Jean-Yves Leloup

Portrait de Jean-Yves Leloup

Jean-Yves Leloup (né en 1950) est un prêtre, théologien orthodoxe, analyste, philosophe et anthropologue français. Il est fondateur de l'Institut pour la rencontre et l'étude des civilisations et du Collège international des thérapeutes.

Si l'essentiel de ses publications est consacré à la spiritualité chrétienne, sa réflexion embrasse néanmoins de nombreuses autres traditions spirituelles, y compris orientales.

La pratique spirituelle mystique orthodoxe dite de l'hésychasme, telle que Jean-Yves Leloup la décrit, est sans doute ce qui dans le monde chrétien contemporain se rapproche le plus de la méditation bouddhique, avec laquelle il fait de nombreuses passerelles.

Contribution dans

Quelques ouvrages

Quelques extraits

• « Je suis »

Revenir sans cesse dans la simple intuition ou pressentiment :

« Je suis »
Je suis libre
de tout conditionnement,
de toute limite,
de toute mémoire,
de tout savoir,
de toute hérédité,
de tout passé,
de tout avenir.
Je suis un espace qui contient et accueille tout ce qui vit et respire :
les justes et les injustes, les grands et les petits, les pauvres et les riches.
Je suis présent,
présence réelle du Réel souverain,
je suis Cela,
l'inconditionné, l'innommable, l'impensable,
l'intangible, l'incréé, l'infinie liberté,
pur espace, pure vacuité,
je suis Cela.
« Je suis ».

page(s) 19
• L'attention, un autre nom pour l'amour

Ce que nous appelons « terre d'exil »
est souvent « terre promise »
à laquelle manque notre attention.
S'il faut revenir quelque part,
revenir à ce qui est,
il n'y a pas d'autre chemin
que l'attention
que celle-ci soit sensible,
affective, intellectuelle ou spirituelle…

« Les biens les plus précieux
ne doivent pas être recherchés mais attendus » :
c'est de la qualité de notre attente
ou encore de notre désir
que naît la qualité de notre attention.

L'attention est alors
un autre nom pour l'Amour,
quand celui-ci ne se contente pas
d'émotions ou de bonnes volontés
mais devient l'exercice quotidien
d'une rencontre avec ce qui est,
avec ce que nous sommes.

À travers les labyrinthes de nos préoccupations,
il faudra garder un fil d'heureuse vigilance.
Sans cette vigilance
comment pourrions-nous reconnaître
la présence Une
sous ses formes multiples
et goûter la Saveur (Sapienza) ?
Comment pourrions-nous
« prendre soin de l'Être » ?

page(s) 31-32
• Un tout autre Amour

C'est […] par l'apaisement du mental et le passage au-delà de toutes pulsions, émotions, paroles, pensées, c'est par le silence du corps, du cœur et de l'esprit qu'on entre dans une nouvelle vie, une nouvelle conscience et un tout autre Amour.

page(s) 63
• Les bras de Sophia

Plus doux que les bras de Morphée, il y a les bras de Sophia : la Sagesse qui nous donne le repos sans nous enlever la conscience. Se détendre dans les bras de Sophia, faire confiance à la sagesse du Tout (créé et incréé) qui opère par transformation silencieuse et nous place là où nous sommes : présents, vivants.

page(s) 23
• Être entièrement là

Une vie qui n'a pas de centre, c'est une vie qui n'a pas de sens. La paix (hésychia, pour les Grecs, shalom pour les Juifs, shanti pour les Indiens), c'est d'être entièrement là… […]

Une assise sans cœur est une verticale d'ennui.

Une marche sans cœur est une horizontale sans fruit.

Le centre n'est pas un point particulier du corps, mais une ouverture, un espace dans lequel nous accueillons tout ce qui est, avec lucidité, gratitude et compassion. Se tenir là où se tient l'astre, ou l'acte immobile, l'acte pur et premier, selon Aristote, « qui fait tourner la terre, le cœur humain et les autres étoiles »… Si ce n'est pas l'Amour, ça lui ressemble…

page(s) 12
• Dans le souffle et la vigilance

La traduction littérale du grec en pneumati kai aletheia devrait préciser davantage : « c'est dans le souffle (en pneumati, de pneuma, le souffle, rouah en hébreu) et la vigilance (a-letheia, sorti de la lethè – du sommeil –, léthargie) qu'ils doivent prier ».

On pourrait encore traduire : « […] c'est avec un souffle vigilant, conscient, ou encore "éveillé", qu'il faut prier ».

Aletheia, que l'on traduit par vérité, peut plus exactement se traduire par « éveil ». Jésus n'a pas dit « j'ai » la vérité, mais « je suis » la vérité ; littéralement : je suis éveillé (ego eimi aletheia). Cela vous rappelle sans doute l'étymologie du mot bouddha (de bodhi : celui dont la bodhi, l'intelligence, a été éveillée – le Bouddha n'a jamais dit « j'ai l'éveil », mais « je suis éveillé »).

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page(s) 23
• Tu peux

[L]e bonheur est possible, parce que l'attention est possible, la méditation également, mais surtout parce que le bonheur est notre véritable nature, c'est notre nature de Bouddha, notre « Être éveillé ». Savoir qu'on est éveillé, cela suffit-il pour l'être ? Savoir que « dans le fond » on est heureux, cela suffit-il pour l'être ? Il ne suffit pas sans doute de le savoir, ni de le croire, ni de l'imaginer. Il faut l'être, le laisser être, ce bonheur infini qui est aussi Conscience infinie, compassion infinie – comment ? Que ce soit par une voie directe (lâcher prise), ou une voie progressive (Octuple Sentier), cela relève de notre plus intime conviction, posse, tu peux.

page(s) 136
• Le piège

Le piège […], qu'on parle de Réalité ultime, de satori, de nirvāna, de béatitude céleste, c'est que même si nous avons des notions sur la chose et quelques petites expériences, nous n'avons pas réalisé « ce qui est », nous ne sommes pas réels et notre vie vaut ce que valent nos plus difficiles ou nos plus beaux songes.

page(s) 28
• Tout est là

Tout est là, le Réel est là, nous y sommes ; manque la perception que tout est là. C'est ainsi que le Réel nous apparaît comme voilé. Quelle est la nature du voile ? Sans doute une contraction, une tension de la perception ? La saisie objectivante d'un objet qui nous prive d'une saisie plus globale, mais nous prive surtout de la non-saisie…

page(s) 21
• Porté par le souffle

J'inspire, j'expire… puis : je suis inspiré, je suis expiré. Je me laisse porter par le souffle, comme on se laisse porter par les vagues…

page(s) 17
• Savoir être seul

À côté de la voie qui préconise le célibat, il y a aussi cette voie de la relation. Il ne faut d'ailleurs pas les opposer : pour pouvoir être vraiment avec quelqu'un, il faut savoir être seul.

page(s) 18
• Dans l'attention, l'intelligence et le cœur se rejoignent

Ce n'est pas par hasard si on appelait les anciens thérapeutes de « grands attentifs », les moines viendront les rejoindre dans ce « plaisant labeur » et c'est de leur attention qu'ils tireront leur connaissance et leur louange, l'attention étant ce moment unique où peuvent se rejoindre l'intelligence et le cœur. […]

L'attention est ici considérée comme un remède, c'est un retour au réel et si la conversion « est le retour de ce qui est contraire à la nature vers ce qui lui est propre » [Jean Damascène], l'attention est bien ce chemin de retour. Elle nous fait revenir de cet exil qui est l'oubli de l'Être, plus encore elle nous fait revenir de l'enfer qui est absence de Miséricorde.

page(s) 37
• Voir sans juger

Méditer comme une montagne avait également modifié le rythme de ses pensées. Il avait appris à « voir » sans juger, comme s'il donnait à tout ce qui pousse sur la montagne « le droit d'exister ».

page(s) 14
• « Je suis perdu »

[L]e chemin est celui du retour à la Source, du « je suis perdu » au « je suis retrouvé ». En sachant que le « je suis retrouvé » est tout, alors que le « je suis perdu » n'est rien d'autre que moi, le moi de celui qui dit : « Je pense donc je suis » et qui s'identifie à sa capacité de penser et à ses pensées comme d'autres s'identifieront à leurs sensations ou à leurs émotions.

page(s) 17
• Fleurir le temps qu’il nous est donné

La montagne lui avait donné le sens de l'Éternité, le coquelicot lui enseignait la fragilité du temps : méditer c'est connaître l'Éternel dans la fugacité de l'instant, un instant droit, bien orienté. C'est fleurir le temps qu’il nous est donné de fleurir, aimer le temps qu’il nous est donné d'aimer, gratuitement, sans pourquoi, car pour qui ? Pour quoi fleurissent-ils, les coquelicots ?

Il apprenait ainsi à méditer « sans but ni profit », pour le plaisir d'être et d'aimer la lumière. « L'amour est à lui-même sa propre récompense », disait saint Bernard. « La rose fleurit parce qu'elle fleurit, sans pourquoi », disait encore Angelus Silesius.

page(s) 16