Christian Bobin

Portrait de Christian Bobin

Mais que vient donc faire Christian Bobin (né en 1951) au beau milieu de ces maîtres de méditation ? Pour le méditant que je suis, sa façon de ne pas discriminer entre le morne et le sublime, de rester quoi qu'il en soit ouvert et de se voir par là-même soudain traversé de fulgurances, c'est le plus simple et bel enseignement qui soit.

Quand le gris de la vie me cerne et menace de m'engloutir, j'attrape un Bobin et me cale entre deux oreillers. Empruntant un instant le regard qu'il pose sur les scènes d'une vie pas moins grise, aussitôt rafraîchis mes yeux retrouvent la lumière et je reprends léger mon bonhomme de chemin.

Contribution dans

Quelques ouvrages

Quelques extraits

• Mièvre ?

On m'accuse d'être mièvre ? Que dirait-on à maître Dōgen, ce sage du treizième siècle japonais, lorsqu'il écrit : « L'univers entier est fait des sentiments et des émotions des fleurs » ?

page(s) 85
• Un enfant de chœur de la lumière terrestre

Laver une assiette ou éplucher un légume c'est devenir un enfant de chœur de la lumière terrestre.

page(s) 40
• Ce roi, cet homme-joie

Quelques secondes suffisent, n'est-ce pas, pour vivre éternellement. « Nous sentons et nous éprouvons que nous sommes éternels » : cette pensée de Spinoza a la douceur d'un enfant endormi à l'arrière d'une voiture. Nous avons, vous et moi, un Roi-Soleil assis sur son trône rouge dans la grande salle de notre cœur. Et parfois, quelques secondes, ce roi, cet homme-joie, descend de son trône et fait quelques pas dans la rue. C'est aussi simple que ça.

page(s) 16-17
• La lumière donnée à tous

Le manque est la lumière donnée à tous.

page(s) 13
• Le plus long voyage

Ils sont partout sauf en eux, ces gens qui font le tour du monde. Le plus long voyage que j'ai fait, c'était dans les yeux d'un chat.

page(s) 41
• Lézardes

[S]i ce monde n'est que muraille, cette muraille a des lézardes, des fissures par lesquelles quelque chose passe qui n'a guère de nom, et c'est tant mieux.

page(s) 58
• Tout m’est depuis toujours donné

C'est clair : tout ce que j'ai, on me l'a donné. Tout ce que je peux avoir de vivant, de simple et de calme, je l'ai reçu. Je n'ai pas la folie de croire que cela m'était dû, ou que j'en étais digne. Non, non. Tout m’est depuis toujours donné, à chaque instant, par chacun de ceux que je rencontre. Tout ? Oui. Depuis toujours ? Oui. À chaque instant ? Oui. Par chacun de ceux que je rencontre, sans exception ? Oui. Alors, pourquoi, parfois, une ombre, une lourdeur, une mélancolie ? Eh bien c'est qu'il me manque parfois le don de recevoir. C'est un vrai don, un don absolu. Quelquefois je prétends trier, choisir, je me dis que l'herbe est plus verte de l'autre côté du pont, des bêtises comme ça, rien de grave puisque l'on continue de tout me donner, sans arrêt, pour rien.

page(s) 20-21
• Aimer sans réserve

La seule grâce restait d'aimer sans réserve cette journée épuisante de ne donner aucun fruit.

page(s) 13
• La lente passion des nuages

Aux modernes qui ne savent que compter, j'oppose la lente passion des nuages[.]

page(s) 12
• Le temps qui s'entasse

Le temps passe désormais sans vous, c'est-à-dire qu'il ne passe plus. Il s'entasse.

page(s) 87-88
• L'évidente catastrophe

L'évidente catastrophe où vit chacun de nous prépare des grâces inouïes.

page(s) 81
• La légèreté

[L]a légèreté, il n'y a pas de magasin pour ça. Elle vient ou ne vient pas, c'est selon.

Et quand elle ne vient pas, elle est quand même là. Vous comprenez ? La légèreté, elle est partout, dans l'insolente fraîcheur des pluies d'été, sur les ailes d'un livre abandonné au bas d'un lit, dans la rumeur des cloches de monastère à l'heure des offices, une rumeur enfantine et vibrante, dans un prénom mille et mille fois murmuré comme on mâche un brin d'herbe, dans la fée d'une lumière au détour d'un virage sur les routes serpentines du Jura, dans la pauvreté tâtonnante des sonates de Schubert, dans la cérémonie de fermer lentement les volets sur le soir, dans la fine touche de bleu, bleu pâle, bleu-violet, sur les paupières d'un nouveau-né, dans la douceur d'ouvrir une lettre attendue, en différant une seconde l'instant de la lire, dans le bruit des châtaignes explosant sur le sol et dans la maladresse d'un chien glissant sur un étang gelé, j'arrête là, la légèreté, vous voyez bien, elle est partout donnée.

Et si en même temps elle est rare, d'une rareté incroyable, c'est qu'il nous manque l'art de recevoir, simplement recevoir ce qui nous est partout donné.

page(s) 50-51
• Une armure sans défaut

L'armure sans défaut de la joie.

page(s) 69
• Poison & antidote

Chaque jour a son poison et, pour qui sait voir, son antidote.

page(s) 34
• Extraire d'un poème le soleil qu'il contient

Le monde ne devient réel que pour qui le regarde avec l'attention qui sert à extraire d'un poème le soleil qu'il contient.

page(s) 28
• Ne pas faire vivre le mal

La sainteté c'est juste de ne pas faire vivre le mal qu'on a en soi.

page(s) 45
• Des carreaux cassés par où l'air entre

Toutes notre vie n'est faite que d'échecs et ces échecs sont des carreaux cassés par où l'air entre.

page(s) 26
• Pour que la mort ne trouve plus notre porte

Dans ce rêve une jeune aristocrate posait son pied joliment chaussé sur la première marche d'un échafaud. Je lui disais connaître un moyen pour empêcher la mort proche de la saisir : tous nos malheurs venant de ce qu'une part de notre âme errait dans le passé tandis que l'autre titubait dans l'avenir, il suffirait d'habiter l'instant présent dans sa plénitude pour que la mort ne trouve plus notre porte – la profonde conscience d'être vivants nous rendant éternels.

page(s) 160
• Le monde est un galet

Le monde est un galet que lave l'eau glacée des poètes.

page(s) 52
• Le pur étonnement

La vulgarité, on dit aux enfants qu'elle est dans les mots. La vraie vulgarité de ce monde est dans le temps, dans l'incapacité de dépenser le temps autrement que comme des sous, vite, vite, aller d'une catastrophe aux chiffres du tiercé, vite glisser sur des tonnes d'argent et d'inintelligence profonde de la vie, de ce qu'est la vie dans sa magie souffrante, vite aller à l'heure suivante et surtout que rien n'arrive, aucune parole juste, aucun étonnement pur.

page(s) 23