Érik Sablé

Portrait de Érik Sablé

Érik Sablé (né en 1949) est un éditeur, traducteur et écrivain français versé dans le domaine de la spiritualité, notamment orientale, et plus particulièrement le tantrisme, le bouddhisme et le taoïsme. Il a découvert la méditation à dix-neuf ans par la rencontre d'un moine bouddhiste sri-lankais. Afin d'accéder aux sources, il a ensuite rapidement étudié le sanskrit et le tibétain.

Éditeur, il est le créateur de la maison Terre Blanche dédiée aux spiritualités orientales. Il a également dirigé pendant quelques années la collection Chemins de sagesse chez Dervy. Érik Sablé s'intéresse aux mystiques de toutes traditions, avec un faible pour les libertaires, qu'ils soient taoïstes ou bouddhistes chan, zen ou tibétain – comme Tilopa ou Milarépa, figures maîtresses de la lignée Kagyupa.

Érik Sablé a non seulement beaucoup lu, mais aussi beaucoup voyagé et exercé toutes sortes de métiers : gardien d’immeuble, lapidaire, ouvrier agricole, charpentier ou accompagnateur en montagne. Il est également passionné par l'observation des oiseaux. S'il est aussi auteur de livres pour enfants, ses nombreux petits livres de spiritualité débordent de la fraîcheur enfantine, de la joie et de la poésie qui siéent au sage véritable. Et ses descriptions phénoménologiques du processus de la méditation sont d'authentiques trésors.

Quelques ouvrages

Quelques extraits

• Émerveillement et silence

La pensée de l'émerveillement est simplement une introduction au silence. […] Les mots sont simplement là comme support. Ils sont un bâton que le pèlerin de l'émerveillement abandonne.

page(s) 18
• Nous sommes endormis

Nous sommes endormis car le monde tel qu'il est, nous semble « évident », banal, limpide, incontestable, certain, alors qu'il est mystère.

page(s) 21-22
• La croyance en la réalité du monde source de chaos

Pour Sigismond [héros de La vie est un songe], que ce soit le cachot ou la cour, ce monde lui apparaît comme une fantasmagorie, un mirage, où tout étant également illusoire, rien n'a réellement d'importance.

Cette conception de l'irréalité du monde le conduira à l'humilité et sera la source de sa sagesse future. Le roi son père finira par reconnaître son profond changement. Sigismond régnera pour le plus grand bien du royaume.

Comme les bouddhistes, Calderón considère donc la croyance en la réalité du monde comme une source de violences, de conflits, de désordres. Parce que l'homme est préoccupé, inquiet. Les problèmes se dressent dans toute leur immensité.

En revanche, en changeant de perspective, en considérant le monde comme un songe, celui-ci s'allège, se libère de la pesanteur. L'être relativise les obstacles qui acquièrent de ce fait la consistance fluide, mouvante, du rêve.

Sans doute faudrait-il faire subir le « traitement Sigismond » à beaucoup de nos dirigeants.

page(s) 66-67
• Émerveillement versus étonnement

[L]'émerveillement est plus que le simple étonnement. Il est un étonnement auquel s'ajoute une effervescence émotionnelle, un trouble, une joie, un enthousiasme. C'est un étonnement qui s'approfondit, s'élargit.

En fait, l'émerveillement est une réponse à l'étonnement, son aboutissement. L'homme s'étonne, et le fruit de cet étonnement est l'émerveillement, car l'émerveillement se suffit à lui-même.

page(s) 7
• Le réel, une simple croyance collective

[N]ous ne vivons pas dans un univers objectif, le même pour tous, que nous découvrons progressivement, mais nous créons, nous inventons le monde. Le réel est une simple croyance collective.

L'objectivité apparaît de plus en plus comme un mythe. Un mythe totalitaire, dangereux.

En vérité, chaque culture développe son propre rêve… et aucun rêve n'est supérieur aux autres.

page(s) 7-8
• Le désir ou la crainte amène l’identification

Si nous observons bien le déroulement d'un rêve, nous nous apercevons que nous sommes constamment impliqué émotionnellement. C'est cette implication qui fait que nous sommes emporté dans les péripéties du rêve.

Le fait que nous sommes dans le désir ou la crainte, amène l’identification.

Par analogie, nous pourrons comprendre que le même mécanisme est peut-être à l'origine de notre croyance en la réalité de l'état de veille…

page(s) 86
• Cela qui veille au fond de nous

[La méditation de l'impermanence] amène le réflexe de se « tirer en arrière », le désir de trouver un élément stable qui échappe à ce flux, ce mouvement, cette mort universelle. Nous nous tournons vers « cela » qui veille au fond de nous, la Présence demeurant stable au cœur de l'océan du devenir. Dans ce refuge réside la joie et la paix auxquelles nous aspirons secrètement derrière chacun de nos désirs, chacune de nos actions.

page(s) 40
• Le miracle de chaque instant

Apparemment, l'émerveillement est attente d'une réponse, comme un vide qui aspire à être rempli.

Mais en réalité, il n'attend rien. Il nous met simplement face au mystère.

Car toute réponse est faite de mots. Toute réponse est une fermeture, une mort. Et le paradoxe du monde peut simplement être posé…

La réponse EST le miracle de chaque instant…

page(s) 48
• Rien n’est commun

Pour l'œil émerveillé, rien n’est commun. Même l'arbre, devant la fenêtre, que je vois tous les jours, fait partie d'un espace neuf, magique. Comme si je le regardais pour la première fois.

Le problème est que ce petit éclat d'émerveillement s'efface et devient quête d'une réponse. […] Il faut dire que la grâce de l'émerveillement demande un état de veille particulier, difficile à maintenir.

page(s) 14
• Vacuité, source de plénitude

Si l'univers que nous percevons est un rêve, alors quelle est la réalité ? Qu'y a-t-il derrière le voile de la Maya, l'illusion ? Est-ce une créature monstrueuse à la Lovecraft ? Un être à quatre dimensions aux propriétés étranges ?

Pour les bouddhistes de l'École Sautrāntika – apparue aux alentours du IIème siècle avant J-C. et qui s'opposa à la scolastique bouddhiste – la réalité est profondément discontinue. Toute perception, tout état interne ou externe, sont composés d'instants (ksana) qui se suivent les uns les autres, jaillissent et disparaissent, entrecoupés de minuscules moments de vide.

Si nous ne voyons pas cette réalité, c'est que nous manquons d'attention, de cette « vision profonde » que donne la pratique spirituelle.

Pris par la dynamique de l'illusion, ces instants forment une image ayant une apparence de continuité. Cette image illusoire qui se superpose à la réalité discontinue des instants, se nomme samtana (santanapāli). Samtana est le rêve qui nous illusionne.

Robert Kientz qui pratique la méditation vipassanā auprès d'un moine bouddhiste en Birmanie, eut la révélation de cette discontinuité universelle.

Après plusieurs semaines de pratique, son corps, son esprit, le monde entier, lui apparurent dans leur réalité. Cette réalité est une succession d'états de conscience distincts qui apparaissent, disparaissent, extrêmement rapidement, beaucoup trop rapidement pour être saisis par la conscience ordinaire. Rien n'était fixe, même son corps prenait une apparence puis une autre.

Il n'y avait aucun « moi » stable, aucune essence permanente, aucune substance fixe. Les phénomènes surgissaient du vide et y retournaient sans but, sans raison. Il n'y avait pas de penseur, seulement des pensées qui se succédaient, pas de « moi » percevant, seulement des perceptions.

Toute forme se révélait éphémère, fluctuante, instable, et c'était le sens le plus profond de l'impermanence dont parle le Bouddha qui n'est pas une simple théorie philosophique, mais le fruit d'une expérience précise. […]

Ultimement l'univers est donc vacuité et ce vide qui est le réel est source de plénitude.

page(s) 45-47
• Prosélytisme : méfiance

Les néophytes qui ont vécu une certaine paix grâce à la méditation, ont tendance à vouloir « convertir » tout le monde, à jouer les gurus. En agissant ainsi ils obéissent surtout à la volonté de pouvoir de leur ego tout en étant persuadé d'agir par « pure compassion ».

page(s) 27
• L’espace originel paradisier

Le cristal de l'enfance prend sa source dans l'émerveillement.

Pour l'enfant, chaque instant s'ouvre neuf, clair, creusé de l'intérieur.

C'est l’espace originel paradisier…

Puis cet espace vertical de l'enfance fait place à l'horizontalité, à l'écoulement, au temps, aux bornes, aux limites, et avec les bornes et les limites, la mort apparaît.

D'un côté, l'instant toujours neuf de l'émerveillement, de l'autre l'habitude et la mort.

page(s) 52
• Le monde parle comme un rêve

[T]oute personne qui entretient un lien magique avec sa propre vie, sait que de tels faits [de synchronicité] existent en profusion. Si nous sommes suffisamment attentifs, c'est réellement une « forêt de symboles » qui s'ouvre. Tout parle. Tout est signe. L'univers reflète nos états intérieurs, et la destinée peut s'interpréter comme un rêve s'interprète.

Cette étrange osmose entre le « dedans » et le « dehors » suggère que le monde extérieur se déroule en fait à l'intérieur de notre conscience… comme un rêve. Comme si la substance du rêve et la substance du monde étaient deux cristallisations différentes de la même et unique substance.

Si le monde parle comme un rêve, c'est qu'il est un rêve.

page(s) 58
• Le sens de la vie est peut-être le silence

Quel est le sens de la vie si le monde est un songe ?

En d'autres termes, les multiples péripéties de nos rêves ont-elles un sens pour les individus qui les habitent ?

Imaginons le personnage d'un de nos rêves qui s'interrogerait gravement, avec profondeur, sérieux, sur la destinée humaine et se poserait les questions essentielles que se posent les hommes depuis quelques milliers d'années. Une sorte d'Hamlet plein de dignité qui se demanderait d'où je viens, où je vais, quel est le sens de ma vie.

Pour un être éveillé, la situation semblerait plutôt comique.

S'il avait la possibilité de s'introduire dans le rêve, que lui dirait-il ?

Il pourrait peut-être lui répondre comme les vieux brahmanes : « Ton problème est mal posé. Tu es juste la brève imagination d'un rêveur. Ton existence va s'effacer avec la disparition du rêve et seul demeurera le rêveur que tu ignores. »

Ou alors, selon un vieil usage oriental, peut-être lui répondra-t-il par le silence. Car c'est par le silence que l'on répond à une question mal posée.

Ainsi, si l'univers est un rêve, le sens de la vie est peut-être le silence…

page(s) 43-44
• Le silence intérieur

Le silence intérieur est la condition pour que naisse une réalité spirituelle. L'esprit doit être vide du monde et de son image, libre de l'agitation des pensées et du tumulte des émotions pour que la Présence se déploie au sein de l'être. Cette Présence que certains nomment Dieu, est le plus intime, le plus secret, ce qui ne se montre jamais, ne peut s'objectiver. Elle est voilée par les préoccupations quotidiennes et toutes les formes de l'extériorité, et seule la nudité, la pauvreté « en esprit », nous ouvre à cet indicible.

page(s) 5
• Méditation et psychothérapies

La méditation n'est pas non plus une forme de thérapeutique. Les psychothérapies peuvent nous aider à rendre notre individualité plus lucide, plus harmonieuse, les relations avec les autres plus aisées, mais pas à nous libérer de l'ego.

Or, précisément, la méditation ne vise pas à ce que notre personnalité devienne plus performante, mais au contraire à la mettre « entre parenthèses » pour que le méditant perçoive son caractère illusoire. Finalement, elle s'efface et seul demeure l'état de Présence.

Les thérapies ne peuvent pas non plus nous aider à connaître réellement le fonctionnement du mental. Elles restent toujours à la surface, sans pouvoir saisir les « racines » de nos passions, de nos émotions, de nos pensées, justement parce qu'elles manquent de cette profondeur, de cette distance que donne la pratique de la méditation. Seule cette discipline permet de voir les émotions arriver « de l'extérieur » pour les saisir dans leur réalité.

page(s) 23
• Méditer : l’appel du large

La volonté de méditer ne suffit pas. Après quelques moments de détente ou d'euphorie, la pratique devient difficile. Notre esprit est constamment agité, distrait, instable. Il est habitué depuis toujours à suivre le courant de ses désirs, de ses craintes, et ces habitudes sont profondément enracinées dans la psyché, beaucoup plus que nous le pensons. Nous réalisons qu'un simple « désir de méditation » comme nous éprouvons le désir de jouer au golf ou d'apprendre le chinois, ne mène à rien.

En réalité, la méditation n'est pas seulement une méthode de relaxation pour Occidental stressé. Si nous voulons que la méditation transforme réellement notre vie, il faut que notre démarche soit un engagement. La méditation est un « travail sur soi » qui demande de se prendre en main, une discipline, une pratique analogiquement semblable à l'apprentissage du piano, du tir à l'arc ou de l'aïkido. Et pour cela, il est nécessaire de s'investir, de ressentir profondément le besoin de méditer.

Ce désir est un peu semblable à l'appel du large éprouvé par le navigateur. Même si cette aspiration reste vague, mal définie, elle est essentielle. En la cultivant, en la reconnaissant, elle devient comme une flamme qui brûle et nous pousse vers l'intérieur de notre être, dans un mouvement inverse à celui des sens qui nous entraînent au contraire à l'extérieur.

page(s) 14-15
• Méditation sans sagesse n'est que ruine…

Une pratique de méditation seule ne peut amener la paix de l'esprit. Même si nous pouvons connaître des moments de silence intérieur, la sérénité ne peut s'installer. Il est nécessaire d'avoir au préalable et en parallèle, une « pratique de sagesse ». [… Il ne s'agit pas d']une discipline  « morale » qui viserait à nous améliorer pour devenir un meilleur citoyen, mais une réflexion qui nous donne peu à peu un regard plus juste sur la vie. […]

[L]a méditation seule, sans la sagesse, se heurte à des obstacles insurmontables, sans cesse renaissants et ne peut s'installer. Des perturbations émotionnelles trop importantes voilent la clarté de l'esprit comme une eau trouble empêche de voir le fond. [Il manque] une prise de conscience qui nous permet d'avoir une certaine distance avec notre existence, de ne plus être autant absorbés par nos problèmes, nos ambitions, nos désirs.

page(s) 33-35
• L’émerveillement, un acte libertaire

L’émerveillement est ennemi des certitudes, des dogmes, des constructions mentales, des croyances multiples et variées qui habitent notre pensée, la société, et qui sont autant de durcissements, de cristallisations, de morts.

L’émerveillement est un acte profondément libertaire. Du moins, il est la source de la véritable liberté qui refuse d'admettre ce qui est admis par tous, qui refuse de croire ce qui semble évident pour tous.

S'émerveiller, c'est faire un pas de côté, loin des institutions, de la pensée dominante d'une époque, quelle que soit cette époque.

En fait, l'essence de l'homme est dans cette capacité à maintenir à distance le monde. C'est même sa différence essentielle avec l'animal qui est capable d'émotions, d'intelligence, mais pas d'étonnement métaphysique.

page(s) 9-10
• Voir l'impermanence

Pour Patanjali, seul l'homme qui a développé vivéka, la discrimination, peut percevoir cette douleur universelle conséquente à l'impermanence. L'homme ordinaire est trop impliqué, trop identifié au courant du devenir pour en prendre conscience. […]

Dans notre société qui ne vit que pour le corps et sa perpétuation, l'impermanence est devenue de plus en plus cachée, inaccessible. […] Nous organisons notre vie comme si elle était définitivement stable et la mort est perçue comme un scandale absolu. Lorsque nous nous résignons à elle, c'est précisément de la résignation et non une acceptation pleine et entière.

page(s) 37