François Roustang

Portrait de François Roustang

François Roustang (1923-2016) eut un parcours singulier. Après des études de philosophie et de théologie, il devint jésuite.

Il étudia ensuite la psychopathologie. Suite à une publication critique vis-à-vis de l'église catholique, il s'en affranchit et exerça la psychanalyse lacanienne.

Suite à une nouvelle publication critique vis-à-vis cette fois de l'institution psychanalytique, il prit ses distances et s'intéressa à l'hypnose, dans la lignée de Milton Erikson.

Le méditant qui lit les ouvrages de François Roustang inspirés par sa pratique d'hypnothérapeute ne peut qu'être frappé des résonances entre les deux disciplines.

Quelques ouvrages

Quelques extraits

• Sur quoi prendre appui ?

Sur quoi donc va-t-il prendre appui ? Sur quelque chose de certain qu'il ne puisse pas revendiquer, sur ce qui ne dépend pas de lui, sur ce qu'il possède sans en avoir la maîtrise, sur ce qu'il ne s'est pas donné, sur ce qui lui est le plus nécessaire et qu'il ne peut que recevoir : son existence en cet instant.

page(s) 170 (La fin de la plainte)
• Justesse et plénitude de l’être-là

[L]e thérapeute, lors d'une séance, ne peut tout de même pas faire abstraction de ses connaissances, de ses lectures et de ses apprentissages divers, sinon il serait une coque vide. Il s'agit non pas d'être bête, mais de le devenir, non pas de n'avoir rien appris, mais de tout oublier, parce que l'oubli conditionne la plénitude de l’acte. Surtout ne pas se souvenir, ne pas aller chercher dans son arsenal les moyens efficaces de dominer la situation. Au contraire, s'y laisser couler, sans même l'espoir de surnager, sans garder en réserve quelque artifice qui permettrait de reprendre pied. Abandonner jusqu'au souci de la dignité de la fonction, sans quoi le thérapeute se devrait de ne pas perdre la face, de savoir quelque chose, donc de précéder.

À moins que sa seule manière de précéder et de tenir sa fonction soit dans la justesse et la plénitude de son être-là.

page(s) 191-192 (La fin de la plainte)
• Attentif à toute la réalité possible

[L]orsqu'un acte est accompli avec plénitude et qu'il manifeste une absorption de la personne dans ce qu'elle fait, qu'il s'agisse de l'attention intense d'un chercheur en quête d'une solution ou de celle d'un sportif qui sait allier la force et la grâce, comment pourrait-on oser dire qu'ils sont inconscients ? Ce serait mesurer la conscience à la distance prise par un observateur à l'égard d'une expérience en cours. L'absorption n'est que la face positive du retrait qui, en pleine conscience, se porte attentive à toute la réalité possible et va permettre d'y entrer avec souplesse sans en rien négliger : elle fait alors de l'esprit le corps même.

page(s) 140-141 (La fin de la plainte)
• Le vide, condition de l’attention

Le vide est […] en quelque sorte un trop-plein d’attention. Il peut être considéré comme la condition de cette dernière : plus je suis libre de toute préoccupation autre que celle exigée par le présent et mieux je suis attentif à la totalité de ce qui se présente. Il peut être également exprimé comme sa conséquence : plus ce qui est présent m'accapare et plus je suis contraint de penser en fonction du présent. En ces différents sens le vide ne contredit pas l'assurance, il en est la condition nécessaire.

page(s) 209-210 (La fin de la plainte)
• Ce qui nous dépasse

Pour Zhuangtsi, et pour nombre de philosophes chinois après lui, une vie humaine ne peut être abstraite de la vie qui se poursuit chez d'autres humains, pas plus que la vie du monde naturel ne peut être extraite de ce monde pour en faire une entité consistante en elle-même et par là transcendant la réalité visible. Pour eux la force de la vie ne pouvait être détachée de son effectuation et des modifications que subissent en permanence les choses et les êtres. Ce qui nous dépasse n'est pas la Vie, avec une majuscule, qu'il faudrait se concilier, c'est ce qui s'identifie au mouvement de la nature ou du cosmos qui est aussi celui de l'humanité dans lequel chacun doit entrer.

page(s) 285 (La fin de la plainte)
• Marcher

Marcher, c'est se rendre présent à son corps, le mettre en mouvement, l'habiter de telle sorte que l'intérieur et l'extérieur soient une seule et même chose. Il n'y a plus alors de pensée que celle du corps, il n'y a plus de corps que la pensée.

page(s) 309 (La fin de la plainte)
• Surtout ne rien faire que d'être là

[N]ous ne devrions rien faire, surtout ne rien faire que d'être là. Il n'est même pas question de chercher à rendre conscient cette multitude d'éléments ; le processus serait immédiatement freiné, puis arrêté, car nous réfléchirions au lieu de sentir. Même si des idées nous viennent ou des hypothèses ou des évidences, nous devrions les négliger et les laisser s'envoler comme des feuilles au vent d'automne. Nous devrions nous laisser faire et attendre. Seule cette attente dans le plus total loisir va, en effet, permettre l'unification progressive de ces sensations multiformes. Car nous sommes vraiment là, tous sens ouverts comme autant de capteurs déployés, affinés.

page(s) 78 (La fin de la plainte)
• Transformation de l’identité en singularité

Règle n°6

Le changement est la transformation de l’identité en singularité, c'est-à-dire de ce que l'on ne veut pas changer en ce que l'on ne peut pas changer.

Démonstration

L’identité est composée de tous les items dont peut se targuer un individu : son origine, son pays, son histoire, ses symptômes. La définition qu'il se donne en eux le rigidifie parce qu'ils sont le lieu de sa maîtrise et de sa suffisance. La singularité apparaît chaque fois que l’identité est négligée. Elle est comme le style : évidente et insaisissable. Elle suppose le risque de la solitude irrémédiable, de ce qui est estimé comme menace de mort et, bien que donnée une fois pour toutes, elle n'est appréciée que par les autres, jamais par soi. La perte, pour le patient, de son identité, qu'il ne veut pas changer, est nécessaire pour que soient abandonnés les repères habituels qui constituaient son rapport non modifié à soi, aux autres  et à l'environnement et pour qu'il laisse advenir, à travers ce qui lui est donné en propre et qu'il ne peut pas changer, une nouvelle configuration de son monde. CQFD.

page(s) 324-325 (La fin de la plainte)
• Se contenter de laisser venir

[I]l faut faire un saut dans l'inconnu. Ne plus penser et ne plus vouloir, ne plus s'interroger sur le pourquoi et sur le comment, mais se contenter de laisser venir. Pour beaucoup, cela est intolérable, pare que la culture ambiante ne dispose d'aucun soupçon de la nature de ce laisser-venir. Il faut donc admettre que cette pratique n'est pas faite pour tout le monde, surtout lorsqu'elle est poussée à l'extrême de son dépouillement et, par là même, de son efficacité. Il est normal qu'elle fasse peur.

page(s) 330 (Il suffit d'un geste)
• L'indispensable disponibilité sans limites

Si quelque chose des intentions explicites était maintenu, la disponibilité sans limites indispensable à l'expérience serait entravée.

page(s) 347 (Il suffit d'un geste)
• Une attente qui exclut tout projet

[C]ette attente qui exclut tout projet, qui interdit le futur, qui dessaisit de toute suffisance et de toute prétention, cette attente ne sera pas vaine. Elle est bientôt une mise en présence exclusive qui prend tout en compte dans le secret, elle est immobilité parce que rien ne doit craindre de se manifester, mais elle est en mouvement à l'égard de tout indice de ce qui s'approche, elle met sous pression toutes les forces, bien qu'elle ne les déploie pas encore, elles les recompose dans les couches les plus inaccessibles de l'intelligence et des sens[.]

page(s) 164-165 (La fin de la plainte)
• S’effacer devant la vie

La vie ne peut apparaître que si on lui laisse toute la place, que si on ne fait pas obstacle, mais, ne pas faire obstacle, c'est déjà disparaître ou mourir, en tout cas c'est l’effacement. […]

Je m’efface pour que, (et je ne sais plus quoi), je m’efface pour laisser toute la place, je ne suis plus dans ma place, je ne m'habite plus, je laisse, je me laisse habiter, je me laisse emporter, mais, si tout est emporté, alors je deviens comme une soie qui s'envole, je m'allège à l'extrême, je vais être emporté. Je ne pourrai pas supporter longtemps cet emportement, cet emportage. Et pourtant c'était bien à force de poids, à force d'être là, à force de présence lourde et sans intention, et même de présence matérielle, absolument bête, absolument sans esprit.

page(s) 242 (La fin de la plainte)
• Le pur sentiment d'exister

Lorsque quelqu'un renonce à se préoccuper de sa sensorialité, de sa corporéité, de ses humeurs et du langage, ce qu'il éprouve est le pur sentiment d'exister, parce que l'existence n'est plus enchaînée à telle ou telle forme de relation ou à telle situation particulière. La certitude d'être vivant en tant que telle est d'une si pleine évidence qu'elle rejette dans l'ombre toutes les modalités que la vie individuelle est susceptible de revêtir.

page(s) 134 (La fin de la plainte)
• Une préparation à la danse dans votre vie

Mais oui, c'est tout entier que vous avez été impliqué. Une sorte de gymnastique totale, une préparation à la danse dans votre vie. La souplesse, la légèreté, la liberté, c'est dans votre esprit comme corps dans votre corps comme esprit que vous les avez ressenties.

page(s) 335 (Il suffit d'un geste)
• Le changement en proportion inverse de la volonté de changer

Règle n°1

Le changement de la relation à soi, aux autres et à l'environnement est en proportion inverse de la volonté de changement.

Démonstration

Le changement est un mouvement qui va d'un état à un autre. Il est donc impossible d'accéder au second si l'on n'est pas d'abord passé par le premier. Mais cette opération ne va pas de soi, car il n'est pas naturel à l'être humain d'être pleinement là où il est. Donc pour commencer à changer, il lui faudra d'abord s'assurer qu'il a investi le point de départ. Il ne doit donc pas se soucier de changer. CQFD.

page(s) 317 (La fin de la plainte)
• Le geste qui rassemble le corps, l'esprit et l'espace

[C]'est ce mouvement du corps qui est esprit et de l'environnement qui est corps, c'est ce mouvement qui se dessine dans un geste. Le geste n'est pas ajouté à la situation, il en est le signe. Le geste n'est pas isolé, il fait signe. Il abolit le langage parce qu'il le porte à son comble. […]

Les mots, en effet, ne peuvent pas ne pas fragmenter le parcours des choses et des êtres et donc le freiner ou l'arrêter. Seules la musique et la danse. Seul le geste qui déjà rassemble le corps, l'esprit et l'espace peut signifier à d'autres signes, puis à tous les signes à la fois. C'est cela sentir partout à la fois.

page(s) 344-345 (Il suffit d'un geste)
• Pour se rendre présent

Pour se rendre présent, il faut se vider de tout ce qui nous rendait absents. Il est un autre vide plus angoissant provoqué par la mise en suspens de nos repères coutumiers, de nos préjugés, de nos habitudes de penser ou d'agir, bref de tout ce sur quoi nous prenions appui pour nous orienter dans le monde.

page(s) 209 (La fin de la plainte)
• Le toucher continu de l'espace existant

[L]e trop-plein de sentir crée le vide de la pensée discursive et c'est cela qui angoisse. Mais ce vide de la pensée discursive, et ce vide de toute représentation, de toute image deviennent le commencement d'une pensée qui est action. L'expérience du trop-plein de sensations, comme toucher continu de l'espace existant, permet d'appréhender le réel dans son ensemble, dans sa complexité et sa configuration vivante, dans le principe de son organisation active et dans ce qui lui fait obstacle. C'est de là que les possibles surgiront. L'inspiration n'est alors rien d'autre que cette naissance d'une harmonie, soudaine parce qu'elle n'est pas prévue par la conscience claire, impérieuse parce qu'elle recompose les éléments constitutifs de notre rapport au réel.

page(s) 84 (La fin de la plainte)
• Habiter son espace, c’est le parcourir

[I]l devait maintenant habiter l'espace amoureux et amical de son corps et s'y mouvoir au rythme qui lui convenait et qui conviendrait à son entourage. Ici, dans la séance, habiter l'espace amical et amoureux voulait dire s'arrêter sur chacun des proches, le regarder, l'entendre, l'approcher et peu à peu renouveler ses modes de relation avec lui, cela signifiait le faire exister par une longue attention, le laisser exister à sa manière à travers la mémoire de la multitude des sensations incorporées qui attendent d'être éveillées, ou encore faire preuve d'imagination à son égard pour qu'il puisse se déployer à sa guise. Habiter son espace, c'est donc le parcourir, s'y mouvoir, l'investir personnellement et activement pour le tisser avec des fils rénovés.

page(s) 187 (La fin de la plainte)
• Sentir partout à la fois

Rien ne peut changer si tout ne change pas, et tout change si tout est senti à la fois au même instant. Sentir partout à la fois veut dire que l'on y est et que, enfin, on s'est laissé troubler et bouleverser au point de ne rien refuser, de tout laisser venir.

page(s) 336-337 (Il suffit d'un geste)