Méditation et psychothérapie

Albin Michel, 2000
11 cm x 18 cm, 250 pages


Couverture de Méditation et psychothérapie

Extraits de l'ouvrage

• Trois niveaux d'existence

[La] civilisation [indienne] n'accepte ni le monisme matérialiste, implicite ou explicite, cultivé dans l'Occident moderne, ni le dualisme âme-corps, souvent tragique, auquel aboutit le christianisme des derniers siècles, ni l'idéalisme angélique de certains philosophes.

Sa vision du monde phénoménal est plurielle et hiérarchiquement intégrée. Elle distingue trois principaux niveaux d'existence : les mondes de la matière ou de la forme grossière, du mental ou de la forme subtile, et enfin de l'esprit informel.

page(s) 47
• Les trois yeux de la connaissance

Ken Wilber, dans Les trois yeux de la connaissance, rappelle la formule bonaventurienne des trois yeux :

  • l'œil de chair perçoit le monde extérieur de l'espace, du temps et des objets ;
  • l'œil de raison utilise la logique, articule les faits, élabore des concepts et connaît le mental lui-même ;
  • l'œil de contemplation connaît les réalités transcendantes et les vérités salutaires qui mènent à la libération du monde phénoménal et à la réalité ultime.

L'œil de chair, celui de l'expérience sensori-motrice, nous est commun avec les animaux.

L'œil de raison utilise les informations qui en proviennent, mais perçoit directement les formes subtiles et les idées. Il comprend et transcende l'œil de chair, de même que le mental dirige et anime (anima) le corps. Le domaine matériel est formé et dirigé par le mental, ce que montrent son intelligibilité logico-mathématique, tout autant que les miracles, ou les effets psycho-kinétiques enregistrés par la parapsychologie.

L'œil de contemplation, enfin, transcende l'œil de raison comme celui-ci transcendait l'œil de chair. Il connaît de façon immédiate ce qui est au-delà de la logique et des concepts, ce qui est conscience pure, lumineuse et béatifique. L'achèvement de la méditation et de l'homme se trouve dans cette contemplation de la réalité ultime, qui est aussi la réalisation de sa nature essentielle.

page(s) 48-49
• Un entraînement physique et mental, éclairé par l'esprit

En pali, le terme technique bhāvanā, que l'on traduit inexactement par « méditation », serait mieux rendu par « exercice » (c'est aussi le sens de gompa en tibétain), en comprenant qu'il s'agit d'un entraînement physique et mental, éclairé par l'esprit, qui vise à développer, transformer puis dépasser le moi empirique.

L'erreur courante, due au sens français issu de la réflexion intellectuelle, consiste à limiter l'exercice à son niveau mental et conceptuel, alors qu'il intéresse indissolublement le corps, le mental – sous tous ses aspects – et l'esprit.

page(s) 50
• Libérer le moi

[I]l ne s'agit pas d'assassiner le moi mais de le libérer. Cet organe psychique, indispensable au début de l'évolution de l'être, situé dans une perspective évolutive à mi-chemin du nirvāna, n'est pathogène que si l'on s'y identifie et s'y fixe, au lieu de le dépasser.

Mais il faut s'individualiser avant de se dissoudre. Seul un moi fort peut accepter sans crainte de laisser place au non-moi du bouddhisme (anātman), qui le transcende.

page(s) 50
• La méditation de concentration

La famille [de méditation] de la concentration (samādhi) […] consiste à focaliser consciemment, progressivement, de façon soutenue, intense et prolongée, des heures voire des jours, l'activité mentale sur un seul point. Ce faisant, toutes les activités mentales autres que celle choisie sont temporairement éliminées, par exemple l'activité sensorielle et la perception du monde extérieur, puis celle du corps propre et finalement la pensée discursive.

L'approfondissement de cette concentration, quel qu'en soit l'objet au départ, amène le développement de phénomènes spécifiques de la seule concentration, qui constituent les états d'extase, ou d'enstase (Mircea Eliade), appelés dhyāna dans le bouddhisme et samādhi dans l'hindouisme. Ceux-ci se rangent le long d'une échelle étendue qui part de notre condition ordinaire pour atteindre, après un dur entraînement, un état final d'apparence cataleptique, coupé du monde matériel mais intensément focalisé sur l'esprit seul. La conscience y est absorbée dans un état de lucidité sereine et béatifique, supraconceptuelle, donc ineffable, dont il existe plusieurs degrés.

page(s) 51-52
• La méditation de vision pénétrante

La famille [de méditation] de la vision pénétrante ([vipassanā]) est la mise en jeu de la dimension essentielle de l'esprit, cette vision lucide, transcendante, non duelle, de ce qui est comme c'est. Cette expression spontanée, non empêchée, de la sagesse ultime qui nous éclaire est à la fois le moyen de la libération et le témoignage de ce que la liberté est déjà là.

La vision transcendante est l'agent de la dissolution de tous les liens et de la connaissance intégrante de tous les points de vue partiels. Seule véritable force de transformation et de libération, elle peut s'exercer même sans culture systématique de la concentration, bien que cette dernière en facilite et accélère les effets. […]

[C]ette attention claire et ouverte réalise la connaissance juste et la transformation par la disparition des obstacles affectifs et cognitifs, que la construction historique du moi oppose à l'élargissement de la conscience. Elle effectue ce qu'on peut appeler la « désautomatisation », ou la déprogrammation des processus cognitifs figés. La désidentification d'avec ce moi – ultimement « illusoire » comme dit le bouddhisme, bien qu'il ait été temporairement nécessaire – constitue la tâche fondamentale, et redoutable, du pratiquant d'une voie spirituelle ; elle culmine dans la réintégration en Dieu, l'identité suprême, l'identification Atman-Brahman, le nirvāna, la cessation définitive de toute trace d'ignorance et d'attachement au désir et à la répulsion.

page(s) 53-54
• La méditation est profondément incarnée

La méditation n'est pas angélique et s'incarne profondément, à la différence d'une simple réflexion philosophique.

À leur tour, les effets biologiques constituent une base convenable pour les changements psychiques et l'ouverture spirituelle, suivant une causalité complexe et circulaire, sur laquelle le Bouddha a toujours insisté et que l'Occident moderne redécouvre (Edgar Morin).

page(s) 59
• Méditation, réflexion, éthique et dévotion

[D]ans son milieu traditionnel naturel, la méditation est toujours accompagnée d'étude et de réflexion, de mise en œuvre d'une conduite éthique et de dévotion. Elle s'associe donc des méthodes qu'on pourrait appeler cognitives, affectives et comportementales.

page(s) 63
• Toucher, lâcher

La matière première de la vision pénétrante est l'activité mentale incessante mue par les désirs, les répulsions et l'ignorance (la triade infernale), classiquement comparés à l'agitation bruyante d'une bande de singes. Dans le défilé ininterrompu des désirs, projets, souvenirs agréables ou traumatiques, discours compensateurs, autocritiques qui se présentent, le méditant attentif examine tout, ne retient rien, n'approuve ni ne condamne, mais laisse tout choir. Tout ce qui parvient à la conscience est contemplé et laissé à son sort qui est de disparaître.

page(s) 63-64
• Laisser advenir, toucher, lâcher

Le processus de libération réside dans cette séquence :

  • laisser advenir la production mentale, ce qui suppose un minimum de confiance en soi, dans le maître et la méthode ;

  • maintenir l'attention sur le phénomène, sans l'entretenir, ce qui suppose un minimum d'humeur équanime et de lucidité attentive ;

  • abandonner le phénomène et retourner à l'objet habituel d'attention, la sensation corporelle, ce qui suppose un minimum de détachement et d'autonomie de la conscience.

La répétition de cette séquence dans une atmosphère calme assure […] des micro-décharges émotionnelles, qui finiront par réaliser des abréactions efficaces. La décharge des affects, du potentiel énergétique des saṃskāra, pour utiliser le vocabulaire hindou ou bouddhique, fait partie du travail indispensable de la voie spirituelle… et thérapeutique. Mais dans la première, le but est bien de se débarrasser de la totalité des saṃskāra.

page(s) 64-65

Contributions de

Sous la direction de Jean-Marc Mantel : Brigitte Kashtan, Jean-Pierre Schnetzler, Jacques Castermane, Bernard Auriol, Robert Dumel, Marshall Govidan, Jacques Donnars, Jacques Vigne, Marc-Alain Descamps. Avant propos de Marc de Smedt.

Quatrième de couverture

Signe des temps, la médecine et la psychologie modernes s’ouvrent de plus en plus à la dimension spirituelle de l’humain. L’homme n’est plus seulement vu comme un patient, couché sur une table d’examen ou sur un divan, mais comme un être debout, relié verticalement aux plus hautes dimensions de l’existence. Dans ce recueil, psychiatres, psychologues, psychothérapeutes et spécialistes de la méditation discutent ensemble pour la première fois d’une approche globale de l’homme afin d’aller plus loin que la simple guérison. La véritable santé, au terme de ce parcours, apparaît ainsi indissociable d’une réalisation intérieure, d’une plénitude vécue dont le thérapeute est le vecteur et l’artisan.