Christian Bobin

Portrait de Christian Bobin

Mais que vient donc faire Christian Bobin (né en 1951) au beau milieu de ces maîtres de méditation ? Pour le méditant que je suis, sa façon de ne pas discriminer entre le morne et le sublime, de rester quoi qu'il en soit ouvert et de se voir par là-même soudain traversé de fulgurances, c'est le plus simple et bel enseignement qui soit.

Quand le gris de la vie me cerne et menace de m'engloutir, j'attrape un Bobin et me cale entre deux oreillers. Empruntant un instant le regard qu'il pose sur les scènes d'une vie pas moins grise, aussitôt rafraîchis mes yeux retrouvent la lumière et je reprends léger mon bonhomme de chemin.

Contribution dans

Quelques ouvrages

Quelques extraits

• Que la mort n'ait presque rien à prendre

Il y a deux attitudes possibles devant la mort. Ce sont les mêmes attitudes que devant la vie. On peut les fuir dans une carrière, une pensée, des projets. Et on peut laisser faire – favoriser leur venue, célébrer leur passage.

La mort dont nous ne savons rien posera sa main sur notre épaule dans le secret d'une chambre ou elle nous giflera dans la lumière du monde – c'est selon. Le mieux que nous puissions faire en attendant ce jour est de lui rendre sa tâche légère : qu'elle n'ait presque rien à prendre parce que nous aurions déjà presque tout donné.

page(s) 73
• Des carreaux cassés par où l'air entre

Toutes notre vie n'est faite que d'échecs et ces échecs sont des carreaux cassés par où l'air entre.

page(s) 26
• Une armure sans défaut

L'armure sans défaut de la joie.

page(s) 69
• La vie contrariée file limpide

La pureté n'est jamais si pure que lorsqu'elle fleurit au milieu de l'impur. La vie n'est jamais si forte que lorsqu'elle est contrariée par un côté, empêchée dans une de ses voies : elle file limpide, par l'issue qui lui reste.

page(s) 50
• La joie plus profonde que la pensée

« Je pense parfois à ma mère morte et parfois ça me fait triste, et parfois non, mais je n'y pense jamais quand je joue » — oui, petite fille, et c'est peut-être là, dans le milieu de tes rires, quand la joie mange tes yeux, c'est peut-être là que ta mère revient te voir, qu'elle remonte au jour : la joie est en nous bien plus profonde que la pensée, elle va beaucoup plus vite, beaucoup plus loin.

page(s) 21-22
• Le souci de soi

Le souci de soi est une chose qui encombre les vivants. Peut-être est-ce le premier sac de sable que les morts jettent par-dessus leur nacelle, pour bondir au plus haut, hors de vue.

page(s) 42
• Pour que la mort ne trouve plus notre porte

Dans ce rêve une jeune aristocrate posait son pied joliment chaussé sur la première marche d'un échafaud. Je lui disais connaître un moyen pour empêcher la mort proche de la saisir : tous nos malheurs venant de ce qu'une part de notre âme errait dans le passé tandis que l'autre titubait dans l'avenir, il suffirait d'habiter l'instant présent dans sa plénitude pour que la mort ne trouve plus notre porte – la profonde conscience d'être vivants nous rendant éternels.

page(s) 160
• Vivre comme si on ne tenait plus à la vie

Je suis d'accord pour mourir n'importe quel jour. Aux urgences, j'ai emmené un livre assez petit pour tenir dans une poche, assez dense pour éclairer des heures d'attente. Je voudrais n'écrire que des livres qu'on puisse lire aux urgences, là où les questions qu'on nous pose et l'attention qu'on nous porte sont si froides qu'elles nous vident de notre âme. Il y a une manière de vivre – comme si on ne tenait plus à la vie – qui est le nom le plus secret de l'amour.

page(s) 62
• La seule réponse au désastre

La seule réponse au désastre est de le contempler et de tirer une joie éternelle de cette contemplation.

page(s) 182
• La volonté ne va pas avec l'amour

Le portrait était manqué, il n'y avait rien à en sauver. Vous vouliez trop ce texte et la volonté ne va pas avec l'écriture, pas plus qu'avec l'amour. On ne dit pas : « je voudrais vous aimer ». On dit : « je vous aime » et, le disant, on découvre un amour bien plus profond que tout vouloir.

page(s) 101
• Quelque chose d'inguérissable

Il y a quelque chose d'inguérissable qui traverse chaque vie de part en part et n'empêche ni la joie ni l'amour.

page(s) 90
• Chercher en tout l'innocence

Il faut chercher en tout l'innocence – on finira par l'y trouver.

page(s) 162
• Accepter de n'être plus protégé par rien

Il faut avoir une force terrible pour supporter de lire un seul poème. Aller au-devant d'une phrase comme au-devant de sa propre mort. Accepter de n'être plus protégé par rien et recevoir le coup de grâce d'une parole claire en son obscurité.

page(s) 32
• Le chariot de l’éternel

La libellule, en me voyant, se fige sur la barrière. Je m'arrête pour la regarder. Le chariot de l’éternel avec ses roues de bois passe entre nous sans un bruit, puis la libellule revient à ses affaires et je poursuis ma promenade avec dans l'âme une nouvelle nuance de bleu.

page(s) 22
• Poison & antidote

Chaque jour a son poison et, pour qui sait voir, son antidote.

page(s) 34
• Notre trésor

Devant ce qui te blessait le plus, tu commençais par éclater de rire. Tu n'es plus là mais j'ai retenu ta leçon, aujourd'hui je l'écris ainsi : « Dans ce qui prétend nous ruiner, grandit notre trésor. »

page(s) 18
• Les vrais secours

La main d'une brise qui rebrousse le duvet sur le ventre d'un moineau, l'eau qu'un soleil enflamme dans un verre, une phrase dans un livre, vaillante comme une petite fille sautant à la corde : les vrais secours ne sont jamais spectaculaires.

page(s) 114
• Le « oui »

Il n'y a rien de plus à trouver dans cette vie que le « oui » qui définitivement l'enflamme.

page(s) 28