Certes si je regarde comment, par mon engagement dans la pratique, ma vie s'est transformée, je ne peux nier qu'elle a pris une tonalité et une ampleur nouvelles. Mais c'est précisément d'avoir renoncé à un projet précis, prédéterminé, qui m'a libéré. C'est tout le paradoxe. Chercher à atteindre un but quelconque nous fait perdre contact avec la réalité de notre expérience, avec l'état concret de notre propre confusion qui est pourtant la seule base de travail et donc notre véritable richesse.
Le malentendu est qu'en cherchant le bonheur, en se battant pour l'obtenir, nous le manquons. Nous restons prisonniers d'un projet fondé sur le déploiement de l'ego, d'une volonté de puissance à jamais insatisfaite. Le chemin consiste plus radicalement à accueillir tout ce qui est.
Si je considère l'être que j'étais lorsque je me suis engagé sur le chemin de la méditation, il me faut reconnaître rétrospectivement que mon ambition était alors teintée d'une sérieuse dose de haine envers moi-même, dont je n'étais pas vraiment conscient. Par la pratique, je voulais devenir autre, me débarrasser de tout ce qui, en moi, ne me plaisait pas. Or, le chemin m'a conduit dans une tout autre direction. J'apprends à entrer en amitié avec qui je suis et à travailler avec ma propre confusion, à m'ouvrir à ma propre fragilité. En un sens profond, j'y suis convié à répondre à l'injonction que l'on trouve dans la deuxième Ode pythique de Pindare, reprise par Nietzsche, « deviens qui tu es », dans l'épreuve qu'est pour chacun de nous d'apprendre à savoir comment être.