François Roustang

Portrait de François Roustang

François Roustang (1923-2016) eut un parcours singulier. Après des études de philosophie et de théologie, il devint jésuite.

Il étudia ensuite la psychopathologie. Suite à une publication critique vis-à-vis de l'église catholique, il s'en affranchit et exerça la psychanalyse lacanienne.

Suite à une nouvelle publication critique vis-à-vis cette fois de l'institution psychanalytique, il prit ses distances et s'intéressa à l'hypnose, dans la lignée de Milton Erikson.

Le méditant qui lit les ouvrages de François Roustang inspirés par sa pratique d'hypnothérapeute ne peut qu'être frappé des résonances entre les deux disciplines.

Quelques ouvrages

Quelques extraits

• L'indispensable disponibilité sans limites

Si quelque chose des intentions explicites était maintenu, la disponibilité sans limites indispensable à l'expérience serait entravée.

page(s) 347 (Il suffit d'un geste)
• Ce qui nous dépasse

Pour Zhuangtsi, et pour nombre de philosophes chinois après lui, une vie humaine ne peut être abstraite de la vie qui se poursuit chez d'autres humains, pas plus que la vie du monde naturel ne peut être extraite de ce monde pour en faire une entité consistante en elle-même et par là transcendant la réalité visible. Pour eux la force de la vie ne pouvait être détachée de son effectuation et des modifications que subissent en permanence les choses et les êtres. Ce qui nous dépasse n'est pas la Vie, avec une majuscule, qu'il faudrait se concilier, c'est ce qui s'identifie au mouvement de la nature ou du cosmos qui est aussi celui de l'humanité dans lequel chacun doit entrer.

page(s) 285 (La fin de la plainte)
• Surtout ne rien faire que d'être là

[N]ous ne devrions rien faire, surtout ne rien faire que d'être là. Il n'est même pas question de chercher à rendre conscient cette multitude d'éléments ; le processus serait immédiatement freiné, puis arrêté, car nous réfléchirions au lieu de sentir. Même si des idées nous viennent ou des hypothèses ou des évidences, nous devrions les négliger et les laisser s'envoler comme des feuilles au vent d'automne. Nous devrions nous laisser faire et attendre. Seule cette attente dans le plus total loisir va, en effet, permettre l'unification progressive de ces sensations multiformes. Car nous sommes vraiment là, tous sens ouverts comme autant de capteurs déployés, affinés.

page(s) 78 (La fin de la plainte)
• Le geste qui rassemble le corps, l'esprit et l'espace

[C]'est ce mouvement du corps qui est esprit et de l'environnement qui est corps, c'est ce mouvement qui se dessine dans un geste. Le geste n'est pas ajouté à la situation, il en est le signe. Le geste n'est pas isolé, il fait signe. Il abolit le langage parce qu'il le porte à son comble. […]

Les mots, en effet, ne peuvent pas ne pas fragmenter le parcours des choses et des êtres et donc le freiner ou l'arrêter. Seules la musique et la danse. Seul le geste qui déjà rassemble le corps, l'esprit et l'espace peut signifier à d'autres signes, puis à tous les signes à la fois. C'est cela sentir partout à la fois.

page(s) 344-345 (Il suffit d'un geste)
• Le pur sentiment d'exister

Lorsque quelqu'un renonce à se préoccuper de sa sensorialité, de sa corporéité, de ses humeurs et du langage, ce qu'il éprouve est le pur sentiment d'exister, parce que l'existence n'est plus enchaînée à telle ou telle forme de relation ou à telle situation particulière. La certitude d'être vivant en tant que telle est d'une si pleine évidence qu'elle rejette dans l'ombre toutes les modalités que la vie individuelle est susceptible de revêtir.

page(s) 134 (La fin de la plainte)
• S’effacer devant la vie

La vie ne peut apparaître que si on lui laisse toute la place, que si on ne fait pas obstacle, mais, ne pas faire obstacle, c'est déjà disparaître ou mourir, en tout cas c'est l’effacement. […]

Je m’efface pour que, (et je ne sais plus quoi), je m’efface pour laisser toute la place, je ne suis plus dans ma place, je ne m'habite plus, je laisse, je me laisse habiter, je me laisse emporter, mais, si tout est emporté, alors je deviens comme une soie qui s'envole, je m'allège à l'extrême, je vais être emporté. Je ne pourrai pas supporter longtemps cet emportement, cet emportage. Et pourtant c'était bien à force de poids, à force d'être là, à force de présence lourde et sans intention, et même de présence matérielle, absolument bête, absolument sans esprit.

page(s) 242 (La fin de la plainte)
• Laisser faire la vie en nous

La vie n'est pas une entité mystérieuse qu'il faudrait conjurer et supplier. On la connaît, il n'y a qu'à regarder. Elle est au travail depuis des millions de millions d'années. Elle sait y faire. Elle combine à nouveau chaque jour la chaîne et la trame de milliards de destins. Elle est intelligente, même sa cruauté est intelligente. Il suffit de la laisser faire et c'est pourquoi quand nous nous réveillons du sentir partout à la fois, cela nous paraît si simple.

C'est le laisser faire la vie en nous et pour nous qui est difficile.

page(s) 338 (Il suffit d'un geste)
• Se contenter de laisser venir

[I]l faut faire un saut dans l'inconnu. Ne plus penser et ne plus vouloir, ne plus s'interroger sur le pourquoi et sur le comment, mais se contenter de laisser venir. Pour beaucoup, cela est intolérable, pare que la culture ambiante ne dispose d'aucun soupçon de la nature de ce laisser-venir. Il faut donc admettre que cette pratique n'est pas faite pour tout le monde, surtout lorsqu'elle est poussée à l'extrême de son dépouillement et, par là même, de son efficacité. Il est normal qu'elle fasse peur.

page(s) 330 (Il suffit d'un geste)
• N'avoir pas peur de passer dans ses sens

La première condition, c'est la confiance. Non pas confiance dans sa signification générale de confiance en soi ou en l'autre, mais dans sa signification particulière de pouvoir se fier à ses sens et de n'avoir pas peur de passer dans ses sens, de réduire le corps à n'être qu'âme sensitive, de donner sa pensée aux sens de telle sorte qu'ils pensent par eux-mêmes. Et comment pensent-ils par eux-mêmes ? D'abord par leur mise en alerte, à la manière du guetteur qui ne perd de vue, d'oreille ou de flair aucun indice lui permettant d'estimer les distances, les directions, les vitesses ou les écarts.

page(s) 79-80 (La fin de la plainte)
• Le vide, condition de l’attention

Le vide est […] en quelque sorte un trop-plein d’attention. Il peut être considéré comme la condition de cette dernière : plus je suis libre de toute préoccupation autre que celle exigée par le présent et mieux je suis attentif à la totalité de ce qui se présente. Il peut être également exprimé comme sa conséquence : plus ce qui est présent m'accapare et plus je suis contraint de penser en fonction du présent. En ces différents sens le vide ne contredit pas l'assurance, il en est la condition nécessaire.

page(s) 209-210 (La fin de la plainte)
• Le changement en proportion inverse de la volonté de changer

Règle n°1

Le changement de la relation à soi, aux autres et à l'environnement est en proportion inverse de la volonté de changement.

Démonstration

Le changement est un mouvement qui va d'un état à un autre. Il est donc impossible d'accéder au second si l'on n'est pas d'abord passé par le premier. Mais cette opération ne va pas de soi, car il n'est pas naturel à l'être humain d'être pleinement là où il est. Donc pour commencer à changer, il lui faudra d'abord s'assurer qu'il a investi le point de départ. Il ne doit donc pas se soucier de changer. CQFD.

page(s) 317 (La fin de la plainte)
• Une attente qui exclut tout projet

[C]ette attente qui exclut tout projet, qui interdit le futur, qui dessaisit de toute suffisance et de toute prétention, cette attente ne sera pas vaine. Elle est bientôt une mise en présence exclusive qui prend tout en compte dans le secret, elle est immobilité parce que rien ne doit craindre de se manifester, mais elle est en mouvement à l'égard de tout indice de ce qui s'approche, elle met sous pression toutes les forces, bien qu'elle ne les déploie pas encore, elles les recompose dans les couches les plus inaccessibles de l'intelligence et des sens[.]

page(s) 164-165 (La fin de la plainte)
• Le toucher continu de l'espace existant

[L]e trop-plein de sentir crée le vide de la pensée discursive et c'est cela qui angoisse. Mais ce vide de la pensée discursive, et ce vide de toute représentation, de toute image deviennent le commencement d'une pensée qui est action. L'expérience du trop-plein de sensations, comme toucher continu de l'espace existant, permet d'appréhender le réel dans son ensemble, dans sa complexité et sa configuration vivante, dans le principe de son organisation active et dans ce qui lui fait obstacle. C'est de là que les possibles surgiront. L'inspiration n'est alors rien d'autre que cette naissance d'une harmonie, soudaine parce qu'elle n'est pas prévue par la conscience claire, impérieuse parce qu'elle recompose les éléments constitutifs de notre rapport au réel.

page(s) 84 (La fin de la plainte)
• Justesse et plénitude de l’être-là

[L]e thérapeute, lors d'une séance, ne peut tout de même pas faire abstraction de ses connaissances, de ses lectures et de ses apprentissages divers, sinon il serait une coque vide. Il s'agit non pas d'être bête, mais de le devenir, non pas de n'avoir rien appris, mais de tout oublier, parce que l'oubli conditionne la plénitude de l’acte. Surtout ne pas se souvenir, ne pas aller chercher dans son arsenal les moyens efficaces de dominer la situation. Au contraire, s'y laisser couler, sans même l'espoir de surnager, sans garder en réserve quelque artifice qui permettrait de reprendre pied. Abandonner jusqu'au souci de la dignité de la fonction, sans quoi le thérapeute se devrait de ne pas perdre la face, de savoir quelque chose, donc de précéder.

À moins que sa seule manière de précéder et de tenir sa fonction soit dans la justesse et la plénitude de son être-là.

page(s) 191-192 (La fin de la plainte)
• Sur quoi prendre appui ?

Sur quoi donc va-t-il prendre appui ? Sur quelque chose de certain qu'il ne puisse pas revendiquer, sur ce qui ne dépend pas de lui, sur ce qu'il possède sans en avoir la maîtrise, sur ce qu'il ne s'est pas donné, sur ce qui lui est le plus nécessaire et qu'il ne peut que recevoir : son existence en cet instant.

page(s) 170 (La fin de la plainte)
• Pour se rendre présent

Pour se rendre présent, il faut se vider de tout ce qui nous rendait absents. Il est un autre vide plus angoissant provoqué par la mise en suspens de nos repères coutumiers, de nos préjugés, de nos habitudes de penser ou d'agir, bref de tout ce sur quoi nous prenions appui pour nous orienter dans le monde.

page(s) 209 (La fin de la plainte)
• Ne pas entraver par des vouloirs ou des pensées intempestives

Certes l'imagination est sollicitée par l'expérience, mais si l'on veut bien faire appel au pouvoir créateur qui, lui, est par tous reconnu, les matériaux de souvenirs et de savoir-faire à travers lesquels elle s'exprimera diront toujours le style singulier de la personne, mais ce ne sera jamais dans la monotonie. Elle reprend en compte et en charge tout l'apport de la sensorialité, de la mémoire des représentations et des savoir-faire pour que ce pouvoir s'étende aux mouvements du corps. Il suffit de revenir à elle dans le retrait et de lui laisser l'initiative, de ne pas l'entraver par des vouloirs ou des pensées intempestives, pour que l'acte imaginé par l'esprit et le corps soit déjà accompli.

page(s) 146 (La fin de la plainte)
• Tout voir et tout entendre à la fois

Il s'agit d'affoler votre manière habituelle d'appréhender le monde, de vous empêcher de vous focaliser sur un objet, de ne pas vous donner le temps de l'analyser et de le décrire ou au contraire de vous y rendre attentif de telle sorte que le contexte soit exclu et que vous ne puissiez plus rien voir ni rien entendre, mais tout voir et tout entendre à la fois. Ou vous faire penser à tellement de choses sans projet et sans intention que vous ne puissiez plus penser à rien. Briser et faire voler en éclats la perception expérimentée tous les jours.

page(s) 332 (Il suffit d'un geste)
• L’expérience n’a lieu que dans la mesure où elle nous échappe

La mise en présence des corps ou l'absorption dans le corps propre est ce que tout humain possède déjà en partage. Tout ce que nous pouvons faire comme thérapeute, c'est prendre au sérieux ce fait universel et naturel et cesser de le recouvrir, car il est l'élémentaire qui tisse nos vies. Il nous porte, nous ne saurions le voir en face. Nous nous trouvons dans la position de Psyché qui ne pouvait rencontrer Éros que dans l'obscurité de la nuit.

En outre cette expérience n'est que dans l'instant et elle n’a lieu que dans la mesure où elle nous échappe. Elle est aussi fugitive qu'un acte, qu'un geste harmonieux, que la voix ou la musique qui ne restent pas suspendus dans les airs. Tout s'efface au moment qui suit et nous sommes reconduits à la banalité des jours.

page(s) 188-189 (La fin de la plainte)
• Me placer au commencement

Affirmer que je suis ou m'enfoncer dans mon existence sans nulle autre précision, c'est-à-dire me placer au commencement, ne peut pas ne pas faire voler en éclats toutes les preuves que je m'étais données pour me rassurer. Je suis alors jeté dans le désarroi. L'arroi, c'est le train ou l'équipage, dans lequel je me présente comme personnage avec tous les attributs de ma richesse et de mon pouvoir. Au contraire si j'affirme purement et simplement : « Je suis », sans nul souci de savoir ce que je suis, parce que cela intéresse la vallée des déterminations, alors je me trouve assuré de cette source qui ne sait pas encore où elle va couler et qui ignore les paysages qu'elle va traverser. Je suis tranquille parce que tous mes mouvements sont accomplis dans le flot même.

page(s) 171 (La fin de la plainte)