Chögyam Trungpa Rinpoché

Portrait de Chögyam Trungpa Rinpoché

Chögyam Trungpa (1939-1987) fut l'un des maîtres majeurs responsables de l'introduction du bouddhisme en Occident.

Reconnu bébé comme réincarnation d'un maître, il reçut toute sa jeunesse au Tibet une formation traditionnelle dans la lignée Kagyu. En 1959, contraint à fuir la répression chinoise, il traversa l'Himalaya pour rejoindre l'Inde.

En 1963, il partit en Angleterre étudier la culture occidentale à l'université d'Oxford. En 1967, il fonda en Écosse son premier centre de méditation. Au cours d'une retraite, il eut l'intuition que le principal obstacle à la transmission du bouddhisme en Occident est que les gens l'approchent dans une attitude consumériste qu'il qualifia de « matérialisme spirituel ». En 1968, il renonça à ses vœux monastiques et abandonna la robe safran qui en est le signe.

En 1970, il se maria, puis partit aux Étas-Unis. Il y fonda plusieurs centres de méditation – le plus important étant l'université Naropa à Boulder, Colorado – dans lesquels il donna des enseignements en abondance.

S'appuyant sur une connaissance approfondie des deux cultures, le génie de Chögyam Trungpa est d'avoir inventé une transmission du bouddhisme à la fois fidèle à l'essence de la tradition tibétaine, tout en étant débarrassée de son folklore et formulée dans des termes adaptés à la sensibilité occidentale. Chögyam Trungpa a notamment développé un enseignement Shambhala, laïque, sorte de voie chevaleresque qui vise à renouer avec la bonté primordiale présente en chacun de nous.

La vision de Chögyam Trungpa était vaste. Dans les centres qu'il a fondés, à côté de la méditation on trouve d'autres pratiques venant plutôt du zen japonais (ikebana, cérémonie du thé, tir à l'arc), et l'on s'intéresse à la psychothérapie et aux pratiques artistiques. Le titre de l'un de ses nombreux ouvrages, Folle sagesse, pointe bien la hardiesse des intuitions de ce maître génial totalement affranchi des conventions.

Au premier contact, beaucoup trouvent ses ouvrages difficiles d'accès. On peut penser que cela tient au fait que la plupart de ces livres sont en fait des retranscriptions puis traductions de causeries qu'il a données. Mais la véritable raison tient à la façon qu'avait Chögyam Trungpa, en toute situation, de faire en sorte de « retirer le tapis de dessous les pieds » pour à la faveur de la désorientation, provoquer une expérience libre des préconceptions.

Lignée Chögyam Trungpa

Quelques extraits

• Désobstruer l’éveil plutôt que l‘établir

Selon la tradition bouddhiste, l'avance sur le sentier spirituel consiste à pourfendre notre confusion et à recouvrer l'état d'éveil, condition originelle de notre esprit. Lorsque l'esprit, dans sa condition éveillée, est encombré par l'ego et la paranoïa attenante, il prend les caractéristiques d'un instinct sous-jacent. Aussi n'est-il pas tant question d'édifier l'état d'éveil que de réduire en cendres les confusions qui l'obscurcissent. Et c'est dans le processus même de destruction de ces confusions que l'on accède à l'illumination.

S'il en était autrement, la condition éveillée de l'esprit serait un produit dépendant des causes et des effets, et donc soumise à dissolution. Tout ce qui a été créé doit, tôt ou tard, périr. Si l'illumination était une création, l'ego pourrait toujours, se réaffirmant, causer un retour à l'état de confusion. L'illumination est permanente parce que nous ne l'avons pas produite, nous l'avons seulement découverte. Dans la tradition bouddhiste, on a souvent recours à l'image du soleil apparaissant derrière les nuages pour expliquer la découverte de l'illumination.

Dans la pratique de la méditation, nous chassons la confusion de l'ego pour entrevoir la lumière de l'éveil. Si nous savons nous débarrasser de l'ignorance, de l'encombrement intérieur, de la paranoïa, nous nous ouvrons à une vision fabuleuse de la vie. On découvre une nouvelle façon d'être.

page(s) 12-13
• Sortir de la dualité

La pratique spirituelle consiste à sortir de la dualité du « moi », du « mien », par rapport à l'« autre », sortir du « qui est moi » et « qui n'est pas moi ».

page(s) 20
• Bouddhisme versus disciplines déistes

Bien que la voie du Bouddha ne soit déiste, elle n'entre pas en contradiction avec les disciplines postulant l'existence d'un Dieu. Les différences entre les voies portent plutôt sur l'accent et la méthode. Les problèmes fondamentaux du matérialisme spirituel sont communs à toutes les disciplines spirituelles. Dans l'approche bouddhiste, on part de la confusion et de la souffrance qui sont notre lot, et l'on s'emploie à démêler l'écheveau des causes. Dans l'approche déiste, on part de la richesse divine, et l'on tâche d'élever sa conscience jusqu'à faire l'expérience de la présence de Dieu. Mais dès lors que notre confusion et nos points négatifs sont un obstacle à la relation avec Dieu, l'approche déiste doit s'en occuper aussi. L'orgueil spirituel, par exemple, est tout à fait un problème commun aux disciplines déistes et au bouddhisme.

page(s) 12
• Se voir soi-même et voir au-delà de soi-même

La méditation, c'est la clé pour se voir soi-même et pour voir au-delà de soi-même.

page(s) 23-24
• « Méditer » n'existe pas

[S]elon la philosophie du Bouddha, il n'y a pas de verbe « méditer ». Il y a seulement un substantif, « méditation ». Il n'y a pas de méditer. On ne médite pas, on est dans un état de méditation. […]

« Méditation » est un nom qui dénote que vous êtes déjà dans un état de méditation. Alors que « méditer » donne l'impression d'une activité qui prend place tout le temps, que l'on médite sur ceci ou sur cela : on se concentre sur la lueur vacillante d'une bougie, on observe la combustion d'un bâton d'encens, on écoute son pouls, son rythme cardiaque, on écoute les résonances de sa récitation mantrique mentale – quoi que ce soit.

page(s) 16
• La méditation et l’action

La méditation nous prépare à l’action, et il arrive parfois que l’action nous prépare à la non-action. C'est comme respirer : lorsque vous expirez, c'est l’action ; mais pour expirer il faut inspirer à nouveau. Ça continue comme ça. Il est donc important de pratiquer une discipline très stricte pour apprendre à être immobile et solide. Il se dégage de cela beaucoup d'énergie et beaucoup de sagesse. Dans la vie, la méditation et la post-méditation ont une valeur égale, tout comme il est important d'inspirer et d'expirer.

page(s) 31
• Aider le monde

Nous devons essayer de voir comment nous pouvons aider le monde ; si nous n'apportons pas notre aide, personne ne le fera. […I]l suffit de commencer par sa famille, ses amis, son entourage. En fait, on peut commencer par soi-même. L'important est de se rendre compte qu'on est constamment de service, qu'on ne peut jamais simplement se détendre, car le monde entier a besoin d'aide.

page(s) 31
• Être pleinement là

On pourrait dire que le fait qu'on ne nous ait pas offert un siège de cabinet confortable sur lequel nous percher est un don de Dieu. On nous a présenté au contraire une lame de rasoir en guise de siège. Impossible de se percher sur une lame de rasoir, on ne peut qu'y être, en restant attentif. La lame de rasoir est une expression de l'espace de tous les autres domaines. Il se peut que les autres endroits soient menaçants et que la lame de rasoir devienne un lieu confortable sur lequel s'asseoir, comme il se peut que les autres endroits soient accueillants et que la lame soit menaçante.

Quoi qu'il en soit, ce qui compte c'est la sensation d'être pleinement là, sans une once d'hésitation. Toute la situation devient extrêmement puissante et spacieuse, ce qui correspond à l'aspect éveillé ou transcendant du maṇḍala.

page(s) 33-34
• Les choses telles qu’elles sont

[L]a déraison signifie abandonner les arguments logiques, laisser tomber les concepts. Les choses telles qu’elles sont conceptualisées ne sont pas les choses telles qu’elles sont.

page(s) 34
• Le seul amour pur, celui pour son maître

Selon l'analogie traditionnelle de la voie spirituelle, le seul être qui nous montre réellement de l'amour est celui qui nous indique le chemin. On peut éprouver de l'affection pour ses parents, ses frères et sœurs, etc., mais ce sont quand même des relations à problèmes, puisque la névrose y est à l'œuvre. La seule relation amoureuse pure qui puisse exister est celle qu'on établit avec son maître spirituel.

page(s) 34
• Ne pas essayer de supprimer les pensées

Imaginons quelqu'un en train de songer à la promenade qu'il fera au prochain jour férié : il est tellement plongé dans ses pensées que c'est presque déjà comme s'il y était, et il n'a même pas conscience que ce ne sont que des idées. Alors que si l'on s'aperçoit au contraire que c'est purement et simplement en pensée qu'on s'est fait cette représentation, on commence à s'apercevoir aussi que cela présente une moindre qualité réelle.

Il ne faut pas essayer de supprimer les pensées dans la méditation, mais il faut essayer simplement de voir leur nature transitoire, la nature translucide des pensées. Ne pas se laisser prendre par elles, ne pas les rejeter non plus, mais les observer au passage, tout simplement, et puis revenir à la conscience de la respiration.

page(s) 132-133
• Accumulations de pensées

Au départ, lorsqu'on commence à s'asseoir et à méditer, [les] accumulations de pensées surgissent bel et bien. Elles nourrissent continuellement le processus mental. Des pensées discursives, raisonnements et refus de se regarder tel qu'on est – toutes sortes de pensées – font leur apparition. Il semble donc important de connaître quelque chose à leur sujet. Autrement dit, on pourrait utiliser ces pensées au lieu de faire semblant d'être bon et d'essayer de les refouler, comme si on n'en avait plus besoin ou comme si elles n'avaient plus besoin de nous.

C'est une bonne chose d'utiliser l'esprit qui spécule. C'est précisément la raison pour laquelle il est de première importance d'étudier les enseignements bouddhistes et de s'adonner aux diverses disciplines et pratiques. C'est une façon d'employer ces matériaux vivants dont on dispose. Qu'on essaie ou non de se calmer, tout cela surgit sans arrêt, tout cela arrive. Par conséquent, utiliser ces processus mentaux comme moyens d'apprentissage est hautement nécessaire, bon, utile et important.

page(s) 21
• Le seigneur de la parole

Le Seigneur de la Parole concerne l'emploi de l'intellect dans la relation à notre monde. Nous adoptons des jeux de catégories qui nous servent de manettes pour contrôler les phénomènes. Les idéologies, systèmes d'idées qui rationalisent, justifient et sanctifient nos vies, sont les produits les plus pleinement développés de cette tendance. Nationalisme, communisme, existentialisme, christianisme, bouddhisme, tous les « isme » nous munissent d'identités, de règles d'action et d'interprétations sur le pourquoi et le comment des choses telles qu'elles surviennent.

De nouveau, l'usage de l'intellect n'est pas en soi le Seigneur de la Parole. Le Seigneur de la Parole se réfère à cette inclination de l'ego à interpréter tout ce qui le menace ou l'irrite de façon à neutraliser la menace ou la convertir en quelque chose de « positif » de son point de vue. Le Seigneur de la Parole concerne l'usage des concepts comme filtres qui font écran à une perception directe de ce qui est.

page(s) 14-15
• Nous voudrions transcender travail, sexe et argent

De votre point de vue, vous observez peut-être que nombre de personnes dont les valeurs sociales sont conservatrices ne veulent pas aller à l'essentiel du travail, du sexe et de l'argent. Leur vision de la vie est vraiment stérile. Sans force. Elle se fonde largement sur la reproduction de concepts, et c'est une vision très sérieuse – tout comme celle qui consiste à refuser de vivre comme la majorité.

Pour la plupart d'entre nous, quels que soient nos opinions politiques ou notre statut social, l'argent relève de la sphère privée, le sexe relève de la sphère privée, tout comme le travail. Nous ne souhaitons pas le moins du monde en discuter avec autrui. Nous voudrions transcender ces situations, nous élever au-dessus d'elles.

page(s) 26
• Le maṇḍala, existence interdépendante des choses

Le mot maṇḍala signifie littéralement « association » ou « société ». Le terme tibétain est kyilkhor. Kyil signifie « centre » et khor signifie « bordure », « gestalt », « périphérie ». C'est une façon d'aborder les choses sous un angle relatif : si cela existe, alors ceci existe, et si ceci existe, alors cela existe. Les choses existent en interdépendance, et cette existence interdépendante des choses se produit sous la forme d'un chaos ordonné.

page(s) 29
• Attention n'est pas concentration

[L]'attention n'a absolument rien à voir avec la concentration attentive dont vous avez eu l'expérience à l'école.

page(s) 27
• Nous ne voyons que projections

Les choses existent telles qu'elles sont, mais on a tendance à voir notre version de ces choses telles qu'elles sont, et non à les voir comme elles sont vraiment. C'est ainsi que tout ce qu'on voit se transforme en projections.

page(s) 24
• Utiliser l'ego

L'ego est une tromperie, en un sens, mais il n'est pas obligatoirement mauvais. C'est avec l'ego que vous avez à débuter et c'est l'ego que vous utilisez d'abord, puis il s'use progressivement comme une paire de chaussures. Mais il faut vous en servir à fond, l'user complètement, qu'il ne soit ni ménagé, ni conservé.

page(s) 116
• Les projections du moi sont sans substance

Le moi arrive à maintenir son identité au moyen de ses projections. Lorsque nous sommes capables de regarder ces projections comme étant non substantielles, le moi devient lui aussi transparent.

page(s) 5
• Nous exposer de manière abrupte à l'esprit inconditionnel

Chaque pratique que nous pouvons accomplir ne vise qu'à nous exposer de manière abrupte à l'esprit inconditionnel (et jamais à nous convaincre conceptuellement de quoi que ce soit). [Fabrice Midal]

page(s) 43