Christian Bobin

Portrait de Christian Bobin

Mais que vient donc faire Christian Bobin (né en 1951) au beau milieu de ces maîtres de méditation ? Pour le méditant que je suis, sa façon de ne pas discriminer entre le morne et le sublime, de rester quoi qu'il en soit ouvert et de se voir par là-même soudain traversé de fulgurances, c'est le plus simple et bel enseignement qui soit.

Quand le gris de la vie me cerne et menace de m'engloutir, j'attrape un Bobin et me cale entre deux oreillers. Empruntant un instant le regard qu'il pose sur les scènes d'une vie pas moins grise, aussitôt rafraîchis mes yeux retrouvent la lumière et je reprends léger mon bonhomme de chemin.

Contribution dans

Quelques ouvrages

Quelques extraits

• Ne pas faire vivre le mal

La sainteté c'est juste de ne pas faire vivre le mal qu'on a en soi.

page(s) 45
• Des lacets d'enfant mouillés

Les plus graves problèmes ne sont que des lacets d'enfant mouillés : plus on tire dessus, plus on les rend impossibles à dénouer.

page(s) 39
• Un enfant de chœur de la lumière terrestre

Laver une assiette ou éplucher un légume c'est devenir un enfant de chœur de la lumière terrestre.

page(s) 40
• Commencer à penser et à aimer

Maintenant que tout est détruit nous pouvons enfin commencer à penser et à aimer.

page(s) 146
• La lente passion des nuages

Aux modernes qui ne savent que compter, j'oppose la lente passion des nuages[.]

page(s) 12
• Ce roi, cet homme-joie

Quelques secondes suffisent, n'est-ce pas, pour vivre éternellement. « Nous sentons et nous éprouvons que nous sommes éternels » : cette pensée de Spinoza a la douceur d'un enfant endormi à l'arrière d'une voiture. Nous avons, vous et moi, un Roi-Soleil assis sur son trône rouge dans la grande salle de notre cœur. Et parfois, quelques secondes, ce roi, cet homme-joie, descend de son trône et fait quelques pas dans la rue. C'est aussi simple que ça.

page(s) 16-17
• La densité de l'émerveillement de vivre

J'emmène parfois une trousse de commis voyageur aux enfers, j'y passe une nuit ou une minute puis je reviens, mais je connais bien ce lieu qui donne sa densité à l'émerveillement de vivre.

page(s) 178
• Sauter de seconde en seconde

[P]arfois, chaque seconde qui passe peut vous amener la mort ou la joie pure d'y avoir encore échappé – jusqu'à la seconde suivante où tout recommence. Je décide d'utiliser chaque seconde comme ça. Utiliser n'est pas un mot heureux : je décide d'aller d'une seconde à l'autre comme on saute d'un rocher au suivant, pour traverser une rivière profonde. Éclaboussée, rafraîchie. Jamais noyée.

page(s) 35
• Écouter

Écouter c'est quand on aime.

page(s) 45
• Tout m’est depuis toujours donné

C'est clair : tout ce que j'ai, on me l'a donné. Tout ce que je peux avoir de vivant, de simple et de calme, je l'ai reçu. Je n'ai pas la folie de croire que cela m'était dû, ou que j'en étais digne. Non, non. Tout m’est depuis toujours donné, à chaque instant, par chacun de ceux que je rencontre. Tout ? Oui. Depuis toujours ? Oui. À chaque instant ? Oui. Par chacun de ceux que je rencontre, sans exception ? Oui. Alors, pourquoi, parfois, une ombre, une lourdeur, une mélancolie ? Eh bien c'est qu'il me manque parfois le don de recevoir. C'est un vrai don, un don absolu. Quelquefois je prétends trier, choisir, je me dis que l'herbe est plus verte de l'autre côté du pont, des bêtises comme ça, rien de grave puisque l'on continue de tout me donner, sans arrêt, pour rien.

page(s) 20-21
• Rassemblement

Il y a un instant où notre vie, sous la pression d'une joie ou d'une douleur, rassemble ce qui, en elle, était auparavant dispersé – comme une ville dont les habitants abandonneraient leurs occupations pour se réunir tous sur la grand-place. Cet instant peut arriver à n'importe quel âge, à deux ans comme à quarante. Ce qui est créé là ne cessera plus ensuite de répandre ses effets jusqu'à notre dernier souffle.

page(s) 41
• Appeler chaque visage, chaque vague et chaque ciel

Tout le mal dans cette vie provient d'un défaut d'attention à ce qu'elle a de faible et d'éphémère. Le mal n'a pas d'autre cause que notre négligence et le bien ne peut naître que d'une résistance à cet ensommeillement, que d'une insomnie de l'esprit portant notre attention à son point d'incandescence – même si une telle attention pure nous est, dans le fond, impossible : seul un Dieu pourrait être présent sans défaillance à la vie nue, sans que sa présence jamais ne défaille dans un sommeil, une pensée ou un désir.

Seul un Dieu pourrait être assez insoucieux de soi pour se soucier, sans relâche, de la vie merveilleusement perdue à chaque seconde qui va. Dieu est le nom de cette place jamais assombrie par une négligence, le nom d'un phare au bord des côtes.

Et peut-être cette place est-elle vide, et peut-être ce phare est-il depuis toujours abandonné, mais cela n'a aucune espèce d'importance : il nous faut faire comme si cette place était tenue, comme si ce phare était habité. Il nous faut venir en aide à Dieu sur son rocher et appeler un par un chaque visage, chaque vague et chaque ciel – sans en oublier un seul.

page(s) 130-131
• La seule destination

Le cœur est la seule destination. On y arrive quand on ne croit plus rien.

page(s) 25
• L'évidente catastrophe

L'évidente catastrophe où vit chacun de nous prépare des grâces inouïes.

page(s) 81
• La mort, l’amour, la beauté

La mort, l’amour, la beauté, quand ils surviennent par grâce, par chance, ce n'est jamais dans le temps que cela se passe. Il n'arrive jamais rien dans le temps – que du temps.

page(s) 42
• La volonté ne va pas avec l'amour

Le portrait était manqué, il n'y avait rien à en sauver. Vous vouliez trop ce texte et la volonté ne va pas avec l'écriture, pas plus qu'avec l'amour. On ne dit pas : « je voudrais vous aimer ». On dit : « je vous aime » et, le disant, on découvre un amour bien plus profond que tout vouloir.

page(s) 101
• Des carreaux cassés par où l'air entre

Toutes notre vie n'est faite que d'échecs et ces échecs sont des carreaux cassés par où l'air entre.

page(s) 26
• Quelques secondes, pas plus

Nous avons quelques secondes pour devenir des saints ou des diables, pas plus.

page(s) 152
• Rire

Le maçon montait son mur comme un poète écrit son poème, en prenant soin de chaque détail. La joie du travail en train de se faire ensoleillait son visage. « Un jour, dit-il, j'ai vu un rat énorme sortir d'une maison que je rénovais. Il était si laid que j'ai éclaté de rire. » Ce rire faisait de lui un sage. Le diable fuit de n'être pas pris au sérieux.

page(s) 41
• Une hémorragie éternelle de présent

Le futur n'existe pas dans l'enfance. Il n'existe pas plus dans l'enfance que dans le sommeil ou l'amour. Il n'y a ni futur ni passé dans la vie. Il n'y a que du présent, qu'une hémorragie éternelle de présent.

page(s) 34