Christian Bobin

Portrait de Christian Bobin

Mais que vient donc faire Christian Bobin (né en 1951) au beau milieu de ces maîtres de méditation ? Pour le méditant que je suis, sa façon de ne pas discriminer entre le morne et le sublime, de rester quoi qu'il en soit ouvert et de se voir par là-même soudain traversé de fulgurances, c'est le plus simple et bel enseignement qui soit.

Quand le gris de la vie me cerne et menace de m'engloutir, j'attrape un Bobin et me cale entre deux oreillers. Empruntant un instant le regard qu'il pose sur les scènes d'une vie pas moins grise, aussitôt rafraîchis mes yeux retrouvent la lumière et je reprends léger mon bonhomme de chemin.

Contribution dans

Quelques ouvrages

Quelques extraits

• La stupéfaction enjouée de vivre

La plupart des sautillements d'un moineau n'ont pas d'autre cause que sa stupéfaction enjouée de vivre. Dans leur quête inlassable de nourriture les bêtes connaissent des grâces contemplatives. Négligeant le besoin qui les anime, leur rêverie sans image leur ouvre le royaume des cieux.

page(s) 158
• Le plus long voyage

Ils sont partout sauf en eux, ces gens qui font le tour du monde. Le plus long voyage que j'ai fait, c'était dans les yeux d'un chat.

page(s) 41
• L’auberge est vaste

Tous les vivants sont dans mon cœur. L’auberge est vaste. Il y a même un lit et un repas chaud pour les criminels et les fous.

page(s) 35
• Je disparais quand j’apparais

Monsieur le forestier, les arbres, chose inhabituelle, se taisaient. Aucun bruit dans la forêt, sinon le poème inlassable d'un ruisseau, sa petite voix claire : « Je disparais quand j’apparais. »

page(s) 27
• Le « oui »

Il n'y a rien de plus à trouver dans cette vie que le « oui » qui définitivement l'enflamme.

page(s) 28
• Poison & antidote

Chaque jour a son poison et, pour qui sait voir, son antidote.

page(s) 34
• Suivre les mouvements subtils de l'éternel

La France au dix-septième siècle se couvre de mystiques comme un sous-bois de primevères. Le quiétisme donne d'aussi belles lumières que le jansénisme. C'est une manière pour l'âme de se tenir à distance d'elle-même, indifférente à son salut autant qu'à sa perte, soucieuse uniquement de suivre les mouvements subtils de l'éternel. Coller à Dieu et non à soi – Dieu n'étant que la paix qui descend comme une manne sur ceux qui n'attendent rien, ne veulent rien, n'empoignent rien. Le quiétisme est la nonchalance des anges.

page(s) 119
• Appeler chaque visage, chaque vague et chaque ciel

Tout le mal dans cette vie provient d'un défaut d'attention à ce qu'elle a de faible et d'éphémère. Le mal n'a pas d'autre cause que notre négligence et le bien ne peut naître que d'une résistance à cet ensommeillement, que d'une insomnie de l'esprit portant notre attention à son point d'incandescence – même si une telle attention pure nous est, dans le fond, impossible : seul un Dieu pourrait être présent sans défaillance à la vie nue, sans que sa présence jamais ne défaille dans un sommeil, une pensée ou un désir.

Seul un Dieu pourrait être assez insoucieux de soi pour se soucier, sans relâche, de la vie merveilleusement perdue à chaque seconde qui va. Dieu est le nom de cette place jamais assombrie par une négligence, le nom d'un phare au bord des côtes.

Et peut-être cette place est-elle vide, et peut-être ce phare est-il depuis toujours abandonné, mais cela n'a aucune espèce d'importance : il nous faut faire comme si cette place était tenue, comme si ce phare était habité. Il nous faut venir en aide à Dieu sur son rocher et appeler un par un chaque visage, chaque vague et chaque ciel – sans en oublier un seul.

page(s) 130-131
• Lutte avec l’ange des ténèbres

Chaque jour est une lutte avec l’ange des ténèbres, celui qui plaque ses mains glacées sur nos yeux pour nous empêcher de voir notre gloire cachée dans notre misère.

page(s) 49
• Écouter

Écouter c'est quand on aime.

page(s) 45
• Je me suis rappelé soudain que j'étais vivant

Dans la station d'essence mitraillée par la giboulée, attendant que se remplisse le réservoir de la voiture, je me suis rappelé soudain que j'étais vivant et la gloire a d'un coup transfiguré tout ce que je voyais. Plus rien n'était laid ni indifférent. Je connaissais ce qui était retiré aux agonisants. Je le goûtais pour eux, je leur offrais silencieusement cette splendeur effrayante de chaque seconde. Au loin, sur la route argentée par la pluie, un grand chien noir pétrifié, de profil, comme découpé dans de la tôle, attendait qu'un ange fracasse le monde.

page(s) 36-37
• D'erreur en erreur

On vole d'erreur en erreur jusqu'à la vérité finale.

page(s) 44
• La volonté ne va pas avec l'amour

Le portrait était manqué, il n'y avait rien à en sauver. Vous vouliez trop ce texte et la volonté ne va pas avec l'écriture, pas plus qu'avec l'amour. On ne dit pas : « je voudrais vous aimer ». On dit : « je vous aime » et, le disant, on découvre un amour bien plus profond que tout vouloir.

page(s) 101
• L'amour et le silence

[I]l en va du silence comme de l'amour. On passe sa vie à les fuir. […]

La misère, elle n'est pas dans cette salle mais sur l'écran où le jeune homme continuait de parader. La misère c'est ce bruit de fond partout grésillant – un empêchement à l'amour et au silence.

page(s) 103-104
• Vie conjugale du bleu et du noir

C'est un état limite dont vous avez besoin, une mince ligne de rien entre l'ennui et le désespoir – et la joie qui passe en funambule sur ce fil, la joie qui se nourrit précisément de rien, par exemple d'un regard sur le ciel d'aujourd'hui, contemplé depuis votre lit d'infirmité active, depuis votre fainéantise d'écriture : une lumière transparente. Un bleu sans épaisseur.

On dirait que les anges viennent de laver leur linge et que, n'étant riches que de leur seul amour, ils portent toujours la même lumière, rendue transparente par des milliers de lessives. Dans le bleu de cette beauté vous devinez le noir où elle s'abîmera bientôt, et vous trouvez dans cette vie conjugale du bleu et du noir l'unique leçon de choses qui vous convienne, la preuve d'une excellence de cette vie où tout nous est donné à chaque instant, le bleu avec le noir, la force avec la blessure.

La seule tristesse qui se rencontre dans cette vie vient de notre incapacité à la recevoir sans l'assombrir par le sentiment que quelque chose en elle nous est dû : rien ne nous est dû dans cette vie, pas même l'innocence d'un ciel bleu. Le grand art est l'art de remercier pour l'abondance à chaque instant donnée.

page(s) 34-35
• À l'intérieur d'une larme

J'ai grandi à l'intérieur d'une larme. À travers sa vitre scintillante, j'ai vu le monde éclatant de lumière.

page(s) 19
• Paradis & enfer

Il n'y aucune différence entre le paradis et l'enfer.

page(s) 76
• Des carreaux cassés par où l'air entre

Toutes notre vie n'est faite que d'échecs et ces échecs sont des carreaux cassés par où l'air entre.

page(s) 26
• Pendant quelques secondes j’ai réussi à être vivant

L'étang fleurissait sous le ciel et le ciel se coiffait devant l'étang. L'oiseau aux ailes prophétiques enflammait la forêt. Pendant quelques secondes j’ai réussi à être vivant. J'ai conscience que cette lettre peut vous sembler folle. Elle ne l'est pas. Ce sont plutôt nos volontés qui sont folles. Je veux ici parler simplement de ce qu'on appelle une « belle journée », un « ciel bleu ». Ces expressions désignent un mystère. Un couteau de lumière dont la lame fraîche nous ouvre le cœur.

page(s) 15-16
• Le pur étonnement

La vulgarité, on dit aux enfants qu'elle est dans les mots. La vraie vulgarité de ce monde est dans le temps, dans l'incapacité de dépenser le temps autrement que comme des sous, vite, vite, aller d'une catastrophe aux chiffres du tiercé, vite glisser sur des tonnes d'argent et d'inintelligence profonde de la vie, de ce qu'est la vie dans sa magie souffrante, vite aller à l'heure suivante et surtout que rien n'arrive, aucune parole juste, aucun étonnement pur.

page(s) 23