Christian Bobin

Portrait de Christian Bobin

Mais que vient donc faire Christian Bobin (né en 1951) au beau milieu de ces maîtres de méditation ? Pour le méditant que je suis, sa façon de ne pas discriminer entre le morne et le sublime, de rester quoi qu'il en soit ouvert et de se voir par là-même soudain traversé de fulgurances, c'est le plus simple et bel enseignement qui soit.

Quand le gris de la vie me cerne et menace de m'engloutir, j'attrape un Bobin et me cale entre deux oreillers. Empruntant un instant le regard qu'il pose sur les scènes d'une vie pas moins grise, aussitôt rafraîchis mes yeux retrouvent la lumière et je reprends léger mon bonhomme de chemin.

Contribution dans

Quelques ouvrages

Quelques extraits

• Sauter de seconde en seconde

[P]arfois, chaque seconde qui passe peut vous amener la mort ou la joie pure d'y avoir encore échappé – jusqu'à la seconde suivante où tout recommence. Je décide d'utiliser chaque seconde comme ça. Utiliser n'est pas un mot heureux : je décide d'aller d'une seconde à l'autre comme on saute d'un rocher au suivant, pour traverser une rivière profonde. Éclaboussée, rafraîchie. Jamais noyée.

page(s) 35
• Un enfant de chœur de la lumière terrestre

Laver une assiette ou éplucher un légume c'est devenir un enfant de chœur de la lumière terrestre.

page(s) 40
• Le chariot de l’éternel

La libellule, en me voyant, se fige sur la barrière. Je m'arrête pour la regarder. Le chariot de l’éternel avec ses roues de bois passe entre nous sans un bruit, puis la libellule revient à ses affaires et je poursuis ma promenade avec dans l'âme une nouvelle nuance de bleu.

page(s) 22
• La joie plus profonde que la pensée

« Je pense parfois à ma mère morte et parfois ça me fait triste, et parfois non, mais je n'y pense jamais quand je joue » — oui, petite fille, et c'est peut-être là, dans le milieu de tes rires, quand la joie mange tes yeux, c'est peut-être là que ta mère revient te voir, qu'elle remonte au jour : la joie est en nous bien plus profonde que la pensée, elle va beaucoup plus vite, beaucoup plus loin.

page(s) 21-22
• Quelque chose d'inguérissable

Il y a quelque chose d'inguérissable qui traverse chaque vie de part en part et n'empêche ni la joie ni l'amour.

page(s) 90
• La stupéfaction enjouée de vivre

La plupart des sautillements d'un moineau n'ont pas d'autre cause que sa stupéfaction enjouée de vivre. Dans leur quête inlassable de nourriture les bêtes connaissent des grâces contemplatives. Négligeant le besoin qui les anime, leur rêverie sans image leur ouvre le royaume des cieux.

page(s) 158
• J’aime ceux qui aiment

Je n'aime pas ceux qui parlent de Dieu comme d'une valeur sûre. Je n'aime pas non plus ceux qui en parlent comme d'une infirmité de l'intelligence. Je n'aime pas ceux qui savent, j’aime ceux qui aiment.

page(s) 33
• Ce roi, cet homme-joie

Quelques secondes suffisent, n'est-ce pas, pour vivre éternellement. « Nous sentons et nous éprouvons que nous sommes éternels » : cette pensée de Spinoza a la douceur d'un enfant endormi à l'arrière d'une voiture. Nous avons, vous et moi, un Roi-Soleil assis sur son trône rouge dans la grande salle de notre cœur. Et parfois, quelques secondes, ce roi, cet homme-joie, descend de son trône et fait quelques pas dans la rue. C'est aussi simple que ça.

page(s) 16-17
• Les vrais secours

La main d'une brise qui rebrousse le duvet sur le ventre d'un moineau, l'eau qu'un soleil enflamme dans un verre, une phrase dans un livre, vaillante comme une petite fille sautant à la corde : les vrais secours ne sont jamais spectaculaires.

page(s) 114
• Vers l'autre

L'intelligence est la force, solitaire, d'extraire du chaos de sa propre vie la poignée de lumière suffisante pour éclairer un peu plus loin que soi – vers l'autre là-bas, comme nous égaré dans le noir.

page(s) 28
• La voie du cœur

Dōgen disait que les fleuves et les montagnes sont la voie du cœur.

page(s) 14
• Regarder sans intention

Chaque seconde perdue à regarder sans intention par la fenêtre retarde la fin du monde.

page(s) 74
• La vie contrariée file limpide

La pureté n'est jamais si pure que lorsqu'elle fleurit au milieu de l'impur. La vie n'est jamais si forte que lorsqu'elle est contrariée par un côté, empêchée dans une de ses voies : elle file limpide, par l'issue qui lui reste.

page(s) 50
• La formule de l'esprit

Ne pas chercher son intérêt mais l'intérêt de ce qu'on voit est la formule de l'esprit.

page(s) 158
• Je me suis rappelé soudain que j'étais vivant

Dans la station d'essence mitraillée par la giboulée, attendant que se remplisse le réservoir de la voiture, je me suis rappelé soudain que j'étais vivant et la gloire a d'un coup transfiguré tout ce que je voyais. Plus rien n'était laid ni indifférent. Je connaissais ce qui était retiré aux agonisants. Je le goûtais pour eux, je leur offrais silencieusement cette splendeur effrayante de chaque seconde. Au loin, sur la route argentée par la pluie, un grand chien noir pétrifié, de profil, comme découpé dans de la tôle, attendait qu'un ange fracasse le monde.

page(s) 36-37
• Nos pensées obscurcissent le ciel

Nos pensées montent au ciel comme des fumées. Elles l'obscurcissent. Je n'ai rien fait aujourd'hui et je n'ai rien pensé. Le ciel est venu manger dans ma main.

page(s) 13-14
• Le pur étonnement

La vulgarité, on dit aux enfants qu'elle est dans les mots. La vraie vulgarité de ce monde est dans le temps, dans l'incapacité de dépenser le temps autrement que comme des sous, vite, vite, aller d'une catastrophe aux chiffres du tiercé, vite glisser sur des tonnes d'argent et d'inintelligence profonde de la vie, de ce qu'est la vie dans sa magie souffrante, vite aller à l'heure suivante et surtout que rien n'arrive, aucune parole juste, aucun étonnement pur.

page(s) 23
• La seule réponse au désastre

La seule réponse au désastre est de le contempler et de tirer une joie éternelle de cette contemplation.

page(s) 182
• Arrimés au réel

L'époustouflante vertu contemplative des tout-petits : ils sont arrimés au réel. Rien pour eux de négligeable.

page(s) 62
• Les racines du ciel

L'honnêteté et la patience sont les racines du ciel.

page(s) 104