Christian Bobin

Portrait de Christian Bobin

Mais que vient donc faire Christian Bobin (né en 1951) au beau milieu de ces maîtres de méditation ? Pour le méditant que je suis, sa façon de ne pas discriminer entre le morne et le sublime, de rester quoi qu'il en soit ouvert et de se voir par là-même soudain traversé de fulgurances, c'est le plus simple et bel enseignement qui soit.

Quand le gris de la vie me cerne et menace de m'engloutir, j'attrape un Bobin et me cale entre deux oreillers. Empruntant un instant le regard qu'il pose sur les scènes d'une vie pas moins grise, aussitôt rafraîchis mes yeux retrouvent la lumière et je reprends léger mon bonhomme de chemin.

Contribution dans

Quelques ouvrages

Quelques extraits

• Le chariot de l’éternel

La libellule, en me voyant, se fige sur la barrière. Je m'arrête pour la regarder. Le chariot de l’éternel avec ses roues de bois passe entre nous sans un bruit, puis la libellule revient à ses affaires et je poursuis ma promenade avec dans l'âme une nouvelle nuance de bleu.

page(s) 22
• Le « oui »

Il n'y a rien de plus à trouver dans cette vie que le « oui » qui définitivement l'enflamme.

page(s) 28
• Regarder sans intention

Chaque seconde perdue à regarder sans intention par la fenêtre retarde la fin du monde.

page(s) 74
• Mon bon Ryokan

Mon bon Ryokan, je n'ai rien fait de ma vie, rien, juste bâti un nid d'hirondelle sous la poutre du langage.

J'ai interrogé les livres et je leur ai demandé quel était le sens de la vie, mais ils n'ont pas répondu. J'ai frappé aux portes du silence, de la musique et même de la mort, mais personne n'a ouvert. Alors j'ai cessé de demander. J'ai aimé les livres pour ce qu'ils étaient, des blocs de paix, des respirations si lentes qu'on les entend à peine. J'ai aimé le silence, la musique et la mort pour ce qu'ils ouvraient en moi, cette clairière dans mon cerveau, ce trou dans les étoiles, un peu de vide, enfin. J'ai rejoint l'atelier des berceaux.

page(s) 50-51
• Aimer

Ce que j'appelle aimer, c'est remercier pour une force donnée.

page(s) 48
• Des lacets d'enfant mouillés

Les plus graves problèmes ne sont que des lacets d'enfant mouillés : plus on tire dessus, plus on les rend impossibles à dénouer.

page(s) 39
• Plus vite à l’essentiel

Lire est une passion lente. S'émerveiller d'un rire gravé dans l'air va plus vite à l’essentiel.

page(s) 22
• L’auberge est vaste

Tous les vivants sont dans mon cœur. L’auberge est vaste. Il y a même un lit et un repas chaud pour les criminels et les fous.

page(s) 35
• Vie conjugale du bleu et du noir

C'est un état limite dont vous avez besoin, une mince ligne de rien entre l'ennui et le désespoir – et la joie qui passe en funambule sur ce fil, la joie qui se nourrit précisément de rien, par exemple d'un regard sur le ciel d'aujourd'hui, contemplé depuis votre lit d'infirmité active, depuis votre fainéantise d'écriture : une lumière transparente. Un bleu sans épaisseur.

On dirait que les anges viennent de laver leur linge et que, n'étant riches que de leur seul amour, ils portent toujours la même lumière, rendue transparente par des milliers de lessives. Dans le bleu de cette beauté vous devinez le noir où elle s'abîmera bientôt, et vous trouvez dans cette vie conjugale du bleu et du noir l'unique leçon de choses qui vous convienne, la preuve d'une excellence de cette vie où tout nous est donné à chaque instant, le bleu avec le noir, la force avec la blessure.

La seule tristesse qui se rencontre dans cette vie vient de notre incapacité à la recevoir sans l'assombrir par le sentiment que quelque chose en elle nous est dû : rien ne nous est dû dans cette vie, pas même l'innocence d'un ciel bleu. Le grand art est l'art de remercier pour l'abondance à chaque instant donnée.

page(s) 34-35
• Sauter de seconde en seconde

[P]arfois, chaque seconde qui passe peut vous amener la mort ou la joie pure d'y avoir encore échappé – jusqu'à la seconde suivante où tout recommence. Je décide d'utiliser chaque seconde comme ça. Utiliser n'est pas un mot heureux : je décide d'aller d'une seconde à l'autre comme on saute d'un rocher au suivant, pour traverser une rivière profonde. Éclaboussée, rafraîchie. Jamais noyée.

page(s) 35
• Je me suis rappelé soudain que j'étais vivant

Dans la station d'essence mitraillée par la giboulée, attendant que se remplisse le réservoir de la voiture, je me suis rappelé soudain que j'étais vivant et la gloire a d'un coup transfiguré tout ce que je voyais. Plus rien n'était laid ni indifférent. Je connaissais ce qui était retiré aux agonisants. Je le goûtais pour eux, je leur offrais silencieusement cette splendeur effrayante de chaque seconde. Au loin, sur la route argentée par la pluie, un grand chien noir pétrifié, de profil, comme découpé dans de la tôle, attendait qu'un ange fracasse le monde.

page(s) 36-37
• Cette étrange gaieté

Cette étrange gaieté sans laquelle rien de vrai ne peut se faire.

page(s) 38
• Une vue imprenable sur le paradis

De n'importe quel endroit on a une vue imprenable sur le paradis.

page(s) 64
• Tous s'en vont vers leur mort

[C]eux que l'on regarde s'en vont vers leur mort, donc s'éloignent de nous même quand ils ont l'air de s'en approcher, tout s'en va, depuis le début s'en va. Ce n'est rien de désespérant, cette pensée. C'est une pensée simple. Elle ne retient pas d'aimer, au contraire. Elle me fait même chanter en cet instant.

page(s) 115
• Ce roi, cet homme-joie

Quelques secondes suffisent, n'est-ce pas, pour vivre éternellement. « Nous sentons et nous éprouvons que nous sommes éternels » : cette pensée de Spinoza a la douceur d'un enfant endormi à l'arrière d'une voiture. Nous avons, vous et moi, un Roi-Soleil assis sur son trône rouge dans la grande salle de notre cœur. Et parfois, quelques secondes, ce roi, cet homme-joie, descend de son trône et fait quelques pas dans la rue. C'est aussi simple que ça.

page(s) 16-17
• La seule réponse au désastre

La seule réponse au désastre est de le contempler et de tirer une joie éternelle de cette contemplation.

page(s) 182
• Le miracle

J'ai fait très peu de choses aujourd'hui. J'ai fait ce que je fais chaque jour : j'ai espéré un miracle. Et il est arrivé. Il arrive chaque jour, parfois à la dernière seconde – toujours du côté où je ne l'espérais plus.

page(s) 33
• Pendant quelques secondes j’ai réussi à être vivant

L'étang fleurissait sous le ciel et le ciel se coiffait devant l'étang. L'oiseau aux ailes prophétiques enflammait la forêt. Pendant quelques secondes j’ai réussi à être vivant. J'ai conscience que cette lettre peut vous sembler folle. Elle ne l'est pas. Ce sont plutôt nos volontés qui sont folles. Je veux ici parler simplement de ce qu'on appelle une « belle journée », un « ciel bleu ». Ces expressions désignent un mystère. Un couteau de lumière dont la lame fraîche nous ouvre le cœur.

page(s) 15-16