Jean-Yves Leloup

Portrait de Jean-Yves Leloup

Jean-Yves Leloup (né en 1950) est un prêtre, théologien orthodoxe, analyste, philosophe et anthropologue français. Il est fondateur de l'Institut pour la rencontre et l'étude des civilisations et du Collège international des thérapeutes.

Si l'essentiel de ses publications est consacré à la spiritualité chrétienne, sa réflexion embrasse néanmoins de nombreuses autres traditions spirituelles, y compris orientales.

La pratique spirituelle mystique orthodoxe dite de l'hésychasme, telle que Jean-Yves Leloup la décrit, est sans doute ce qui dans le monde chrétien contemporain se rapproche le plus de la méditation bouddhique, avec laquelle il fait de nombreuses passerelles.

Contribution dans

Quelques ouvrages

Quelques extraits

• Quatre questions

Au terme d'une session zen, un ami bouddhiste venait de m'expliquer que le non-attachement (anātman), la vacuité (śūnyatā) et l'attention à l'instant « sans but ni profit » étaient pour lui l'essentiel de ce que lui avaient enseigné la posture et la méditation zen. Il me posa quatre questions :

  • Un chrétien peut-il être sans attachement, sans désir, sans dépendance, à l'égard même de Dieu et du Christ ?

  • Un chrétien peut-il accepter la non-réalité du sujet ?

  • Un chrétien peut-il faire sienne l'expérience de la réalité ultime comme vacuité ?

  • Un chrétien peut-il vivre dans la discontinuité, instant après instant, sans mémoire, sans projet ?

En guise de réponse, j'invitai mon ami à venir pratiquer une semaine de méditation hésychaste dans un monastère orthodoxe, après lui avoir expliqué que la liberté intérieure, le don de soi-même (ou le renoncement à soi-même), le sens du mystère, « ne pas se préoccuper du lendemain » et « ne pas se retourner en arrière » étaient pour moi des éléments importants enseignés par la pratique de la méditation hésychaste. Je lui posai quatre questions :

  • Un bouddhiste peut-il être libre de toutes attaches, sans désir, même à l'égard du dharma et du bouddha ?

  • Un bouddhiste peut-il accepter la réalité relative du sujet humain (et renoncer à ce qu'il croit être un soi ou un non-soi) ?

  • Un bouddhiste peut-il faire sienne l'expérience de la réalité ultime comme plénitude (pléroma) ou comme Mystère (ténèbre supra-lumineuse, dirait Denys le Théologien) ?

  • Un bouddhiste peut-il vivre l'instant dans l'histoire, sans nier pour autant son ouverture à l'Éternel (qui est un non-temps) ?
page(s) 14-15
• Métanoïa & épistrophè

La métanoïa ou l'épistrophè sont deux façons de revenir de notre absence. Par le dépassement ou le silence du mental, qui « laisse être ce qui est là tel que cela est » (métanoïa), ou par l'attention, la louange, l'invocation, qui nous fait revenir de notre oubli ou de notre distraction à ce qui est là, présent (épistrophè).

L'art d'être présent, d'être la Présence réelle de ce qui est vivant, conscient, libre et aimant, Présence réelle du « Je suis » qui est la Vie, la Lumière, la Liberté et l'Amour ; c'est le grand Art, celui de la méditation ou plus exactement celui de la « vie contemplative »

page(s) 21
• Savoir être seul

À côté de la voie qui préconise le célibat, il y a aussi cette voie de la relation. Il ne faut d'ailleurs pas les opposer : pour pouvoir être vraiment avec quelqu'un, il faut savoir être seul.

page(s) 18
• Les bras de Sophia

Plus doux que les bras de Morphée, il y a les bras de Sophia : la Sagesse qui nous donne le repos sans nous enlever la conscience. Se détendre dans les bras de Sophia, faire confiance à la sagesse du Tout (créé et incréé) qui opère par transformation silencieuse et nous place là où nous sommes : présents, vivants.

page(s) 23
• L’éternité devant soi

Être assis comme une montagne, c'est avoir l'éternité devant soi, c'est l'attitude juste pour celui qui veut entrer dans la méditation : savoir qu'il a l'éternité derrière, dedans et devant lui.

page(s) 13
• Importance de la transmission

Dans le christianisme comme dans le bouddhisme ou le soufisme, le but de la méditation est de parvenir à la pureté du cœur et de l'esprit qui font de tout homme le réceptacle ou le miroir sans tache de la pure lumière.

L'accueil de cette lumière, rayonnement et présence de l'Être incréé, introduit l'homme dans un état de paix ne dépendant pas des circonstances (santé, humeurs, environnement, etc.), c'est-à-dire un état de paix non psychique, mais spirituel, ontologique. C'est l'expérience de cette Réalité que les chrétiens appellent hésychia, qui donnera naissance à l'hésychasme. […]

Cette expérience est le fruit d'une transmission orale, de cœur à cœur, d'être à être, d'où l'importance dans le christianisme, comme dans le bouddhisme et le soufisme, de l'appartenance à une authentique lignée qui nous transmet sans corruption la juste praxis ou pratique, et l'authentique gnosis ou contemplation.

page(s) 21
• La source de tous les maux

Dans les traditions orientales, il est dit qu'a-vidya, l'ignorance, est la source de tous les maux, aussi bien physiques que psychiques et cosmiques.

page(s) 11
• Le piège

Le piège […], qu'on parle de Réalité ultime, de satori, de nirvāna, de béatitude céleste, c'est que même si nous avons des notions sur la chose et quelques petites expériences, nous n'avons pas réalisé « ce qui est », nous ne sommes pas réels et notre vie vaut ce que valent nos plus difficiles ou nos plus beaux songes.

page(s) 28
• Porté par le souffle

J'inspire, j'expire… puis : je suis inspiré, je suis expiré. Je me laisse porter par le souffle, comme on se laisse porter par les vagues…

page(s) 17
• Le paradoxe de l'amour

L'Amour est le seul vrai Dieu
Qui ne soit pas une idole.
On ne peut le garder
Qu'en le donnant.

page(s) 51
• Dans l'attention, l'intelligence et le cœur se rejoignent

Ce n'est pas par hasard si on appelait les anciens thérapeutes de « grands attentifs », les moines viendront les rejoindre dans ce « plaisant labeur » et c'est de leur attention qu'ils tireront leur connaissance et leur louange, l'attention étant ce moment unique où peuvent se rejoindre l'intelligence et le cœur. […]

L'attention est ici considérée comme un remède, c'est un retour au réel et si la conversion « est le retour de ce qui est contraire à la nature vers ce qui lui est propre » [Jean Damascène], l'attention est bien ce chemin de retour. Elle nous fait revenir de cet exil qui est l'oubli de l'Être, plus encore elle nous fait revenir de l'enfer qui est absence de Miséricorde.

page(s) 37
• Le fond immobile

Il apprit également que s'il y avait des vagues en surface, le fonde de l'océan demeurait tranquille. Les pensées vont et viennent, nous écument, mais le fond de l'être reste immobile.

page(s) 18
• L’ouvert plus grand que soi

Le mot d'Héraclite, « les dieux sont aussi dans la cuisine », nous rappelle que le feu divin n'est pas seulement sur l'autel consacré à Hestia, mais aussi dans le poêle où mijotent les aliments nécessaires au quotidien. Il n'y a pas de grandes ou de petites choses où la présence de l'Être ne puisse être honorée et contemplée, et c'est dans cette contemplation ou vie contemplative que s'accomplit la destinée de l'être humain. Le bonheur de celui-ci en effet se trouve dans « la vie selon l'esprit » (Aristote, Éthique à Nicomaque). Le noûs ou intellect est ce qu'il y a de plus essentiel dans l'homme, et en même temps ce noûs ouvre à une réalité plus grande que l'homme, c'est ce qui transcende l'homme qui constitue sa véritable identité, comme si l'essence de l'homme consistait dans cet « ouvert » à plus grand que lui-même.

page(s) 31
• Le Sujet de l'Être

Plus tard j'ai compris qu'il était possible par la méditation, par l'écoute du Souffle, de la Présence qui est en toute chose, de rejoindre ce « Je Suis » qui n'est pas mon « petit moi » mais le « Je Suis » de tout ce qui vit et respire, le Sujet de l'Être.

page(s) 12
• Fleurir le temps qu’il nous est donné

La montagne lui avait donné le sens de l'Éternité, le coquelicot lui enseignait la fragilité du temps : méditer c'est connaître l'Éternel dans la fugacité de l'instant, un instant droit, bien orienté. C'est fleurir le temps qu’il nous est donné de fleurir, aimer le temps qu’il nous est donné d'aimer, gratuitement, sans pourquoi, car pour qui ? Pour quoi fleurissent-ils, les coquelicots ?

Il apprenait ainsi à méditer « sans but ni profit », pour le plaisir d'être et d'aimer la lumière. « L'amour est à lui-même sa propre récompense », disait saint Bernard. « La rose fleurit parce qu'elle fleurit, sans pourquoi », disait encore Angelus Silesius.

page(s) 16
• La capacité de vision, de contemplation

[L]e mot grec que nous retrouvons dans l'étymologie de Thérapeutès, c'est Théos, il n'est pas traduit adéquatement par le Deus latin et donc par notre mot « Dieu ». Nous retrouvons cette étymologie dans un autre mot grec, important pour les thérapeutes : théoria, qu'on traduit mal par « théorie », qui aujourd'hui a un sens bien différent de l'époque de Philon. Comme pour Platon et les anciens Grecs, il signifie « vision » ou « contemplation ». Le Théos grec n'est pas seulement « lumière », mais « vision », contemplation de la lumière, conscience de l'Invisible. Prendre soin du Théos, dans un être, c'est lui rendre sa capacité de vision, de contemplation, c'est lui rendre « la conscience d'être, l'Être ».

page(s) 9
• Être tout simplement

Le plus dur était pour lui de passer ainsi des heures « à ne rien faire ». Il fallait réapprendre à être, à être tout simplement – sans but ni motif. Méditer comme une montagne, c'était la méditation même de l'Être, « du simple fait d'Être », avant toute pensée, tout plaisir et toute douleur.

page(s) 14
• Être entièrement là

Une vie qui n'a pas de centre, c'est une vie qui n'a pas de sens. La paix (hésychia, pour les Grecs, shalom pour les Juifs, shanti pour les Indiens), c'est d'être entièrement là… […]

Une assise sans cœur est une verticale d'ennui.

Une marche sans cœur est une horizontale sans fruit.

Le centre n'est pas un point particulier du corps, mais une ouverture, un espace dans lequel nous accueillons tout ce qui est, avec lucidité, gratitude et compassion. Se tenir là où se tient l'astre, ou l'acte immobile, l'acte pur et premier, selon Aristote, « qui fait tourner la terre, le cœur humain et les autres étoiles »… Si ce n'est pas l'Amour, ça lui ressemble…

page(s) 12
• Entre deux

[P]our [le christianisme], la mort n'est pas niée, ni évitée, la mort est le lieu du passage, le lieu de la pâque. Cette pâque est à vivre au cœur même de cette vie. On « passe » sans cesse d'un état de conscience à un autre, d'une pensée à une autre, c'est ce que les bouddhistes tibétains appellent le bardo « ce qui est entre deux », entre deux pensées, entre deux souffles.

page(s) 23
• L'attention, un autre nom pour l'amour

Ce que nous appelons « terre d'exil »
est souvent « terre promise »
à laquelle manque notre attention.
S'il faut revenir quelque part,
revenir à ce qui est,
il n'y a pas d'autre chemin
que l'attention
que celle-ci soit sensible,
affective, intellectuelle ou spirituelle…

« Les biens les plus précieux
ne doivent pas être recherchés mais attendus » :
c'est de la qualité de notre attente
ou encore de notre désir
que naît la qualité de notre attention.

L'attention est alors
un autre nom pour l'Amour,
quand celui-ci ne se contente pas
d'émotions ou de bonnes volontés
mais devient l'exercice quotidien
d'une rencontre avec ce qui est,
avec ce que nous sommes.

À travers les labyrinthes de nos préoccupations,
il faudra garder un fil d'heureuse vigilance.
Sans cette vigilance
comment pourrions-nous reconnaître
la présence Une
sous ses formes multiples
et goûter la Saveur (Sapienza) ?
Comment pourrions-nous
« prendre soin de l'Être » ?

page(s) 31-32