Zen et tantra

Seuil, 2007 , traduit en 2010
13 cm x 20 cm, 180 pages


Couverture de Zen et tantra

Extraits de l'ouvrage

• Paradoxe, ouverture

Dans l'ignorance de prajñā, vous devez décider si elle est grande ou petite. Mais vous n'avez pas de choix puisque vous n'avez aucune prise sur sa dimension ; c'est la panique. À cet instant, en pleine panique, un éclair d'ouverture très rafraîchissant se fait jour dans votre état de conscience. Vous avez saisi quelque chose – ou vous l'avez manqué.

La tradition du zen est en grande partie fondée sur toutes sortes de dichotomies et de paradoxes, mais ceux-ci relèvent plutôt de la sensation que de la pure logique.

page(s) 41
• Égarement, sagesse

La nature de prajñā se signale d'abord par l'égarement. Mettons par exemple que nous allions dans une école étudier une discipline avec des gens sages et savants. La première conscience que nous aurions serait celle de notre ignorance, nous nous sentirions extraordinairement stupides, maladroits, ineptes. En même temps, nous commencerions aussi à percevoir prajñā – sinon nous n'aurions aucun repère pour nous sentir bêtes.

page(s) 42-43
• Traversée de la confusion

Dans la discipline zen, vous pouvez ne dormir que quatre heures par nuit et passer le reste du temps dans l'assise, le travail ou quelque autre activité. L'entrée dans une discipline aussi précise, aussi réelle, dans le sens fort du terme, vous plonge dans un ennui et une incertitude énormes. À un certain stade, vous vous sentez tellement fatigué et somnolent que la frontière entre le jour et la nuit commence à se dissoudre. Vous ne savez plus si vous êtes éveillé ou si tout ceci n'est qu'un rêve. Prajñā est en train de s'immiscer partout. C'est lorsque les frontières commencent à s'estomper que prajñā s'empare de vous.

La discipline zen est fantastique. Elle n'est évidemment pas le fruit du rêve ou de l'invention d'un seul, elle s'est développée au fil des générations. La traversée de l'extrême de l'ennui, de la somnolence, de la confusion et d'activités contraignantes fait surgir la lumière et la clarté inhérentes à votre être. Ce n'est pas particulièrement excitant ni esthétique, loin de là : c'est une vraie galère ; votre maladresse et votre paresse ressortent, et tout ce que vous pouvez imaginer de pire. On vous fait une énorme blague, et en même temps il y a toujours de la place pour que prajñā se manifeste. Vous êtes à mi-chemin de prajñā et de la confusion, constamment.

La seule chose qui vous maintienne dans un tel dispositif est votre idéal romantique de la pratique et de la discipline – votre approche héroïque du chemin.

page(s) 44-45
• Connaître qui vous êtes

Dans le zen, prajñā n'est qu'un intervalle ; on ne peut la définir autrement. Prajñā signifie simplement « connaissance transcendantale ». Pra est « transcendant », ou « suprême », jñā signifie « connaissance » ; aussi prajñā est-elle la sagesse de la connaissance. C'est connaître qui vous êtes et ce que vous êtes.

page(s) 46
• Comment le bodhisattva s’y prend-il ?

Étudiant : Comment le bodhisattva s’y prend-il pour sauver les êtres sensibles ?

Chögyam Trungpa Rinpoché : En s'étant entraîné lui-même. Lorsque vous apprenez à vous prendre en main, vous êtes un exemple pour les autres.

page(s) 47
• Vous ne pouvez l’attraper en vous arrêtant

Étudiant : À propos de prajñā, est-ce que vous avez voulu dire que c'est lorsque tout devient confus et brumeux que notre vision se précise, plutôt que lorsqu'on s'arrête pour considérer quelque chose ? Est-ce que je vous comprends correctement ?

Chögyam Trungpa Rinpoché : Oui. Vous ne pouvez pas vous arrêter, parce que lorsque vous commencez à le faire, vous perdez la vision.

Étudiant : Est-ce qu'on s'arrête pour tenter d'avoir un repère ?

Chögyam Trungpa Rinpoché : Oui. Mais en faisant cela vous le détruisez. Vous ne pouvez l’attraper en vous arrêtant.

Étudiant : Alors il n'y a rien de mieux à faire que la discipline, en un sens ?

Chögyam Trungpa Rinpoché : Oui. La seule chose à faire est de coller à la routine, à la pratique.

page(s) 52
• Les pensées ennuagent la clarté

L'upāya tantrique, les moyens habiles du Vajrayāna, possède la caractéristique d'approcher les choses très directement, très précisément et très complètement, sans les conserver dans notre banque de données. Le stockage a toujours constitué un problème. Lorsque nous enregistrons des observations dans notre banque de données, nous essayons ensuite de les réactiver. Nous les exhumons de notre coffre au trésor, là où nous entreposons notre bric-à-brac ; et nous les trouvons valables, utiles et porteuses d'informations. Mais le recours à ces éléments et à ces fonctions de l'esprit crée ce que l'on appelle des « pensées créatrices d'habitudes » – et de telles pensées ont tendance à ennuager la clarté.

Par contraste, les méthodes ou les moyens tantriques ne développent aucune habitude. Dans le Tantra, la patience et la diligence signifient patience et diligence sur-le-champ, et non pas entraîner sa banque de données et ses pensées selon un schéma, comme si on dressait un animal ou si on éduquait un jeune enfant à la propreté. Il existe une différence majeure entre les enseignements du Mahāyāna et du Hīnayāna d'une part, et le Tantra d'autre part : le principe de l'expérience du Mahāmudrā - qui consiste à percevoir clairement et précisément le fonctionnement et les énergies de l'univers tel qu'il est – n'a rien à voir avec la mémorisation ni la réactivation de quoi que ce soit.

page(s) 61

Quatrième de couverture

Chögyam Trungpa fut fasciné par le Zen. Il en adopta des pratiques dans son enseignement et se lia d’amitié à certains des plus grands maîtres zen contemporains vivant, comme lui, aux États-Unis, tels Shunryu Suzuki et Eido Shimano. Dans les deux séminaires réunis ici, il déploie une mise en perspective audacieuse et inspirée du Zen à partir du Tantra. Pas de comparaison érudite, mais un dialogue subtil entre des pratiques et des modèles humains à travers sa propre trajectoire existentielle et créatrice.

La parole du célèbre maître tibétain, provocatrice et décapante, produit toujours un choc : son « rap socratique », selon l’expression d’Anne Waldman, est une performance inimitable et un défi stimulant pour le lecteur, qu’il invite à la souveraineté dans la dépossession.