désormais, il s'agit peut-être moins d'afficher ses étiquettes, bouddhiste ou chrétienne, que d'entrer davantage dans la question : qu'est-ce que l'homme ? Qu'en est-il de cette profondeur nommée de divers noms mais dont il importe avant tout de faire l'expérience et d'en revenir transformé, délivré des songes et de l'illusion, davantage présent à « ce qui est » ?

page(s) 13
• Quatre questions

Au terme d'une session zen, un ami bouddhiste venait de m'expliquer que le non-attachement (anātman), la vacuité (śūnyatā) et l'attention à l'instant « sans but ni profit » étaient pour lui l'essentiel de ce que lui avaient enseigné la posture et la méditation zen. Il me posa quatre questions :

  • Un chrétien peut-il être sans attachement, sans désir, sans dépendance, à l'égard même de Dieu et du Christ ?

  • Un chrétien peut-il accepter la non-réalité du sujet ?

  • Un chrétien peut-il faire sienne l'expérience de la réalité ultime comme vacuité ?

  • Un chrétien peut-il vivre dans la discontinuité, instant après instant, sans mémoire, sans projet ?

En guise de réponse, j'invitai mon ami à venir pratiquer une semaine de méditation hésychaste dans un monastère orthodoxe, après lui avoir expliqué que la liberté intérieure, le don de soi-même (ou le renoncement à soi-même), le sens du mystère, « ne pas se préoccuper du lendemain » et « ne pas se retourner en arrière » étaient pour moi des éléments importants enseignés par la pratique de la méditation hésychaste. Je lui posai quatre questions :

  • Un bouddhiste peut-il être libre de toutes attaches, sans désir, même à l'égard du dharma et du bouddha ?

  • Un bouddhiste peut-il accepter la réalité relative du sujet humain (et renoncer à ce qu'il croit être un soi ou un non-soi) ?

  • Un bouddhiste peut-il faire sienne l'expérience de la réalité ultime comme plénitude (pléroma) ou comme Mystère (ténèbre supra-lumineuse, dirait Denys le Théologien) ?

  • Un bouddhiste peut-il vivre l'instant dans l'histoire, sans nier pour autant son ouverture à l'Éternel (qui est un non-temps) ?
page(s) 14-15
• Importance de la transmission

Dans le christianisme comme dans le bouddhisme ou le soufisme, le but de la méditation est de parvenir à la pureté du cœur et de l'esprit qui font de tout homme le réceptacle ou le miroir sans tache de la pure lumière.

L'accueil de cette lumière, rayonnement et présence de l'Être incréé, introduit l'homme dans un état de paix ne dépendant pas des circonstances (santé, humeurs, environnement, etc.), c'est-à-dire un état de paix non psychique, mais spirituel, ontologique. C'est l'expérience de cette Réalité que les chrétiens appellent hésychia, qui donnera naissance à l'hésychasme. […]

Cette expérience est le fruit d'une transmission orale, de cœur à cœur, d'être à être, d'où l'importance dans le christianisme, comme dans le bouddhisme et le soufisme, de l'appartenance à une authentique lignée qui nous transmet sans corruption la juste praxis ou pratique, et l'authentique gnosis ou contemplation.

page(s) 21
• Dans le souffle et la vigilance

La traduction littérale du grec en pneumati kai aletheia devrait préciser davantage : « c'est dans le souffle (en pneumati, de pneuma, le souffle, rouah en hébreu) et la vigilance (a-letheia, sorti de la lethè – du sommeil –, léthargie) qu'ils doivent prier ».

On pourrait encore traduire : « […] c'est avec un souffle vigilant, conscient, ou encore "éveillé", qu'il faut prier ».

Aletheia, que l'on traduit par vérité, peut plus exactement se traduire par « éveil ». Jésus n'a pas dit « j'ai » la vérité, mais « je suis » la vérité ; littéralement : je suis éveillé (ego eimi aletheia). Cela vous rappelle sans doute l'étymologie du mot bouddha (de bodhi : celui dont la bodhi, l'intelligence, a été éveillée – le Bouddha n'a jamais dit « j'ai l'éveil », mais « je suis éveillé »).

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page(s) 23
• Ce qui est, est

Nous n'inventons rien, nous ne recherchons pas des états psychiques extraordinaires. « Ce qui est, est », là est notre bonheur, agréable ou douloureux, peu importe.

page(s) 28
• Le piège

Le piège […], qu'on parle de Réalité ultime, de satori, de nirvāna, de béatitude céleste, c'est que même si nous avons des notions sur la chose et quelques petites expériences, nous n'avons pas réalisé « ce qui est », nous ne sommes pas réels et notre vie vaut ce que valent nos plus difficiles ou nos plus beaux songes.

page(s) 28
• Pratiques qui donnent du sens

[Q]uelles sont, dans le monde contemporain, les pratiques qui pourraient être les plus essentielles, les plus capables de lui donner du sens ? Je réponds sans hésiter : l'exercice conjoint de la méditation et de la compassion, la méditation sans la compassion pouvant devenir une forme d'auto-hypnose, de fuite du monde ou de « narcissisme subtil », et la compassion sans la méditation, un activisme plein de bonne volonté, mais sans discernement et sans profondeur.

page(s) 7-8

Quatrième de couverture

En Extrême-Orient, la montagne symbolise traditionnellement la méditation, et l'océan, la compassion. Rappelant les principes de méditation - comment se recueillir, prier, trouver la paix en soi, se mettre en contact avec un silence fondateur… - et ceux de la compassion - comment vraiment aider, aimer autrui, être plus fraternel, partager à bon escient, protéger, donner… -, Jean-Yves Leloup construit ici une remarquable réflexion sur ces axes essentiels au bouddhisme comme au christianisme, en cernant leurs divergences, leurs similitudes et leurs complémentarités.

Cet ouvrage dresse le tableau de ce que pourrait être une spiritualité œcuménique inscrite dans une éthique moderne. À la lumière des enseignements du christianisme et du bouddhisme, Jean-Yves Leloup nous propose un véritable art de l'approfondissement intérieur pour une action juste, aimante et sage.