Jean-Yves Leloup

Portrait de Jean-Yves Leloup

Jean-Yves Leloup (né en 1950) est un prêtre, théologien orthodoxe, analyste, philosophe et anthropologue français. Il est fondateur de l'Institut pour la rencontre et l'étude des civilisations et du Collège international des thérapeutes.

Si l'essentiel de ses publications est consacré à la spiritualité chrétienne, sa réflexion embrasse néanmoins de nombreuses autres traditions spirituelles, y compris orientales.

La pratique spirituelle mystique orthodoxe dite de l'hésychasme, telle que Jean-Yves Leloup la décrit, est sans doute ce qui dans le monde chrétien contemporain se rapproche le plus de la méditation bouddhique, avec laquelle il fait de nombreuses passerelles.

Contribution dans

Quelques ouvrages

Quelques extraits

• Être entièrement là

Une vie qui n'a pas de centre, c'est une vie qui n'a pas de sens. La paix (hésychia, pour les Grecs, shalom pour les Juifs, shanti pour les Indiens), c'est d'être entièrement là… […]

Une assise sans cœur est une verticale d'ennui.

Une marche sans cœur est une horizontale sans fruit.

Le centre n'est pas un point particulier du corps, mais une ouverture, un espace dans lequel nous accueillons tout ce qui est, avec lucidité, gratitude et compassion. Se tenir là où se tient l'astre, ou l'acte immobile, l'acte pur et premier, selon Aristote, « qui fait tourner la terre, le cœur humain et les autres étoiles »… Si ce n'est pas l'Amour, ça lui ressemble…

page(s) 12
• Porté par le souffle

J'inspire, j'expire… puis : je suis inspiré, je suis expiré. Je me laisse porter par le souffle, comme on se laisse porter par les vagues…

page(s) 17
• Le paradoxe de l'amour

L'Amour est le seul vrai Dieu
Qui ne soit pas une idole.
On ne peut le garder
Qu'en le donnant.

page(s) 51
• Le piège

Le piège […], qu'on parle de Réalité ultime, de satori, de nirvāna, de béatitude céleste, c'est que même si nous avons des notions sur la chose et quelques petites expériences, nous n'avons pas réalisé « ce qui est », nous ne sommes pas réels et notre vie vaut ce que valent nos plus difficiles ou nos plus beaux songes.

page(s) 28
• Tout est là

Tout est là, le Réel est là, nous y sommes ; manque la perception que tout est là. C'est ainsi que le Réel nous apparaît comme voilé. Quelle est la nature du voile ? Sans doute une contraction, une tension de la perception ? La saisie objectivante d'un objet qui nous prive d'une saisie plus globale, mais nous prive surtout de la non-saisie…

page(s) 21
• Un tout autre Amour

C'est […] par l'apaisement du mental et le passage au-delà de toutes pulsions, émotions, paroles, pensées, c'est par le silence du corps, du cœur et de l'esprit qu'on entre dans une nouvelle vie, une nouvelle conscience et un tout autre Amour.

page(s) 63
• Fleurir le temps qu’il nous est donné

La montagne lui avait donné le sens de l'Éternité, le coquelicot lui enseignait la fragilité du temps : méditer c'est connaître l'Éternel dans la fugacité de l'instant, un instant droit, bien orienté. C'est fleurir le temps qu’il nous est donné de fleurir, aimer le temps qu’il nous est donné d'aimer, gratuitement, sans pourquoi, car pour qui ? Pour quoi fleurissent-ils, les coquelicots ?

Il apprenait ainsi à méditer « sans but ni profit », pour le plaisir d'être et d'aimer la lumière. « L'amour est à lui-même sa propre récompense », disait saint Bernard. « La rose fleurit parce qu'elle fleurit, sans pourquoi », disait encore Angelus Silesius.

page(s) 16
• « Je suis »

Revenir sans cesse dans la simple intuition ou pressentiment :

« Je suis »
Je suis libre
de tout conditionnement,
de toute limite,
de toute mémoire,
de tout savoir,
de toute hérédité,
de tout passé,
de tout avenir.
Je suis un espace qui contient et accueille tout ce qui vit et respire :
les justes et les injustes, les grands et les petits, les pauvres et les riches.
Je suis présent,
présence réelle du Réel souverain,
je suis Cela,
l'inconditionné, l'innommable, l'impensable,
l'intangible, l'incréé, l'infinie liberté,
pur espace, pure vacuité,
je suis Cela.
« Je suis ».

page(s) 19
• Quatre questions

Au terme d'une session zen, un ami bouddhiste venait de m'expliquer que le non-attachement (anātman), la vacuité (śūnyatā) et l'attention à l'instant « sans but ni profit » étaient pour lui l'essentiel de ce que lui avaient enseigné la posture et la méditation zen. Il me posa quatre questions :

  • Un chrétien peut-il être sans attachement, sans désir, sans dépendance, à l'égard même de Dieu et du Christ ?

  • Un chrétien peut-il accepter la non-réalité du sujet ?

  • Un chrétien peut-il faire sienne l'expérience de la réalité ultime comme vacuité ?

  • Un chrétien peut-il vivre dans la discontinuité, instant après instant, sans mémoire, sans projet ?

En guise de réponse, j'invitai mon ami à venir pratiquer une semaine de méditation hésychaste dans un monastère orthodoxe, après lui avoir expliqué que la liberté intérieure, le don de soi-même (ou le renoncement à soi-même), le sens du mystère, « ne pas se préoccuper du lendemain » et « ne pas se retourner en arrière » étaient pour moi des éléments importants enseignés par la pratique de la méditation hésychaste. Je lui posai quatre questions :

  • Un bouddhiste peut-il être libre de toutes attaches, sans désir, même à l'égard du dharma et du bouddha ?

  • Un bouddhiste peut-il accepter la réalité relative du sujet humain (et renoncer à ce qu'il croit être un soi ou un non-soi) ?

  • Un bouddhiste peut-il faire sienne l'expérience de la réalité ultime comme plénitude (pléroma) ou comme Mystère (ténèbre supra-lumineuse, dirait Denys le Théologien) ?

  • Un bouddhiste peut-il vivre l'instant dans l'histoire, sans nier pour autant son ouverture à l'Éternel (qui est un non-temps) ?
page(s) 14-15
• Savoir être seul

À côté de la voie qui préconise le célibat, il y a aussi cette voie de la relation. Il ne faut d'ailleurs pas les opposer : pour pouvoir être vraiment avec quelqu'un, il faut savoir être seul.

page(s) 18
• Vers la lumière

La méditation, c'est d'abord une assise et c'était ce que lui avait enseigné la montagne. La méditation, c'est aussi une « orientation » et c'est ce que lui enseignait maintenant le coquelicot : se tourner vers le soleil, se tourner du plus profond de soi-même vers la lumière. En faire l'aspiration de tout son sang, de toute sa sève.

page(s) 15
• Métanoïa & épistrophè

La métanoïa ou l'épistrophè sont deux façons de revenir de notre absence. Par le dépassement ou le silence du mental, qui « laisse être ce qui est là tel que cela est » (métanoïa), ou par l'attention, la louange, l'invocation, qui nous fait revenir de notre oubli ou de notre distraction à ce qui est là, présent (épistrophè).

L'art d'être présent, d'être la Présence réelle de ce qui est vivant, conscient, libre et aimant, Présence réelle du « Je suis » qui est la Vie, la Lumière, la Liberté et l'Amour ; c'est le grand Art, celui de la méditation ou plus exactement celui de la « vie contemplative »

page(s) 21
• Pratiques qui donnent du sens

[Q]uelles sont, dans le monde contemporain, les pratiques qui pourraient être les plus essentielles, les plus capables de lui donner du sens ? Je réponds sans hésiter : l'exercice conjoint de la méditation et de la compassion, la méditation sans la compassion pouvant devenir une forme d'auto-hypnose, de fuite du monde ou de « narcissisme subtil », et la compassion sans la méditation, un activisme plein de bonne volonté, mais sans discernement et sans profondeur.

page(s) 7-8
• L’ouvert plus grand que soi

Le mot d'Héraclite, « les dieux sont aussi dans la cuisine », nous rappelle que le feu divin n'est pas seulement sur l'autel consacré à Hestia, mais aussi dans le poêle où mijotent les aliments nécessaires au quotidien. Il n'y a pas de grandes ou de petites choses où la présence de l'Être ne puisse être honorée et contemplée, et c'est dans cette contemplation ou vie contemplative que s'accomplit la destinée de l'être humain. Le bonheur de celui-ci en effet se trouve dans « la vie selon l'esprit » (Aristote, Éthique à Nicomaque). Le noûs ou intellect est ce qu'il y a de plus essentiel dans l'homme, et en même temps ce noûs ouvre à une réalité plus grande que l'homme, c'est ce qui transcende l'homme qui constitue sa véritable identité, comme si l'essence de l'homme consistait dans cet « ouvert » à plus grand que lui-même.

page(s) 31
• Tu peux

[L]e bonheur est possible, parce que l'attention est possible, la méditation également, mais surtout parce que le bonheur est notre véritable nature, c'est notre nature de Bouddha, notre « Être éveillé ». Savoir qu'on est éveillé, cela suffit-il pour l'être ? Savoir que « dans le fond » on est heureux, cela suffit-il pour l'être ? Il ne suffit pas sans doute de le savoir, ni de le croire, ni de l'imaginer. Il faut l'être, le laisser être, ce bonheur infini qui est aussi Conscience infinie, compassion infinie – comment ? Que ce soit par une voie directe (lâcher prise), ou une voie progressive (Octuple Sentier), cela relève de notre plus intime conviction, posse, tu peux.

page(s) 136
• L’éternité devant soi

Être assis comme une montagne, c'est avoir l'éternité devant soi, c'est l'attitude juste pour celui qui veut entrer dans la méditation : savoir qu'il a l'éternité derrière, dedans et devant lui.

page(s) 13
• Ni attraction, ni répulsion, ni indifférence

La vigilance du stoïcien est […] le contraire de l'indifférence. « Ni attraction, ni répulsion, ni indifférence », tel est l'état d'esprit dans lequel il convient de vivre, en harmonie avec la bonté originelle qui cherche le bien de toute chose.

page(s) 41
• Le bonheur inconditionnel

Le bonheur d'un homme libre ne dépend pas des circonstances, mais de ce qu'il fait des circonstances en y introduisant de la conscience et de l'amour.

page(s) 49
• Dans le souffle et la vigilance

La traduction littérale du grec en pneumati kai aletheia devrait préciser davantage : « c'est dans le souffle (en pneumati, de pneuma, le souffle, rouah en hébreu) et la vigilance (a-letheia, sorti de la lethè – du sommeil –, léthargie) qu'ils doivent prier ».

On pourrait encore traduire : « […] c'est avec un souffle vigilant, conscient, ou encore "éveillé", qu'il faut prier ».

Aletheia, que l'on traduit par vérité, peut plus exactement se traduire par « éveil ». Jésus n'a pas dit « j'ai » la vérité, mais « je suis » la vérité ; littéralement : je suis éveillé (ego eimi aletheia). Cela vous rappelle sans doute l'étymologie du mot bouddha (de bodhi : celui dont la bodhi, l'intelligence, a été éveillée – le Bouddha n'a jamais dit « j'ai l'éveil », mais « je suis éveillé »).

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page(s) 23
• La capacité de vision, de contemplation

[L]e mot grec que nous retrouvons dans l'étymologie de Thérapeutès, c'est Théos, il n'est pas traduit adéquatement par le Deus latin et donc par notre mot « Dieu ». Nous retrouvons cette étymologie dans un autre mot grec, important pour les thérapeutes : théoria, qu'on traduit mal par « théorie », qui aujourd'hui a un sens bien différent de l'époque de Philon. Comme pour Platon et les anciens Grecs, il signifie « vision » ou « contemplation ». Le Théos grec n'est pas seulement « lumière », mais « vision », contemplation de la lumière, conscience de l'Invisible. Prendre soin du Théos, dans un être, c'est lui rendre sa capacité de vision, de contemplation, c'est lui rendre « la conscience d'être, l'Être ».

page(s) 9