Dès que nous nous éveillons, des idées, des projets, des images, des envies envahissent notre esprit. Notre cerveau produit des pensées, comme nos poumons produisent du souffle, c'est normal. Mais nous pouvons prendre de la distance avec ces pensées, les repérer, les observer, sans y adhérer, sans les suivre ; s'apercevoir qu'elles nous ont embarqués et nous en détacher. Les laisser passer comme si, au bord d'un fleuve, nous regardions passer les flots au lieu de nous y débattre.
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Extraits étiquetés avec : pensée
Le bavardage des pensées
page(s) Chronique n°2L'illusion du moi
Ce que nous éprouvons comme notre « moi » est un agrégat de pensées familières, d'émotions et de modes de comportement. L'esprit les rassemble, fabriquant ainsi l'histoire d'une entité individuelle qui se perpétuerait au fil du temps.
page(s) 48Observer la nature de l'esprit
À chaque science ses instruments : sans télescope on ne peut voir les cratères de la lune, sans pratique contemplative, on ne peut voir la nature de l'esprit qui reste masquée par le voile des pensées errantes.
page(s) IntroductionAbandonner notre scénario
Le monde s'ouvre et soudain nous sommes présents à ce qui se passe. La solidité de nos pensées devient transparente et nous pouvons nous raccorder automatiquement à cet espace – śūnyatā – en nous-mêmes. Nous avons la capacité d'abandonner notre scénario, de nous secouer nous-mêmes.
page(s) 96 (10 - Entamer la solidité des pensées)Ce ne sont que des pensées
Si, l'espace d'une seconde, nous pouvions vraiment sentir à fond que ce ne sont que des pensées, cela serait un instant d'éveil total.
page(s) 36 (3 - Retirer le tapis sous les pieds)Laisser passer les idées, aussi farfelues soient-elles
[Q]uelles que soient les idées qui me passent par la tête, aussi farfelues soient-elles, il n'y a aucun problème. Si j'ai envie d'étrangler ma belle-mère avec son soutien-gorge, je laisse passer. Cette idée ne s'attarde pas en moi. Je la laisse quitter mon esprit avec bienveillance, sans la condamner. Car cela aussi serait la retenir, la fixer. Le bouddhisme tibétain suggère de regarder nos pensées comme s'il s'agissait de nos enfants que nous contemplons, que nous surveillons paisiblement.
page(s) 113Rester dans le flux
« Dès que l'on s'arrête sur une pensée, le flux de pensées s'arrête aussi immédiatement et cela se nomme attachement. » Fa-hai. Le Sūtra de l'Estrade du Sixième Patriarche Houei-neng
page(s) 112Les pensées comme oiseaux
[L]'exercice de la méditation consiste à voir la vacuité, à se laisser totalement détendre dans la vacuité. À considérer les pensées comme des oiseaux. Et derrière les oiseaux, il y a un ciel toujours immensément bleu.
page(s) 95La vérité dont nous pouvons tous faire l'expérience
[L]e Bouddha nous conduit au stade où, par une compréhension issue de notre propre expérience, l'ego se dissout naturellement. Il ne s'agit pas là d'un jeu intellectuel, ni d'un jeu émotionnel, ni d'une croyance aveugle. Ce n'est pas non plus un dogme, ni un culte, ni une philosophie. C'est la vérité, la vérité dont nous pouvons tous faire l'expérience, que nous soyons chrétiens ou musulmans, hindous ou jaïns, birmans ou américains, russes ou chinois. La loi de la Nature est la loi de la Nature, elle est universelle.
page(s) 33Appeler chaque visage, chaque vague et chaque ciel
Tout le mal dans cette vie provient d'un défaut d'attention à ce qu'elle a de faible et d'éphémère. Le mal n'a pas d'autre cause que notre négligence et le bien ne peut naître que d'une résistance à cet ensommeillement, que d'une insomnie de l'esprit portant notre attention à son point d'incandescence – même si une telle attention pure nous est, dans le fond, impossible : seul un Dieu pourrait être présent sans défaillance à la vie nue, sans que sa présence jamais ne défaille dans un sommeil, une pensée ou un désir.
Seul un Dieu pourrait être assez insoucieux de soi pour se soucier, sans relâche, de la vie merveilleusement perdue à chaque seconde qui va. Dieu est le nom de cette place jamais assombrie par une négligence, le nom d'un phare au bord des côtes.
Et peut-être cette place est-elle vide, et peut-être ce phare est-il depuis toujours abandonné, mais cela n'a aucune espèce d'importance : il nous faut faire comme si cette place était tenue, comme si ce phare était habité. Il nous faut venir en aide à Dieu sur son rocher et appeler un par un chaque visage, chaque vague et chaque ciel – sans en oublier un seul.
page(s) 130-131Travailler avec l'ego et le mental
Dans la mesure ou l'ego et le mental sont des empêchements au cheminement spirituel, on peut se demander s'il ne vaudrait pas mieux balayer le mental et annihiler le moi. Le mental et l'ego étant nos matériaux de travail, leur destruction n'apporterait rien de positif.
Par contre, on peut les purifier, en sorte qu'ils puissent remplir les fonctions de pensée, de sentiment et d'intégration sans la moindre distorsion. Les endommager ou les répudier – et cela vaut de même pour le corps physique – aurait pour conséquence d'aggraver leur activité de déformation.
La liberté n'est pas « là-haut », elle réside dans notre volonté et notre capacité à regarder en bas, en haut et partout alentour, afin d'éviter que l'attitude de fuite ou d'impatience ne vienne creuser en nous de dangereux fossés.
Ce n'est que grâce à l'observation constante que l'on parvient à parfaitement comprendre le mental et l'ego et à abolir leur pouvoir de tyrannie. C'est encore grâce à elle que l'on comprend l'inutilité de la peur et, par-là, apprend à considérer toute chose avec un regard libre.
page(s) 10-11Rejoindre l'océan
La voie, les pratiques, les efforts « héroïques », les progrès ne sont […] que des aspects du rêve dont il s'agit de s'éveiller [… :] l'illusion d'un ego cherchant à rejoindre ce qu'il est déjà.
Mais ce dérisoire s'appliquerait aussi à l'asthanga marga (le célèbre « octuple chemin ») proposé par le Bouddha. Cet ensemble de pratiques persévérantes devient dans cette optique aussi étrange qu'un manuel enseignant à la vague comment rejoindre l'océan alors qu'elle est l'océan, qu'elle demeure en lui et qu'il demeure en elle dans la perfection de la non-séparation.
En vérité, pour qu'un ego (même « illusoire » ou « irréel ») puisse tourner toute son attention, toute son énergie psychique vers sa source, vers le Soi (adhyatma), il faut que cette énergie soit puissante et unifiée, libre des pensées, émotions, désirs et peurs habituels (vasana et sankalpa).
page(s) 15La conscience panoramique
À mesure que le méditant interrompt de manière répétée le flux de la pensée discursive et redevient attentif à sa respiration ou à son activité quotidienne, l'agitation de l'esprit se dompte graduellement. On commence à pouvoir envisager cette agitation comme telle et à devenir patient envers elle, plutôt que de se perdre automatiquement en elle.
Par la suite, les méditants font état d'une perspective plus panoramique. Cette dernière se nomme conscience. À ce stade, la respiration n'est plus nécessaire en tant que centre vers lequel diriger l'attention. Selon une analogie traditionnelle, l'attention se rapporte aux mots isolés d'une phrase, tandis que la conscience est la grammaire qui englobe la phrase tout entière.
Les méditants rapportent également qu'ils font l'expérience de l'espace et des vastes dimensions de l'esprit. À ce propos, une métaphore traditionnelle compare l'esprit au ciel (arrière-plan non conceptuel) dans lequel les différents contenus mentaux, tels des nuages, se lèvent puis s'éloignent.
page(s) 66-67Bulles de savon
C'est la conscience même, plutôt que les objets de notre attention, qui importe. Pouvons-nous demeurer dans la conscience même, être la conscience, la dimension de notre propre mental qui connaît immédiatement tout mouvement en son sein, toute apparition d'une pensée ou d'une émotion, une idée, une opinion, un jugement, une aspiration ?
Dans la conscience, chaque pensée peut être vue et connue. Son contenu est vu et connu pour ce qu'il est. Sa charge émotionnelle peut être vue et connue pour ce qu'elle est.
Et c'est tout. Nous n'intervenons pas pour la rechercher ou la réprimer, l'agripper ou la repousser. Chaque apparition est simplement vue et connue, reconnue, si vous préférez, et ainsi « touchée » par la conscience même, par son enregistrement instantané comme pensée.
Et dans ce contact, dans cette connaissance, dans cette vision, la pensée, telle une bulle de savon touchée du bout des doigts, se dissipe, se dissout, s'évapore instantanément. On pourrait dire, à la manière des Tibétains, qu'en cet instant de reconnaissance, la pensée, quelle qu'elle soit, s'autolibère.
page(s) 68-69Vagues
Toutes les pensées sont des événements – elles apparaissent et disparaissent dans la vastitude du champ de la conscience même, sans effort de notre part, sans intention de notre part, tout comme les vagues de l'océan s'élèvent un instant, puis retombent dans l'océan même, perdant ainsi leur identité, leur relative individualité momentanée, pour retourner à leur nature indifférenciée.
C'est la conscience qui se charge du travail. Nous n'avons rien à faire, hormis cesser de nourrir la pensée, interrompant ainsi sa prolifération en une autre pensée, une autre vague, une autre bulle.
page(s) 70Pure présence
L'incarnation de la dignité intérieure et extérieure reflète et irradie immédiatement la souveraineté de votre vie, le fait que vous soyez qui vous êtes et ce que vous êtes – au-delà des mots, des concepts et des descriptions, et au-delà de ce que l'on pense de vous, voire de ce que vous-même pensez de vous.
Il s'agit d'une dignité sans affirmation de soi – qui ne s'achemine pas vers quoi que ce soit, ni ne recule devant quoi que ce soit –, un équilibre dans la pure présence.
page(s) 57Conscience illimitée
La conscience est fondamentalement non conceptuelle – elle précède le moment où la pensée scinde l'expérience en un sujet et un objet.
La conscience est également vide et peut donc tout contenir, y compris la pensée. Elle est illimitée.
Et, étonnamment, elle est intrinsèquement connaissante.
page(s) 45Quoi qu'il advienne, rester présent
Nous ne méditons pas pour trouver un certain confort. Autrement dit, nous ne méditons pas pour nous sentir toujours bien, tout le temps. J'imagine que vous êtes sans doute choqué en lisant ceci, car tant de gens viennent à la méditation pour simplement « se sentir mieux ». Toutefois, vous serez certainement content d'apprendre que le but de la méditation n'est pas de se sentir mal. Plus exactement, la méditation nous offre l'opportunité d'être ouverts et d'avoir une attention compatissante envers tout ce qui advient. L'espace de méditation est comparable au grand ciel : suffisamment vaste pour accueillir tout ce qui survient.
Dans la méditation, nos pensées et nos émotions peuvent devenir semblables à des nuages qui s'attardent, avant de s'éclipser. Le bon, l'agréable, le plaisant, le difficile et le douloureux : tout cela va et vient. L'essence de la méditation consiste donc à s'exercer à quelque chose d'assez radical qui n'est décidément pas un trait habituel de l'espèce humaine : il s'agit de rester présents à nous-mêmes quoi qu'il advienne, sans plaquer sur nos expériences les étiquettes du bien et du mal, du juste et de l'injuste, du pur et de l'impur.
page(s) 15Les vagues et l'océan de l'esprit
En essayant ainsi de rester dans l'instant présent, libre de concepts, en agrandissant peu à peu l'intervalle qui sépare la disparition d'une pensée de l'apparition de la suivante, il est possible de demeurer dans un état de simplicité limpide qui, pour être libre de fabrications mentales, n'en est pas moins lucide, et qui, pour persister sans effort, n'en est pas moins vigilant.
Nous entraînant à l'observation de la source des pensées, nous réalisons que chacune d'elles surgit de cette pure conscience pour s'y dissoudre à nouveau, comme les vagues émergent de l'océan puis s'y dissolvent. Il n'est pas nécessaire d'aplatir ces vagues par la force, comme en voulant les couvrir d'un plateau de verre : elles se résorbent d'elles-mêmes. Il est en revanche salutaire de calmer le vent des conflits intérieurs qui forment ces vagues et les propagent.
page(s) 236Jouet des pensées
De fait, une conception répandue en Occident consiste à penser qu'être libre revient à pouvoir faire tout ce qui nous passe par la tête et traduire en actes le moindre de nos caprices. Étrange conception, puisque nous devenons ainsi le jouet des pensées qui agitent notre esprit, comme les vents courbent dans toutes les directions les herbes au sommet d'un col.
page(s) 158