Christian Bobin

Portrait de Christian Bobin

Mais que vient donc faire Christian Bobin (né en 1951) au beau milieu de ces maîtres de méditation ? Pour le méditant que je suis, sa façon de ne pas discriminer entre le morne et le sublime, de rester quoi qu'il en soit ouvert et de se voir par là-même soudain traversé de fulgurances, c'est le plus simple et bel enseignement qui soit.

Quand le gris de la vie me cerne et menace de m'engloutir, j'attrape un Bobin et me cale entre deux oreillers. Empruntant un instant le regard qu'il pose sur les scènes d'une vie pas moins grise, aussitôt rafraîchis mes yeux retrouvent la lumière et je reprends léger mon bonhomme de chemin.

Contribution dans

Quelques ouvrages

Quelques extraits

• Les racines du ciel

L'honnêteté et la patience sont les racines du ciel.

page(s) 104
• Le temps qui s'entasse

Le temps passe désormais sans vous, c'est-à-dire qu'il ne passe plus. Il s'entasse.

page(s) 87-88
• Des carreaux cassés par où l'air entre

Toutes notre vie n'est faite que d'échecs et ces échecs sont des carreaux cassés par où l'air entre.

page(s) 26
• Le pur étonnement

La vulgarité, on dit aux enfants qu'elle est dans les mots. La vraie vulgarité de ce monde est dans le temps, dans l'incapacité de dépenser le temps autrement que comme des sous, vite, vite, aller d'une catastrophe aux chiffres du tiercé, vite glisser sur des tonnes d'argent et d'inintelligence profonde de la vie, de ce qu'est la vie dans sa magie souffrante, vite aller à l'heure suivante et surtout que rien n'arrive, aucune parole juste, aucun étonnement pur.

page(s) 23
• Aimer

Ce que j'appelle aimer, c'est remercier pour une force donnée.

page(s) 48
• Notre trésor

Devant ce qui te blessait le plus, tu commençais par éclater de rire. Tu n'es plus là mais j'ai retenu ta leçon, aujourd'hui je l'écris ainsi : « Dans ce qui prétend nous ruiner, grandit notre trésor. »

page(s) 18
• Ce roi, cet homme-joie

Quelques secondes suffisent, n'est-ce pas, pour vivre éternellement. « Nous sentons et nous éprouvons que nous sommes éternels » : cette pensée de Spinoza a la douceur d'un enfant endormi à l'arrière d'une voiture. Nous avons, vous et moi, un Roi-Soleil assis sur son trône rouge dans la grande salle de notre cœur. Et parfois, quelques secondes, ce roi, cet homme-joie, descend de son trône et fait quelques pas dans la rue. C'est aussi simple que ça.

page(s) 16-17
• Mièvre ?

On m'accuse d'être mièvre ? Que dirait-on à maître Dōgen, ce sage du treizième siècle japonais, lorsqu'il écrit : « L'univers entier est fait des sentiments et des émotions des fleurs » ?

page(s) 85
• Une armure sans défaut

L'armure sans défaut de la joie.

page(s) 69
• La promenade parfaite

J'ai accroché mon cerveau au portemanteau puis je suis sorti et j'ai fait la promenade parfaite.

page(s) 28
• À l'intérieur d'une larme

J'ai grandi à l'intérieur d'une larme. À travers sa vitre scintillante, j'ai vu le monde éclatant de lumière.

page(s) 19
• Plus vite à l’essentiel

Lire est une passion lente. S'émerveiller d'un rire gravé dans l'air va plus vite à l’essentiel.

page(s) 22
• Rassemblement

Il y a un instant où notre vie, sous la pression d'une joie ou d'une douleur, rassemble ce qui, en elle, était auparavant dispersé – comme une ville dont les habitants abandonneraient leurs occupations pour se réunir tous sur la grand-place. Cet instant peut arriver à n'importe quel âge, à deux ans comme à quarante. Ce qui est créé là ne cessera plus ensuite de répandre ses effets jusqu'à notre dernier souffle.

page(s) 41
• Quelle que soit la personne que tu regardes

Quelle que soit la personne que tu regardes, sache qu'elle a déjà plusieurs fois traversé l'enfer.

page(s) 75
• Donner sa place à l’incapacité

C'est un principe. C'est un des rares principes que vous vous connaissiez, et peut-être est-ce le seul : ne jamais contrarier le cours des choses. Ne surtout pas résister au désastre. Quand l'incapacité est là – l'incapacité d'entendre, d'écrire ou d'aimer, l'empêchement de toute respiration – vous lui donnez la place, toute sa place, son temps, tout le temps.

page(s) 48
• La légèreté

[L]a légèreté, il n'y a pas de magasin pour ça. Elle vient ou ne vient pas, c'est selon.

Et quand elle ne vient pas, elle est quand même là. Vous comprenez ? La légèreté, elle est partout, dans l'insolente fraîcheur des pluies d'été, sur les ailes d'un livre abandonné au bas d'un lit, dans la rumeur des cloches de monastère à l'heure des offices, une rumeur enfantine et vibrante, dans un prénom mille et mille fois murmuré comme on mâche un brin d'herbe, dans la fée d'une lumière au détour d'un virage sur les routes serpentines du Jura, dans la pauvreté tâtonnante des sonates de Schubert, dans la cérémonie de fermer lentement les volets sur le soir, dans la fine touche de bleu, bleu pâle, bleu-violet, sur les paupières d'un nouveau-né, dans la douceur d'ouvrir une lettre attendue, en différant une seconde l'instant de la lire, dans le bruit des châtaignes explosant sur le sol et dans la maladresse d'un chien glissant sur un étang gelé, j'arrête là, la légèreté, vous voyez bien, elle est partout donnée.

Et si en même temps elle est rare, d'une rareté incroyable, c'est qu'il nous manque l'art de recevoir, simplement recevoir ce qui nous est partout donné.

page(s) 50-51
• D'erreur en erreur

On vole d'erreur en erreur jusqu'à la vérité finale.

page(s) 44
• La lumière donnée à tous

Le manque est la lumière donnée à tous.

page(s) 13
• Aimer ce qui est simple

Aimer c'est aimer ce qui est simple, et donc mystérieux. Ce qui est compliqué n'est jamais mystérieux. Ce qui est compliqué est sans importance.

page(s) 74
• Appeler chaque visage, chaque vague et chaque ciel

Tout le mal dans cette vie provient d'un défaut d'attention à ce qu'elle a de faible et d'éphémère. Le mal n'a pas d'autre cause que notre négligence et le bien ne peut naître que d'une résistance à cet ensommeillement, que d'une insomnie de l'esprit portant notre attention à son point d'incandescence – même si une telle attention pure nous est, dans le fond, impossible : seul un Dieu pourrait être présent sans défaillance à la vie nue, sans que sa présence jamais ne défaille dans un sommeil, une pensée ou un désir.

Seul un Dieu pourrait être assez insoucieux de soi pour se soucier, sans relâche, de la vie merveilleusement perdue à chaque seconde qui va. Dieu est le nom de cette place jamais assombrie par une négligence, le nom d'un phare au bord des côtes.

Et peut-être cette place est-elle vide, et peut-être ce phare est-il depuis toujours abandonné, mais cela n'a aucune espèce d'importance : il nous faut faire comme si cette place était tenue, comme si ce phare était habité. Il nous faut venir en aide à Dieu sur son rocher et appeler un par un chaque visage, chaque vague et chaque ciel – sans en oublier un seul.

page(s) 130-131