Christian Bobin

Portrait de Christian Bobin

Mais que vient donc faire Christian Bobin (né en 1951) au beau milieu de ces maîtres de méditation ? Pour le méditant que je suis, sa façon de ne pas discriminer entre le morne et le sublime, de rester quoi qu'il en soit ouvert et de se voir par là-même soudain traversé de fulgurances, c'est le plus simple et bel enseignement qui soit.

Quand le gris de la vie me cerne et menace de m'engloutir, j'attrape un Bobin et me cale entre deux oreillers. Empruntant un instant le regard qu'il pose sur les scènes d'une vie pas moins grise, aussitôt rafraîchis mes yeux retrouvent la lumière et je reprends léger mon bonhomme de chemin.

Contribution dans

Quelques ouvrages

Quelques extraits

• La vie contrariée file limpide

La pureté n'est jamais si pure que lorsqu'elle fleurit au milieu de l'impur. La vie n'est jamais si forte que lorsqu'elle est contrariée par un côté, empêchée dans une de ses voies : elle file limpide, par l'issue qui lui reste.

page(s) 50
• Le « oui »

Il n'y a rien de plus à trouver dans cette vie que le « oui » qui définitivement l'enflamme.

page(s) 28
• Cette étrange gaieté

Cette étrange gaieté sans laquelle rien de vrai ne peut se faire.

page(s) 38
• Vivre comme si on ne tenait plus à la vie

Je suis d'accord pour mourir n'importe quel jour. Aux urgences, j'ai emmené un livre assez petit pour tenir dans une poche, assez dense pour éclairer des heures d'attente. Je voudrais n'écrire que des livres qu'on puisse lire aux urgences, là où les questions qu'on nous pose et l'attention qu'on nous porte sont si froides qu'elles nous vident de notre âme. Il y a une manière de vivre – comme si on ne tenait plus à la vie – qui est le nom le plus secret de l'amour.

page(s) 62
• La lente passion des nuages

Aux modernes qui ne savent que compter, j'oppose la lente passion des nuages[.]

page(s) 12
• Écouter

Écouter c'est quand on aime.

page(s) 45
• L'évidente catastrophe

L'évidente catastrophe où vit chacun de nous prépare des grâces inouïes.

page(s) 81
• Un amandier en fleur qui vient à notre rencontre

Ils marchent en projetant devant eux, à moins d'un mètre, l'idée qu'ils se font d'eux-mêmes : leur âme arrogante ou craintive leur ouvre le chemin. Le saint est celui qui avance précédé par la seule idée qu'il se fait de Dieu – un amandier en fleur qui vient à notre rencontre.

page(s) 143
• Arrimés au réel

L'époustouflante vertu contemplative des tout-petits : ils sont arrimés au réel. Rien pour eux de négligeable.

page(s) 62
• Tout à la fois noir et pur

C'est une chose que tu m'as apprise, mon âme. Tu m'as appris beaucoup de choses. Tu m'as d'abord enfermé dans ton rire comme un écolier dans la classe au mois d'août, puis tu m'as rendu au monde avec pour devoir de l'écrire comme il est : affreusement noir en dessus, miraculeusement pur en dessous.

page(s) 127
• Accepter de n'être plus protégé par rien

Il faut avoir une force terrible pour supporter de lire un seul poème. Aller au-devant d'une phrase comme au-devant de sa propre mort. Accepter de n'être plus protégé par rien et recevoir le coup de grâce d'une parole claire en son obscurité.

page(s) 32
• Le souci de soi

Le souci de soi est une chose qui encombre les vivants. Peut-être est-ce le premier sac de sable que les morts jettent par-dessus leur nacelle, pour bondir au plus haut, hors de vue.

page(s) 42
• La joie plus profonde que la pensée

« Je pense parfois à ma mère morte et parfois ça me fait triste, et parfois non, mais je n'y pense jamais quand je joue » — oui, petite fille, et c'est peut-être là, dans le milieu de tes rires, quand la joie mange tes yeux, c'est peut-être là que ta mère revient te voir, qu'elle remonte au jour : la joie est en nous bien plus profonde que la pensée, elle va beaucoup plus vite, beaucoup plus loin.

page(s) 21-22
• Le monde est un galet

Le monde est un galet que lave l'eau glacée des poètes.

page(s) 52
• Tous s'en vont vers leur mort

[C]eux que l'on regarde s'en vont vers leur mort, donc s'éloignent de nous même quand ils ont l'air de s'en approcher, tout s'en va, depuis le début s'en va. Ce n'est rien de désespérant, cette pensée. C'est une pensée simple. Elle ne retient pas d'aimer, au contraire. Elle me fait même chanter en cet instant.

page(s) 115
• La vie éternelle

Dans la vie ordinaire, on peut toujours parler car on peut toujours mentir. Dans la vie éternelle – qui ne se distingue de la vie ordinaire que par l'éclat d'un regard – on ne peut pas aller contre son cœur, mentir. Alors on se tait. On écrit une lettre d'amour pur. C'est comme un feu follet sur les domaines du songe. C'est comme une chute de neige dans les yeux noirs d'enfance. De temps en temps on s'arrête. On relève la tête, on regarde le ciel vide. Sa lumière est si douce qu'elle nous oriente et nous gagne, de très loin.

page(s) 91-92
• Le point d'émerveillement et de sidération

L'art de vivre consiste à garder intact le sentiment de la vie et à ne jamais déserter le point d'émerveillement et de sidération qui seul permet à l'âme de voir.

page(s) 28
• Notre trésor

Devant ce qui te blessait le plus, tu commençais par éclater de rire. Tu n'es plus là mais j'ai retenu ta leçon, aujourd'hui je l'écris ainsi : « Dans ce qui prétend nous ruiner, grandit notre trésor. »

page(s) 18
• La légèreté

[L]a légèreté, il n'y a pas de magasin pour ça. Elle vient ou ne vient pas, c'est selon.

Et quand elle ne vient pas, elle est quand même là. Vous comprenez ? La légèreté, elle est partout, dans l'insolente fraîcheur des pluies d'été, sur les ailes d'un livre abandonné au bas d'un lit, dans la rumeur des cloches de monastère à l'heure des offices, une rumeur enfantine et vibrante, dans un prénom mille et mille fois murmuré comme on mâche un brin d'herbe, dans la fée d'une lumière au détour d'un virage sur les routes serpentines du Jura, dans la pauvreté tâtonnante des sonates de Schubert, dans la cérémonie de fermer lentement les volets sur le soir, dans la fine touche de bleu, bleu pâle, bleu-violet, sur les paupières d'un nouveau-né, dans la douceur d'ouvrir une lettre attendue, en différant une seconde l'instant de la lire, dans le bruit des châtaignes explosant sur le sol et dans la maladresse d'un chien glissant sur un étang gelé, j'arrête là, la légèreté, vous voyez bien, elle est partout donnée.

Et si en même temps elle est rare, d'une rareté incroyable, c'est qu'il nous manque l'art de recevoir, simplement recevoir ce qui nous est partout donné.

page(s) 50-51
• La volonté ne va pas avec l'amour

Le portrait était manqué, il n'y avait rien à en sauver. Vous vouliez trop ce texte et la volonté ne va pas avec l'écriture, pas plus qu'avec l'amour. On ne dit pas : « je voudrais vous aimer ». On dit : « je vous aime » et, le disant, on découvre un amour bien plus profond que tout vouloir.

page(s) 101